Quand "La Guerre des étoiles" et l'Evangile se télescopent
31 mai 2000
Quel rapport entre Luke Skywalker et Jésus? Darth Vador et Satan? Contre toute attente, "La Guerre des étoiles", la saga cinématographique la plus populaire du XXe siècle, présente plusieurs thèmes communs avec la Bible: la force qui anime les héros de Georges Lucas n'est pas sans lien avec la prière pratiquée par Jésus, tandis que Darth Vador ressemble au Satan de la Bible s'acharnant à pervertir le Christ
Fan de cinéma, le pasteur neuchâtelois Fabrice Demarle voit dans ces comparaisons un moyen de redécouvrir l'actualité et la pertinence du texte biblique. Il y a consacré plusieurs soirées de réflexion et de débat avec ses paroissiens. Interview.
Photos, agence Ciric, Chemin des Mouettes 4, cp 405, 1001 Lausanne, tel 021/613 23 83, fax 021/ 613 23 84, ciric@cath.ch§Comparer "La Guerre des étoiles" et la Bible, le rapprochement peut sembler incongru.Détrompez-vous. La Bible comme le cinéma présente une grande valeur pour aborder des problématiques contemporaines. Elle a toujours su entrer en résonance avec la culture de son époque. Elle offre une vision du monde exprimable avec les mots et les valeurs d'aujourd'hui. Mais pour redécouvrir son actualité et sa pertinence, il s'agit de la sortir de son carcan sacré en la mettant en dialogue avec des formes d'expressions modernes.
§Que peut donc nous apprendre "La Guerre des étoiles" à propos de la Bible?Il est question dans les deux cas de tentation et de pouvoir. Luke Skywalker, le héros du film, est tenté par son ennemi Darth Vador qui lui offre de goûter à des pouvoirs surnaturels qui lui permettrait de dominer ses semblables. Luke résiste, car il comprend qu'il tomberait sous l'emprise de son ennemi. En d'autres termes, il refuse de se laisser dominer pour pouvoir dominer les autres. Il en va de même dans la Bible où Jésus résiste à plusieurs reprises à la tentation du pouvoir personnel, politique et religieux. Il ne s'intéresse pas à ce type de pouvoir qui aliène la liberté. Il vit une relation de confiance avec Dieu, et cela lui suffit.
§Le film éclaire donc l'Evangile?Oui. Il met en évidence de manière renouvelée le rapport de Jésus avec le pouvoir.
§Le thème-clé de "La Guerre des Etoiles" est la force. Les différents personnages essaient de dompter la force pour gagner en puissance. Y voyez vous lien avec la Bible?Oui. La force est une énergie qui régit l'univers de "La Guerre des étoiles". Elle inspire les personnages qui tentent de la maîtriser pour devenir de vaillants combattants. Au bout du compte, ils arrivent juste à développer une sorte d'art martial un peu archaïque. Or, cela ressemble à une certaine conception de la prière qui permettrait de déplacer les montagnes. Jésus dit, dans l'Evangile de Marc (11, 22-24) "si quelqu'un dit à cette montagne: Soulève-toi et jette-toi dans la mer, et qu'il n'hésite pas dans son cœur, cela arrivera pour lui. Tout ce que vous demandez en priant, cela arrivera pour vous".
§A la lecture de cet extrait, il semble en effet que la prière confère des dons magiques, à l'instar de la force de "La Guerre des Etoiles".Oui. Une telle conception de la prière est fort répandue. Nombreux sont les gens qui pensent que la prière peut accomplir des choses extraordinaires. Pendant la dernière Coupe de monde de football, des jeunes demandaient au pasteur de prier pour la victoire de leur équipe favorite! En fait, cette vision de la prière est inexacte. En remettant ce passage dans son contexte, on s'aperçoit que quand Jésus parle d'une montagne qui doit se jeter dans la mer, il vise surtout la pléthore de rites religieux stériles de ses contemporains. Il invite à retrouver une relation de confiance avec Dieu, qui s'exprime par la prière, et non par des rites religieux qui ne portent plus leurs fruits. Il n'y a rien là de magique
§Une chose qui frappe en regardant "la Guerre des Etoiles", c'est son extrême manichéisme. Les gentils affrontent les méchants. La Bible est-elle aussi manichéenne que cela?Non. C'est toute la différence entre les deux récits. "La Guerre des Etoiles" pousse à l'extrême l'antagonisme entre les gentils et les méchants. Les premiers ont des habits "écolos" en toiles de jute, tandis que les méchants sont tout en métal et en plastique. Dans la Bible, Jésus casse ce clivage entre bons et méchants. Jésus se compromet avec l'ennemi, par exemple en acceptant de guérir le serviteur d'un capitaine romain. D'une manière générale, il passe plus de temps à enguirlander les bons croyants que les collecteurs d'impôts à la botte des Romains. Ce qui peut du reste expliquer pourquoi il a été trahi par des disciples.
