"Z'auriez pas 50 francs, M'sieur le pasteur?"

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"Z'auriez pas 50 francs, M'sieur le pasteur?"

14 avril 2000
Sans domicile fixe, fauchés, zonards ou pèlerins, ils sont nombreux à se présenter au domicile des pasteurs
Entre petites arnaques et vraie détresse, comment réagissent les gens d'Eglise?"J'aurais besoin de 100 francs pour prendre le train"; "Est-ce que je peux passer la nuit chez vous?" "Je n'arrive pas à payer mon loyer". Autant de demandes auxquelles les pasteurs sont régulièrement confrontés. Ils entrent alors en contact avec la pauvreté matérielle et le désespoir moral, mais aussi avec les petites arnaques et autres prétextes abracadabrants pour soutirer de l'argent: "Cela commence presque toujours par une demande d'argent, explique Yvan Bourquin, pasteur à Court (BE). Si ce sont des gens du village, il m'arrive de les dépanner. Si je ne les connais pas, j'offre un repas puis leur indique le Centre social protestant".

Beaucoup de pasteurs donnent en nature plutôt qu'en espèces, ce qui permet de contrer les accros de la bouteille et des paradis artificiels: "Je m'en tiens aux bons d'achat dans les magasins Migros et aux bons de train CFF, commente Pierre-Olivier Heller, pasteur à Lausanne. Pour passer la nuit, j'oriente les gens sur un lieu d'accueil non loin d'où j'habite. Mais si la personne insiste pour passer la nuit chez moi, j'accepte".

En face de réelles difficultés, il est rare qu'un pasteur reste de marbre. Après avoir offert son toit ou un repas, il peut appuyer des démarches auprès des services sociaux ou déléguer une personne spécialisée dans l'accompagnement administratif des démunis. Certaines paroisses disposent même d'un fonds spécial de solidarité qui permet de payer les factures quand les fins de mois sont difficiles. "Une fois, nous sommes allés jusqu'à acheter une voiture à un de nos paroissiens qui en avait besoin pour retrouver du travail!", se souvient Gérard Stauffer, pasteur à Bulle. Enfin, le dévouement atteint parfois des proportions qui deviennent gênantes pour l'entourage: "J'ai logé une fille à la dérive durant 3 mois, se souvient Pierre-Olivier Heller. Ma femme a souffert de cette situation. A présent, elle aimerait qu'on déménage à la campagne où il y a moins de visites à l'improviste".

C'est dans les grandes agglomérations que les pasteurs sont le plus souvent sollicités. A Lausanne, Pierre-Olivier Heller a en moyenne une visite par semaine à son domicile. D'où la nécessité de renvoyer les "professionnels" du porte à porte, même s'ils en existent de fort pittoresques: "J'ai deux personnes qui viennent chez moi depuis 15 ans", rigole Charles-Edouard Berthoud, de Bienne. Et quand il y a trop de visites, on se réfère à l'appartenance confessionnelle: "J'aide uniquement les protestants, rétorque Gérard Stauffer. Je vérifie la confession dans mes fichiers. Et si je donne de l'argent, j'exige les coordonnées de mon visiteur. Par cette attitude ferme, j'ai découragé "les taupeurs".

Parmi les hôtes occasionnels, on trouve aussi des pèlerins en route pour St-Jacques de Compostelle et des voyageurs alternatifs cherchant à dormir gratis. Sur les bords des lacs de Neuchâtel et Morat, on se souvient d'un routard polonais qui, deux étés de suite, a traversé l'Europe à vélo en demandant l'hospitalité aux pasteurs. Personnage haut en couleurs, il aimait se moquer des endroits où l'accueil n'avait pas été à la hauteur. Enfin, il y a les nomades, à l'instar de cette dame qui suit un circuit à travers toute la Suisse romande, de maisons de pasteur en maisons de pasteur : "Elle passe deux nuits par mois sous mon toit, raconte Pierre-Olivier Heller.

Gare aux truqueurs

Des anecdotes piquantes comme celle-ci, chacun en possède une jolie collection, parfois soldées par un vol: "Lors d'un entretien, on sonne à la porte, ce qui a donné l'occasion à mon interlocuteur de voler quelques valeurs", raconte Yvan Bourquin. Quant à Gérard Stauffer, il conserve le souvenir cuisant d'un homme qui voulait de l'argent pour se rendre à l'hôpital de Zurich prétendument rejoindre sa femme. Il affirmait qu'elle avait été transportée en hélicoptère par la Rega suite à un accident de la route: "Je lui ai demandé le constat de police. Il l'a sorti de sa poche. Mais comme j'avais encore des doutes, j'ai téléphoné à la police. Vérifications faites, son histoire était fausse et il s'était servi de papier à en-tête volé pour rédiger le constat".

Reste qu'il arrive aux pasteurs les mieux intentionnés d'opposer une fin de non-recevoir afin de préserver leur famille et leur vie privée: "Il y a des moments où l'on se consacre à 100% à nos enfants, commente Marianne Léderrey, pasteur à Cordast (FR). Et pas question de passer les vacances à la maison. Elles riment le plus souvent avec voyages pour éviter les visites intempestives et se reposer pleinement.