«Récupérer la nourriture dans les poubelles est un acte de foi»
Alors qu’il se promenait dans les rues de New York, Gio Andollo, un chrétien de 29 ans, a délicatement ouvert un sac à poubelle posé à l’entrée d’un supermarché, près de l’Université de Columbia. Gio aime particulièrement ce magasin car il utilise des sacs en plastique transparent. «C’est plus facile de repérer le pain, les fruits, les légumes et les autres trésors».
«Nous pouvons utiliser notre instinct pour s’assurer que les aliments sont comestibles. La plupart du temps, ils sont encore bons», constate-t-il. «On peut aussi les laver et les cuisiner. Dans tous les cas, on va survivre».
En fouillant dans les poubelles, ce jeune homme a trouvé des pommes qui étaient amochées et des sandwichs partiellement mangés. Mais cela lui convient. Il n’a jamais été malade en mangeant de la nourriture destinée aux ordures. Comme il est végétarien, il n’a pas pris le demi poulet qu’il a aperçu.
Préserver la planèteLa démarche de Gio est bien plus qu’une «stratégie budgétaire». Comme beaucoup d’autres dans son cas, il s’efforce de préserver la planète. Selon lui, le freeganisme, c’est-à-dire le fait de récupérer et de manger des vivres qui ont été jetés, est plus populaire parmi les personnes qui ne sont pas religieuses. Mais pour cet homme, récupérer les aliments est un acte de foi. Certains textes de la Bible appellent à prendre soin de la terre.
Ainsi, Gio cherche à éliminer les déchets qui sont conduits dans les décharges et qui dégradent l’environnement. «Si le freeganisme existe, en opposition au fait d’être sans domicile fixe (SDF), c’est qu’il y a vraiment une question d’éthique derrière cette pratique: le «sauvetage» de la nourriture du flux des déchets. C’est saboter le système économique que de considérer les aliments uniquement comme des produits et non pas comme une source de repas pour la population».
«Faire les poubelles» est courant parmi les freeganes et les SDF. Certaines organisations newyorkaises comme Food not Bombs, un groupe de volontaires qui récupère de la nourriture végétarienne et végétalienne pour la distribuer au public, pratiquent régulièrement cette activité.
Une autre association patrouille dans les rues, chaque mercredi soir, et offre le résultat de ses recherches aux personnes dans le parc de Bushwick, à Brooklyn. Le site internet des Food not Bombs contient énormément d’information sur leur démarche. «Avec plus d’un milliard de personnes qui souffrent de la faim, comment peut-on encore dépenser un dollar pour la guerre?», peut-on lire dans une de leur déclaration.
Des jeunes entre vingt et trente ans«Les «explorateurs» de poubelles sont un groupe démographique particulier», relève Sharon Cornelissen, une doctorante à l’Université de Princeton, qui a étudié ces pratiques pour son master en sociologie. «Ce mouvement attire principalement des blancs entre vingt et trente ans. Généralement, ils le font par choix plutôt que par besoin», précise-t-elle. «C’est l’expression d’un anti-capitalisme, plus lié à la politique qu’à la spiritualité».
Sojourners, un magazine chrétien dédié à la justice sociale, a présenté «ces explorateurs» en 2006. Ce reportage a motivé Micah Holden à rejoindre ce mode de vie. Maintenant, cet infirmier vit avec sa femme et sa fille à Wheaton dans l’Illinois. Ils font encore occasionnellement les poubelles en famille, dans leur banlieue. Leurs motivations sont diverses.
«J’ai la ferme conviction qu’il faut être plein de ressources et ne pas être inutile», explique Micah Holden. «Cela fait partie de la vie d’un bon gestionnaire et d’un bon chrétien. Mais il y a aussi une motivation plus égoïste: je peux avoir tous ces aliments gratuitement et par moi-même». Habituellement, sa femme et lui font leurs courses dans des épiceries et sur internet, comme tout autre consommateur. Récupérer la nourriture destinée aux ordures est un hobby.
«Ce n’est pas la norme dans notre banlieue évangélique de classe moyenne», précise-t-il. «Certains voisins ne veulent pas le faire parce qu’il y a une stigmatisation des personnes qui fouillent dans le déchets. Pour eux, c’est trop de travail et cela prend du temps. C’est pour les gens qui ne se soucient pas du regard des autres».
Freeganisme et christianismeGio Andollo a découvert le freeganisme grâce à un ami chrétien, engagé pour Food not Bombs, alors qu’il vivait à Orlando, en Floride. Ce jeune homme a grandi à Miami, dans une famille chrétienne de classe moyenne, qui faisait attention à ne pas gaspiller. En tant que croyant, il est minoritaire au sein de ce mouvement. Néanmoins, il a rencontré quelques freeganes lors d’un rassemblement des Jesus Radicals, à Minneapolis.
«Les responsables de mon église ont des opinions diverses sur ces pratiques», explique Gio, qui fréquente la Trinity Grace, une église évangélique en expansion à New York. «Néanmoins, les membres pensent que mon mode de vie peut leur apporter de nouvelles perspectives».
Ce n’est pas seulement sa foi qui le pousse dans cette démarche mais aussi ses préoccupations pour la Terre et les individus en général. «Il y a un problème environnemental mais il est aussi question de dignité et de valeur humaine. A un certain moment de ma vie, je n’ai plus pu ignorer les étiquettes Made in China». Alors qu’il regarde son téléphone portable, Gio conçoit qu’il vit avec certaines incohérences.
«Je possède un iPhone et je sais que ça fait de moi une horrible personne à certains égards», déplore-t-il. «Je sais comment les employés d’Apple sont traités. C’est un compromis que j’ai fait dans ma vie».
Gio Andollo aimerait former un group officiel d’«explorateurs», mais il a du mal à recruter d’autres personnes. Il a créé une liste pour participer à ces actions sur le site Meetup et a attendu les volontaires. Au début, plusieurs personnes se sont jointes à lui. Mais avec le temps, et particulièrement en hiver, elles se sont désistées. La plupart du temps, il y va seul.
Un jour où le mercure affichait moins 9°, Gio est allé faire les poubelles, accompagné d’un journaliste. Alors qu’il ne portait qu’un pull sur sa chemise à carreau, on l’a forcé à mettre un manteau afin qu’il n’ait pas trop froid. Ce freegane refuse d’acheter des habits, préférant les vêtements de seconde main. «J’aime l’idée de vivre pauvrement par choix. Jésus nous l’a enseigné et nous a dirigé vers ce mode de vie.» (lv)