§Jésus n'est donc pas l'homme juste dans un monde hostile?On oublie trop souvent que Jésus s'est entouré d'exclus, de marginaux, de gens de mauvaise réputation, voire de salauds, et qu'il s'en prend aux pharisiens qui étaient les braves gens de l'époque. Si on intègre toutes ces nuances, on est loin d'un Jésus manichéen, gentil avec les gentils, méchant avec les méchant.
§La comparaison avec La Guerre des Etoiles servirait-elle aussi à contrer des lectures simplificatrices de la Bible?Certainement. Si nous appliquons sérieusement des outils critiques de décodage sur l'un et l'autre, nous nous libérons à la fois de l'impact émotionnel immédiat des images et d'une lecture littérale ou folklorique de la Bible. On a souvent tendance à gommer les nuances et à adhérer à une figure simpliste de Jésus, grand défenseur de la veuve et de l'orphelin. Cette lecture au premier degré, qui ne laisse plus le texte exprimer toute sa richesse, est potentiellement dangereuse, car, sans distance critique, on trouve aussi dans la Bible des appels à la purification ethnique, à l'antisémitisme ou à l'oppression de la femme.
§Ne détruisez-vous une image positive de Jésus. S'il n'est pas un homme respectable, qui est-il?Il est vrai que je contredis un certain nombre de repères parmi les plus populaires sur Jésus. Mais je n'en reste pas là. Je mets en évidence d'autres aspects de la figure du Christ qui débouchent sur des valeurs importantes: l'accueil inconditionnel, ou la nécessité de dépasser nos préjugés pour aller à la rencontre de l'autre.
(Propos recueillis par Jacques-Olivier Pidoux/Protestinfo)
Photos, agence Ciric, Chemin des Mouettes 4, cp 405, 1001 Lausanne, tel 021/613 23 83, fax 021/ 613 23 84, ciric@cath.ch§Comparer "La Guerre des étoiles" et la Bible, le rapprochement peut sembler incongru.Détrompez-vous. La Bible comme le cinéma présente une grande valeur pour aborder des problématiques contemporaines. Elle a toujours su entrer en résonance avec la culture de son époque. Elle offre une vision du monde exprimable avec les mots et les valeurs d'aujourd'hui. Mais pour redécouvrir son actualité et sa pertinence, il s'agit de la sortir de son carcan sacré en la mettant en dialogue avec des formes d'expressions modernes.
§Que peut donc nous apprendre "La Guerre des étoiles" à propos de la Bible?Il est question dans les deux cas de tentation et de pouvoir. Luke Skywalker, le héros du film, est tenté par son ennemi Darth Vador qui lui offre de goûter à des pouvoirs surnaturels qui lui permettrait de dominer ses semblables. Luke résiste, car il comprend qu'il tomberait sous l'emprise de son ennemi. En d'autres termes, il refuse de se laisser dominer pour pouvoir dominer les autres. Il en va de même dans la Bible où Jésus résiste à plusieurs reprises à la tentation du pouvoir personnel, politique et religieux. Il ne s'intéresse pas à ce type de pouvoir qui aliène la liberté. Il vit une relation de confiance avec Dieu, et cela lui suffit.
§Le film éclaire donc l'Evangile?Oui. Il met en évidence de manière renouvelée le rapport de Jésus avec le pouvoir.
