Un rabbin apostrophe fraternellement Jésus dans une lettre ouverte
21 juin 2000
Avec "Chalom Jésus", le rabbin Jacquot Grunewald s'adresse à Jésus de juif à juif en toute fraternité et engage le dialogue après des siècles d'effarants malentendus et d'intolérance réciproques
Les retrouvailles familiales sont rudes et émouvantes. Cette exploration des Evangiles à la lumière du Talmud révèle une sensibilité qui ne peut qu'enrichir le dialogue interreligieux. Notes de lecture.Pris d'une irrépressible envie d'écrire au rabbi de Nazareth d'homme à homme, Jacquot Grunewald, ancien directeur de "Tribune juive", a marché sur les pas de Jésus et lu les Evangiles à la lumière des écrits talmudiques, ce qui lui donne l'occasion de relever les nombreuses similitudes entre paroles du Christ et sentences traditionnelles du Talmud. Sa lettre ouverte s'inscrit dans la volonté d'affirmer une pensée juive du christianisme dans la foulée de l'ouvrage de Gérard Israël, "La question chrétienne" (éd. Payot) et l'étude de la catholique Marie Vidal, "Un juif nommé Jésus, une lecture de l'Evangile à la lumière de la Torah" (éd. Albin Michel).
D'emblée, l'auteur doute de l'angélisme que les Ecritures attribuent à Jésus de façon systématique, de cette image d'un personnage à la fois désincarné et provocateur qui tient si peu compte de la réalité concrète des gens, les incite à le suivre en abandonnant tout sur le champ, femme, enfants et parents, parmi les plus vulnérables de la société.
Il entame son pèlerinage à Capharnaüm (Kfar Na'houm) pour s'étonner des paroles que Jésus adressa à la foule. Si l'identification entre pain et parole de l'Eternel ("Je suis le pain vivant qui est descendu du Ciel") lui paraît une prescription juive naturelle, la suite du discours le laisse profondément sceptique. Comment Jésus a-t-il pu ajouter: "Celui qui dévore ma chair et qui boit mon sang demeure en moi et moi en lui!" devant une foule de juifs, dont la sensibilité refuse l'idée, fût-elle désincarnée et figurative, de boire du sang? Il ne pouvait ignorer l'interdiction de la Tora. Cette transgression n'a pu que provoquer répulsion et indignation parmi les gens de Tibériade. "Ici, à Kfar Na'houm, à la foule impatiente, tu as dû déclarer autre chose, rabbi. Tout cela s'accorde si peu avec ce que les Evangiles eux-mêmes disent de ton art oratoire". Et l'auteur de se demander si c'est bien Jésus qui s'exprime ou si l'évangéliste parle à sa place. A moins que Jésus n'ait voulu, par ce ces paroles, couper de façon radicale avec ses racines juives.
§Haro sur JudasLe personnage de Judas donne également du fil à retordre à l'auteur: le disciple qui a trahi, si conforme à un personnage de tragédie antique, lui paraît tout aussi peu crédible. Sa trahison a donné naissance à des interprétations qui ont fait le lit de l'antisémitisme chrétien et ont valu aux Juifs un interminable cortège de souffrances et de persécutions.
Les deux premiers Evangiles l'appellent en réalité Thadée et non pas Judas. "Tout se passe en fait, remarque Jacquot Grunewald, comme si le nom maudit du traître devait absolument rappeler son origine juive et en devenir l'archétype." Depuis la fin du royaume d'Israël, en -735, les habitants du royaume de Juda, avec Jérusalem pour capitale, s'appellent Juifs. A travers les âges, Juda est resté le nom emblématique d'Israël. Pour Jacquot Grunewald, le récit de la trahison de Judas est une histoire cousue de fil blanc. La suite du récit, soit la marche inexorable de Jésus vers la mort "pour que s'accomplisse l'Ecriture" aurait dû décharger Judas du crime imputé. Il n'en fut rien. Les choses furent encore aggravées avec le verset 25 du chapitre 27 de l'Evangile de Matthieu: après la condamnation de Jésus par Ponce Pilate, la foule déclare "que son sang retombe sur nos têtes et sur celles de nos enfants". Ce verset a entraîné les conséquences catastrophiques que l'on sait.
