Les sociologues ont tout faux:la modernité n’a pas empêché le réenchantement du monde

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Les sociologues ont tout faux:la modernité n’a pas empêché le réenchantement du monde

6 décembre 2001
“ Notre époque est tout aussi furieusement religieuse que celles qui l’ont précédée
” Venant de l’un des ardents défenseurs de la théorie selon laquelle la modernisation entraîne le déclin de la religion, l’affirmation a de quoi surprendre. Peter Berger, professeur de sociologie de la religion à l’Université de Boston, reconnaît qu’il s’est trompé. L’époustouflante poussée évangéliste en Amérique latine, le renouveau de l’islam, la percée spectaculaire du protestantisme pentecôtiste en Afrique et le succès des religions orientales ont forcé le sociologue américain à revoir sa copie. Ce qu’il fait dans “ Le réenchantement du monde ”.

“ La disparition du besoin de Dieu exigerait un bouleversement qui ressemblerait à une mutation de l’espèce ”, reconnaît le maître d’ouvrage en préambule à l’ouvrage collectif qui fait le point sur la résurgence du religieux, condamné il y a peu encore à un effacement inéluctable. La quête de sens qui transcende l’existence humaine reste l’une des données permanentes de l’humanité. La modernisation engendre certaines formes de sécularisation mais elle produit aussi de puissants mouvements de contre-sécularisation. Or la sécularisation de la société n’est pas liée nécessairement à celle de la conscience humaine. Dans beaucoup de sociétés, les institutions religieuses ont perdu leur pouvoir et leur influence mais des croyances et des pratiques religieuses, anciennes et nouvelles, n’en ont pas moins survécu ou sont apparues sous d’autres aspects et parfois avec des fortes manifestations de ferveur chez les individus.

§Vivre dans le doute La modernité bouscule toutes les vieilles certitudes. Or, vivre dans le doute est une situation pénible pour beaucoup de gens, qui ont cherché à se bricoler un patchwork spirituel, ou qui sont allés chercher une parole forte et rassurante auprès d’organisations religieuses qui promettent des certitudes.

Les auteurs de l’ouvrage ont tenté, sous la direction de Peter Berger, une analyse de l’expression du religieux hors des institutions qui le portaient naguère, mais aussi une approche globale des principales religions : le catholicisme sous Jean-Paul ll, le protestantisme et la poussée évangélique dans le monde, le judaïsme face à la modernité, l’islam politique et fait l’état des religions en Europe. La perte du religieux sur le vieux Continent est l’exception qui confirme la règle ; l’évangélisme et l’islamisme sont des mobilisations religieuses d’un dynamisme sans pareil dans le monde. Ce renouveau aussi bien islamique d’évangélique est fondé sur un puissant regain d’engagement religieux.

§Le pentecôtisme a de l’avenirL’époustouflante poussée évangéliste qui touche aussi bien la Chine, la Corée du Sud, les Philippines, le Pacifique Sud, l’Afrique subsaharienne, l’Europe ex-communiste et l’Amérique latine, où les protestants évangéliques seraient cinquante-cinq millions, de première génération pour la majorité d’entre eux, prend un fort caractère populiste contre une certaine élite sécularisée et « globalisée ».

Le pentecôtisme tout particulièrement y fait des avancées spectaculaires et sera, de l’avis des spécialistes, la religion première du XXle siècle. De façon générale, l’évangélisme participe à la modernisation dans la plupart des pays où il est implanté, ce qui n’est pas le cas de l’islamisme radical que la vision négative de la modernisation pousse à prôner une société entièrement gouvernées par les normes religieuses.

Perçu à ses débuts comme une forme d’impérialisme culturel américain, l’expansion évangéliste, soutenue par l’argent américain, a désormais conquis son autonomie et créé un espace social où ceux qui ne comptent pas pour grand-chose se sentent enfin considérés comme des personnes capables de prendre des initiatives et de ouer un rôle dans la société. En Amérique latine, ces mouvements expriment les intérêts des femmes et des jeunes. En Afrique, le pentecôtisme s’est d’abord développé comme un mouvement anticolonialiste, et agit aujourd’hui comme une force d’opposition.

§L’exception européenneDans ce réenchantement du monde, l’Europe de l’Ouest fait figure d’exception. Pour les auteurs de l’ouvrage, Les Européens de l’Ouest sont des populations « sans Eglise », plutôt que simplement sécularisées. L’effondrement de la pratique religieuse, en particulier dans le nord protestant, n’a pas entraîné pour l’instant une disparition de la croyance individuelle. On y croit sans appartenir à aucune Eglise ou mouvement religieux. La religion y est entrée dans l’ère des options et des préférences individualistes. Il ne faut toutefois pas en conclure que la montée de l’individualisme et la prédominance du rationnel ont contribué à la chute du religieux. Les Etats-Unis en sont la preuve contraire avec un niveau de croyance très élevé et une étonnante variété d’Eglises plus dynamiques les unes que les autres.

En Europe tout au contraire, on assiste à un dramatique effondrement du savoir religieux et à une perte de ses fondements religieux traditionnels. Ce qui ne signifie pas disparition du besoin du religieux. L’individu veut se rattacher à quelque chose qui le dépasse et continue d’avoir besoin du sacré à différents moments de sa vie, lors de célébrations ou de crise nationales. L’Europe amnésique de son passé religieux, est en fait le contre-exemple de ce qui se passe dans le monde.

§Le réenchantement du monde, ouvrage collectif, traduction de Jean-Luc Pouthier, 192 pages, oct. 2001, éd. Bayard