Quand le savoir passe du «Sud» au «Nord»

Lors de son séjour en Suisse, Alphonse Azebaze a pu échanger des techniques agricoles avec des experts locaux et découvrir que les enjeux climatiques étaient identiques. / © DM
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Lors de son séjour en Suisse, Alphonse Azebaze a pu échanger des techniques agricoles avec des experts locaux et découvrir que les enjeux climatiques étaient identiques.
© DM

Quand le savoir passe du «Sud» au «Nord»

Surprise
L’échange de connaissances est au cœur de l’agroécologie. Un partage qui se fait en général au sein de communautés locales. Parfois, cependant, il peut être fait par-delà les continents.

En septembre 2021, l’agronome camerounais Alphonse Azebaze rencontre des homologues suisses auprès de la Fondation rurale interjurassienne. Durant une matinée, les experts discutent des recherches pour anticiper de futurs manques de fourrage, en raison des sécheresses toujours plus intenses en été. «On était en train de réfléchir au problème quand j’ai réalisé que toutes les solutions évoquées étaient basées sur des plantes herbacées, alors qu’au Cameroun, où nous connaissons une saison sèche de trois mois, nous utilisons des arbustes pour nourrir le bétail, notamment l’acacia. Pourquoi ne pas utiliser de ligneux ici aussi, mais adaptés au climat local?» Sa suggestion fait mouche auprès des agronomes suisses. Ce, d’autant plus que les arbustes captent du carbone. «Or tout ce qui peut contribuer à améliorer la situation climatique est un atout!» poursuit Alphonse Azebaze.

Cet échange, c’est DM qui l’a initié: depuis deux ans, l’organisme protestant intensifie ses échanges «Sud-Nord», notamment dans l’agroécologie. L’association est active depuis plus d’une décennie dans ce secteur au Bénin, au Togo et au Cameroun; elle a aussi développé des programmes à Cuba, au Mexique, au Liban et au Mozambique.

On savait qu’il y avait des connaissances énormes parmi nos partenaires du Sud.
Julie Ineichen

Problèmes partagés

«On savait qu’il y avait des connaissances énormes parmi nos partenaires du Sud. Nous avons donc mis en place dès 2020 des plateformes d’échange d’expériences régionales», explique Juliane Ineichen, chargée des programmes d’agroécologie pour DM. Ces lieux de partage se sont rapidement doublés d’un manuel concret de pratiques (voir encadré). Et depuis fin 2022, la pandémie étant passée, les rencontres Sud-Nord s’intensifient. «Nous constatons que nous partageons beaucoup de problématiques. Comprendre qu’on affronte les mêmes soucis rend le dialogue plus simple et nuancé», observe Juliane Ineichen.

Alphonse Azebaze a ainsi été surpris de retrouver en Suisse des sols pauvres et maigres, sans matière organique: «On peut soupçonner que c’est lié à une mauvaise utilisation des intrants chimiques. Chez nous, beaucoup de producteurs utilisent des produits de synthèse, parfois même proscrits en Europe, néfastes pour le sol, le consommateur et le producteur lui-même. Lors de mes visites ici, juste après une votation contre les pesticides, j’ai constaté les mêmes problématiques. La majorité milite encore pour l’agriculture intensive, alors que scientifiquement elle nous conduit dans une impasse. »

Au-delà de ces constats, échanger permet de découvrir d’autres pratiques et parfois de redécouvrir son propre patrimoine. «En regardant les essais pratiqués en Suisse pour améliorer les pâturages, j’ai vu des herbacées et des légumineuses qui sont présentes aussi chez nous, mais qui ne sont pas bien considérées: le trèfle, le desmodium, par exemple. Or elles apportent des nutriments précieux pour l’animal. Je me suis dit qu’on pourrait les développer chez nous», poursuit Alphonse Azebaze.

Pratiques agricoles et sociales

Si DM est pionnier dans les rencontres «Sud-Nord», d’autres organisations y réfléchissent aussi. Parmi elles, l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL), qui dispose de près de 15 ans d’expérience de recherches dans différents pays du Sud (Kenya, Bolivie, Inde) dans les domaines de l’agroécologie.

Au départ, ces programmes avaient pour but d’optimiser les cultures de cacao ou de coton, notamment en minimisant les intrants. Aujourd’hui, ce savoir-faire développé avec les partenaires du Sud pourrait se révéler utile pour la Suisse dans plusieurs domaines. Par exemple l’adaptation au changement climatique. «Aujourd’hui, en Suisse, nous faisons face à davantage d’épisodes pluvieux intenses, au lieu de pluies régulières, et à de longues périodes sans précipitations. Nous devons apprendre à y faire face. Or on commence tout juste à comprendre que l’agroforesterie – comme la culture concomitante de cacao, de bananes et de café, commune dans certaines régions du monde – a des avantages sous nos latitudes. Et qu’elle peut notamment s’appliquer à la vigne, dont les plants peuvent être combinés à des cultures agricoles ou d’élevage. Ces éléments, qui ont toujours existé, on les redécouvre au Sud, et ils ont été étudiés et développés ces dernières années», observe Beate Huber, directrice du Département de coopérations internationales du FiBL.

D’autres transferts de connaissances Sud-Nord sont envisageables en matière de communication. «Dans la diffusion des savoir-faire agricoles, au Sud, nous avons notamment collaboré avec des micro-influenceurs, sur les réseaux sociaux. Ils ont des microcommunautés actives dans la durabilité et échangent des pratiques. C’est un outil de communication auquel nous réfléchissons aussi pour la Suisse», explique Beate Huber. Des échanges qui, pour être fructueux, impliquent, selon Alphonse Azebaze, «d’être ouverts, sans tabous, et francs: il faut parler avec le cœur».

En savoir plus

Le Secaar, partenaire de DM, a édité un manuel d’agroécologie pratique et illustré, fruit d’années de savoirs issus de ses partenaires du Sud.