L'exercice de la critique des textes, tout périlleux et subjectif qu'il soit, est mené dans cet ouvrage avec une franchise bourrue, non dénuée d'humour et toute empreinte des blessures anciennes que juifs et chrétiens, dans un récent effort de réconciliation, essaient de panser et de dépasser en renouant le dialogue théologique.
§Jacquot Grunewald, Chalom Jésus, lettre d'un rabbin d'aujourd'hui au rabbi de Nazareth, éd. Albin Michel Spiritualités, mars 2000.
D'emblée, l'auteur doute de l'angélisme que les Ecritures attribuent à Jésus de façon systématique, de cette image d'un personnage à la fois désincarné et provocateur qui tient si peu compte de la réalité concrète des gens, les incite à le suivre en abandonnant tout sur le champ, femme, enfants et parents, parmi les plus vulnérables de la société.
Il entame son pèlerinage à Capharnaüm (Kfar Na'houm) pour s'étonner des paroles que Jésus adressa à la foule. Si l'identification entre pain et parole de l'Eternel ("Je suis le pain vivant qui est descendu du Ciel") lui paraît une prescription juive naturelle, la suite du discours le laisse profondément sceptique. Comment Jésus a-t-il pu ajouter: "Celui qui dévore ma chair et qui boit mon sang demeure en moi et moi en lui!" devant une foule de juifs, dont la sensibilité refuse l'idée, fût-elle désincarnée et figurative, de boire du sang? Il ne pouvait ignorer l'interdiction de la Tora. Cette transgression n'a pu que provoquer répulsion et indignation parmi les gens de Tibériade. "Ici, à Kfar Na'houm, à la foule impatiente, tu as dû déclarer autre chose, rabbi. Tout cela s'accorde si peu avec ce que les Evangiles eux-mêmes disent de ton art oratoire". Et l'auteur de se demander si c'est bien Jésus qui s'exprime ou si l'évangéliste parle à sa place. A moins que Jésus n'ait voulu, par ce ces paroles, couper de façon radicale avec ses racines juives.
§Haro sur JudasLe personnage de Judas donne également du fil à retordre à l'auteur: le disciple qui a trahi, si conforme à un personnage de tragédie antique, lui paraît tout aussi peu crédible. Sa trahison a donné naissance à des interprétations qui ont fait le lit de l'antisémitisme chrétien et ont valu aux Juifs un interminable cortège de souffrances et de persécutions.
Les deux premiers Evangiles l'appellent en réalité Thadée et non pas Judas. "Tout se passe en fait, remarque Jacquot Grunewald, comme si le nom maudit du traître devait absolument rappeler son origine juive et en devenir l'archétype." Depuis la fin du royaume d'Israël, en -735, les habitants du royaume de Juda, avec Jérusalem pour capitale, s'appellent Juifs. A travers les âges, Juda est resté le nom emblématique d'Israël. Pour Jacquot Grunewald, le récit de la trahison de Judas est une histoire cousue de fil blanc. La suite du récit, soit la marche inexorable de Jésus vers la mort "pour que s'accomplisse l'Ecriture" aurait dû décharger Judas du crime imputé. Il n'en fut rien. Les choses furent encore aggravées avec le verset 25 du chapitre 27 de l'Evangile de Matthieu: après la condamnation de Jésus par Ponce Pilate, la foule déclare "que son sang retombe sur nos têtes et sur celles de nos enfants". Ce verset a entraîné les conséquences catastrophiques que l'on sait.
L'exercice de la critique des textes, tout périlleux et subjectif qu'il soit, est mené dans cet ouvrage avec une franchise bourrue, non dénuée d'humour et toute empreinte des blessures anciennes que juifs et chrétiens, dans un récent effort de réconciliation, essaient de panser et de dépasser en renouant le dialogue théologique.
§Jacquot Grunewald, Chalom Jésus, lettre d'un rabbin d'aujourd'hui au rabbi de Nazareth, éd. Albin Michel Spiritualités, mars 2000.