§Le thème-clé de "La Guerre des Etoiles" est la force. Les différents personnages essaient de dompter la force pour gagner en puissance. Y voyez vous lien avec la Bible?Oui. La force est une énergie qui régit l'univers de "La Guerre des étoiles". Elle inspire les personnages qui tentent de la maîtriser pour devenir de vaillants combattants. Au bout du compte, ils arrivent juste à développer une sorte d'art martial un peu archaïque. Or, cela ressemble à une certaine conception de la prière qui permettrait de déplacer les montagnes. Jésus dit, dans l'Evangile de Marc (11, 22-24) "si quelqu'un dit à cette montagne: Soulève-toi et jette-toi dans la mer, et qu'il n'hésite pas dans son cœur, cela arrivera pour lui. Tout ce que vous demandez en priant, cela arrivera pour vous".
§A la lecture de cet extrait, il semble en effet que la prière confère des dons magiques, à l'instar de la force de "La Guerre des Etoiles".Oui. Une telle conception de la prière est fort répandue. Nombreux sont les gens qui pensent que la prière peut accomplir des choses extraordinaires. Pendant la dernière Coupe de monde de football, des jeunes demandaient au pasteur de prier pour la victoire de leur équipe favorite! En fait, cette vision de la prière est inexacte. En remettant ce passage dans son contexte, on s'aperçoit que quand Jésus parle d'une montagne qui doit se jeter dans la mer, il vise surtout la pléthore de rites religieux stériles de ses contemporains. Il invite à retrouver une relation de confiance avec Dieu, qui s'exprime par la prière, et non par des rites religieux qui ne portent plus leurs fruits. Il n'y a rien là de magique
§Une chose qui frappe en regardant "la Guerre des Etoiles", c'est son extrême manichéisme. Les gentils affrontent les méchants. La Bible est-elle aussi manichéenne que cela?Non. C'est toute la différence entre les deux récits. "La Guerre des Etoiles" pousse à l'extrême l'antagonisme entre les gentils et les méchants. Les premiers ont des habits "écolos" en toiles de jute, tandis que les méchants sont tout en métal et en plastique. Dans la Bible, Jésus casse ce clivage entre bons et méchants. Jésus se compromet avec l'ennemi, par exemple en acceptant de guérir le serviteur d'un capitaine romain. D'une manière générale, il passe plus de temps à enguirlander les bons croyants que les collecteurs d'impôts à la botte des Romains. Ce qui peut du reste expliquer pourquoi il a été trahi par des disciples.
§Jésus n'est donc pas l'homme juste dans un monde hostile?On oublie trop souvent que Jésus s'est entouré d'exclus, de marginaux, de gens de mauvaise réputation, voire de salauds, et qu'il s'en prend aux pharisiens qui étaient les braves gens de l'époque. Si on intègre toutes ces nuances, on est loin d'un Jésus manichéen, gentil avec les gentils, méchant avec les méchant.
§La comparaison avec La Guerre des Etoiles servirait-elle aussi à contrer des lectures simplificatrices de la Bible?Certainement. Si nous appliquons sérieusement des outils critiques de décodage sur l'un et l'autre, nous nous libérons à la fois de l'impact émotionnel immédiat des images et d'une lecture littérale ou folklorique de la Bible. On a souvent tendance à gommer les nuances et à adhérer à une figure simpliste de Jésus, grand défenseur de la veuve et de l'orphelin. Cette lecture au premier degré, qui ne laisse plus le texte exprimer toute sa richesse, est potentiellement dangereuse, car, sans distance critique, on trouve aussi dans la Bible des appels à la purification ethnique, à l'antisémitisme ou à l'oppression de la femme.
§Ne détruisez-vous une image positive de Jésus. S'il n'est pas un homme respectable, qui est-il?Il est vrai que je contredis un certain nombre de repères parmi les plus populaires sur Jésus. Mais je n'en reste pas là. Je mets en évidence d'autres aspects de la figure du Christ qui débouchent sur des valeurs importantes: l'accueil inconditionnel, ou la nécessité de dépasser nos préjugés pour aller à la rencontre de l'autre.
(Propos recueillis par Jacques-Olivier Pidoux/Protestinfo)