Viol, meurtre: comment trouver la force de pardonner?
8 mai 2000
Professeure de théologie aux Universités de Genève et Lausanne, Lytta Basset a consacré deux livres au pardon, Guérir du malheur et Le Pouvoir de pardonner, dans lesquelles elle décrit le cheminement personnel vers la guérison des souffrances et la reconquête de la dignité
§Dans des situations aussi terribles qu'un meurtre ou un viol, comment trouver la force de pardonner?Le pardon ne se décrète pas. Il résulte d'une lente et profonde maturation qui permet de prendre ses distances par rapport à un passé de souffrances . Il apparaît au terme d'un travail personnel sur ses blessures qui peut prendre la forme d'une psychothérapie, où il faut souvent redescendre jusqu'au petit enfant que l'on a été. Il présuppose pour la victime que toutes les blessures soient cicatrisées. Alors seulement le pardon devient possible.
§Mais comment être sûr que l'on a bel et bien pardonné?Un élément important est la souffrance. Tant que la confrontation avec une personne ou une circonstance provoque de la souffrance, de la rage, on n'est pas au bout de sa démarche de pardon. Par contre, si l'on peut rester serein en présence de l'agresseur, sans colère, peur, ou envie de vengeance, je crois qu'on a réellement pardonné.
§Quelles sont les principales étapes de ce processus de pardon?Il s'agit d'abord d'entrer en contact avec le tréfonds de la souffrance. En outre, la colère est une étape inévitable et salutaire. L'idéal serait de pouvoir dire notre colère à l'agresseur, seul à seul, afin de lui restituer ce mal qui ne nous appartient pas. Si l'agresseur est absent ou décédé, on peut aussi lui écrire une lettre fictive qu'on pose sur sa tombe, ou qu'on lit à quelqu'un. Une fois que toute la colère est sortie, on se sent plus léger. On réussit pleinement à s'accepter comme quelqu'un de blessé, de souffrant. Lorsqu'on ne ressent plus de colère, de haine ou de jalousie, qui sont les produits de la souffrance endurée, c'est qu'on a authentiquement pardonné. En fait, on pourrait dire qu'on pardonne sans s'en rendre compte.
§Quel est le moment le plus dur dans cette démarche de pardon?Le plus difficile est d'admettre son impuissance. Par exemple, dans le cas d'un viol, de revivre l'impossibilité totale de changer le cours des choses. Même si on avait porté un jeans au lieu d'une mini-jupe, le viol aurait eu lieu. C'est extrêmement difficile de reconnaître sa perte de maîtrise sur les événements, d'autant qu'à notre époque, on déteste l'impuissance. Mais c'est capital, car par ce moyen, on se pardonne à soi-même de n'avoir pas pu empêcher le viol, et on quitte la culpabilité que l'on a tendance à s'attribuer, en l'absence d'une reconnaissance par le fautif de ses torts.
§Quels sont les effets bénéfiques de cette démarche?Elle permet de retrouver le respect de soi-même. Dès lors que l'on peut dire à une personne: "Voilà ce que tu m'as fait", on manifeste son refus de s'attribuer une blessure infligée par quelqu'un d'autre, et l'on retrouve sa dignité. Une telle démarche - en harmonie profonde avec l'Evangile, en particulier Matthieu 18 - nous sort aussi des impasses de la culpabilité. Si on porte du ressentiment à quelqu'un sans oser le lui dire, on vit dans une caricature de relations qui rend l'amour impossible. Pour renouer avec le respect et l'amour, il faut pouvoir dire à l'agresseur le tort qu'il nous a causé. Comme le dit la Bible: "Va réprimander ton compatriote, ne te charge pas d'une faute à sa place, et ainsi, tu aimeras ton prochain comme toi-même".
§Lytta Basset, Guérir du malheur, Albin Michel/Labor&Fides, 1999§Lytta Basset, Le pouvoir de pardonner, Albin Michel/Labor&Fides, 1999
§Mais comment être sûr que l'on a bel et bien pardonné?Un élément important est la souffrance. Tant que la confrontation avec une personne ou une circonstance provoque de la souffrance, de la rage, on n'est pas au bout de sa démarche de pardon. Par contre, si l'on peut rester serein en présence de l'agresseur, sans colère, peur, ou envie de vengeance, je crois qu'on a réellement pardonné.
§Quelles sont les principales étapes de ce processus de pardon?Il s'agit d'abord d'entrer en contact avec le tréfonds de la souffrance. En outre, la colère est une étape inévitable et salutaire. L'idéal serait de pouvoir dire notre colère à l'agresseur, seul à seul, afin de lui restituer ce mal qui ne nous appartient pas. Si l'agresseur est absent ou décédé, on peut aussi lui écrire une lettre fictive qu'on pose sur sa tombe, ou qu'on lit à quelqu'un. Une fois que toute la colère est sortie, on se sent plus léger. On réussit pleinement à s'accepter comme quelqu'un de blessé, de souffrant. Lorsqu'on ne ressent plus de colère, de haine ou de jalousie, qui sont les produits de la souffrance endurée, c'est qu'on a authentiquement pardonné. En fait, on pourrait dire qu'on pardonne sans s'en rendre compte.
§Quel est le moment le plus dur dans cette démarche de pardon?Le plus difficile est d'admettre son impuissance. Par exemple, dans le cas d'un viol, de revivre l'impossibilité totale de changer le cours des choses. Même si on avait porté un jeans au lieu d'une mini-jupe, le viol aurait eu lieu. C'est extrêmement difficile de reconnaître sa perte de maîtrise sur les événements, d'autant qu'à notre époque, on déteste l'impuissance. Mais c'est capital, car par ce moyen, on se pardonne à soi-même de n'avoir pas pu empêcher le viol, et on quitte la culpabilité que l'on a tendance à s'attribuer, en l'absence d'une reconnaissance par le fautif de ses torts.
§Quels sont les effets bénéfiques de cette démarche?Elle permet de retrouver le respect de soi-même. Dès lors que l'on peut dire à une personne: "Voilà ce que tu m'as fait", on manifeste son refus de s'attribuer une blessure infligée par quelqu'un d'autre, et l'on retrouve sa dignité. Une telle démarche - en harmonie profonde avec l'Evangile, en particulier Matthieu 18 - nous sort aussi des impasses de la culpabilité. Si on porte du ressentiment à quelqu'un sans oser le lui dire, on vit dans une caricature de relations qui rend l'amour impossible. Pour renouer avec le respect et l'amour, il faut pouvoir dire à l'agresseur le tort qu'il nous a causé. Comme le dit la Bible: "Va réprimander ton compatriote, ne te charge pas d'une faute à sa place, et ainsi, tu aimeras ton prochain comme toi-même".
§Lytta Basset, Guérir du malheur, Albin Michel/Labor&Fides, 1999§Lytta Basset, Le pouvoir de pardonner, Albin Michel/Labor&Fides, 1999