Noël vu par une ethnologue: le divin et le trivial au pied du sapin
5 décembre 2000
A l'heure de la mondialisation, Noël a son site sur Internet et ses paillettes dans toutes les vitrines du monde
Mais à quoi sert aujourd'hui cette fête ignorée des premiers chrétiens? A resserrer les liens familiaux à l'époque des familles éclatées, à faire le beurre des commerçants, à donner le bourdon aux solitaires, à creuser l'écart entre nantis et démunis? Dans son récent ouvrage, "Ethnologie de Noël", la sociologue Martyne Perrot revisite le rite et analyse les usages sociaux et symboliques de cette fête à travers les époques. Petit parcours historique, avec le Père Noël en squatter.Le Père Noël n'est pas descendu du ciel. Il nous vient d'Amérique comme le Coca Cola dont il fit la publicité dans les années 30. Sa jovialité devait en effet rassurer les parents sur la nouvelle boisson. Ce descendant de Saint Nicolas, que les premiers émigrants hollandais emportèrent vers le Nouveau Monde, est devenu tout à la fois le symbole de la générosité et l'incarnation du matérialisme américain. Il a allègrement squatté Noël au siècle passé et joué un rôle non négligeable dans la commercialisation de la fête, la transformant en un vaste troc. Aujourd'hui il a son site sur Internet (perenoel.com), sa boîte postale dans le grand Nord, des cartes de visite en forme de carte de vœux et des sosies dans tous les grands magasins aux alentours de Noël, ce qui assure aux chômeurs un petit job saisonnier. Mais qu'a-t-il vraiment à voir avec Noël?
§Solstice d'hiverNoël d'avant le Père Noël était en fait un extraordinaire amalgame de coutumes hétérogènes. Les origines du rite se greffent sur des célébrations hivernales très anciennes, pour marquer le solstice d'hiver. La fête de Noël célébrée le 25 décembre fur ignorée des premiers chrétiens. La mort et la résurrection seules intéressaient ces premières communautés.
La fixation au 25 décembre pour célébrer la naissance du Christ s'est faite à Rome sans doute en 336, à la fin du règne de Constantin, le premier empereur à se convertir au christianisme et à reconnaître un dieu unique. Le choix de la date était tactique: il fallait faire coïncider le mystère de la renaissance avec celui du monothéisme pour éliminer progressivement les cultes solaires et amener les païens à la conversion.
Dès le 8ème siècle, la fête de la Nativité prit progressivement de l'ampleur. Ce n'est qu'au 18ème siècle que la mode des crèches familiales se répandit, héritière des jeux scéniques des liturgies médiévales inspirées des bas-reliefs des cathédrales. C'est à cette époque seulement qu'apparaît le Père Noël, héros nourri d'emprunts culturels multiples. La Réforme protestante qui rejeta toute figuration divine, interdit le culte des saints et exclut Saint Nicolas des commémorations traditionnelles. C'est ainsi que le Père Noël fut chassé des régions luthériennes.
§Famille, enfance et charitéC'est à l'Angleterre victorienne puis à l'Amérique de Roosevelt que l'on doit la forme contemporaine de la célébration de Noël. La bourgeoisie adepte d'une morale exaltant les vertus familiales, fascinée par la réussite sociale et économique des siens, s'empare de cette fête pour lui faire incarner ses nouvelles valeurs. Elle veut la valeur refuge du "foyer", qui devient un rempart contre la brutale industrialisation de l'Angleterre. La trinité profane "Famille, enfance et charité façonne l'éthique autant religieuse que laïque de la fête et séduit progressivement les bourgeoisies européennes mais aussi celles d'Outre-Atlantique. On assiste à un glissement du rituel religieux au rituel familial, du domaine public à la sphère privée. La fête est domestiquée.
La notion de charité associée aux célébrations donne l'illusion que l'injustice sociale toujours plus criante a trouvé son remède. En 1840, Charles Dickens se fait le chantre de ces valeurs paternalistes et prône une religion du cœur avec "Un conte de Noël" (Christmas Carol) qui figure bientôt dans toutes les bibliothèques de la classe moyenne. L'auteur croyait à "la force mobilisatrice de la sympathie".
On glissera au 20ème siècle à la consommation sentimentale de Noël, avec Petit Papa Noël, shopping effréné, réunion autour du sapin de Noël et repas de fête qui permet parfois de recomposer provisoirement des familles éclatées.
§Martyne Perrot "Ethnologie de Noël", 266 pages, oct. 2000, éd. Grasset.
§Solstice d'hiverNoël d'avant le Père Noël était en fait un extraordinaire amalgame de coutumes hétérogènes. Les origines du rite se greffent sur des célébrations hivernales très anciennes, pour marquer le solstice d'hiver. La fête de Noël célébrée le 25 décembre fur ignorée des premiers chrétiens. La mort et la résurrection seules intéressaient ces premières communautés.
La fixation au 25 décembre pour célébrer la naissance du Christ s'est faite à Rome sans doute en 336, à la fin du règne de Constantin, le premier empereur à se convertir au christianisme et à reconnaître un dieu unique. Le choix de la date était tactique: il fallait faire coïncider le mystère de la renaissance avec celui du monothéisme pour éliminer progressivement les cultes solaires et amener les païens à la conversion.
Dès le 8ème siècle, la fête de la Nativité prit progressivement de l'ampleur. Ce n'est qu'au 18ème siècle que la mode des crèches familiales se répandit, héritière des jeux scéniques des liturgies médiévales inspirées des bas-reliefs des cathédrales. C'est à cette époque seulement qu'apparaît le Père Noël, héros nourri d'emprunts culturels multiples. La Réforme protestante qui rejeta toute figuration divine, interdit le culte des saints et exclut Saint Nicolas des commémorations traditionnelles. C'est ainsi que le Père Noël fut chassé des régions luthériennes.
§Famille, enfance et charitéC'est à l'Angleterre victorienne puis à l'Amérique de Roosevelt que l'on doit la forme contemporaine de la célébration de Noël. La bourgeoisie adepte d'une morale exaltant les vertus familiales, fascinée par la réussite sociale et économique des siens, s'empare de cette fête pour lui faire incarner ses nouvelles valeurs. Elle veut la valeur refuge du "foyer", qui devient un rempart contre la brutale industrialisation de l'Angleterre. La trinité profane "Famille, enfance et charité façonne l'éthique autant religieuse que laïque de la fête et séduit progressivement les bourgeoisies européennes mais aussi celles d'Outre-Atlantique. On assiste à un glissement du rituel religieux au rituel familial, du domaine public à la sphère privée. La fête est domestiquée.
La notion de charité associée aux célébrations donne l'illusion que l'injustice sociale toujours plus criante a trouvé son remède. En 1840, Charles Dickens se fait le chantre de ces valeurs paternalistes et prône une religion du cœur avec "Un conte de Noël" (Christmas Carol) qui figure bientôt dans toutes les bibliothèques de la classe moyenne. L'auteur croyait à "la force mobilisatrice de la sympathie".
On glissera au 20ème siècle à la consommation sentimentale de Noël, avec Petit Papa Noël, shopping effréné, réunion autour du sapin de Noël et repas de fête qui permet parfois de recomposer provisoirement des familles éclatées.
§Martyne Perrot "Ethnologie de Noël", 266 pages, oct. 2000, éd. Grasset.