"Personne ne s'attendait à voir Desmond Tutu dans une situation pareille"
10 juillet 2000
Historien des religions, professeur honoraire au Collège de France, auteur de nombreux ouvrages, Jean Delumeau nous livre son analyse sur la récente publicité de la Winterthur Assurance montrant Desmond Tutu mains jointes, comme s'il priait, disant les dangers encourus pour sa foi : "Bien sûr, la foi est un risque, mais je ne me risquerais pas à vivre sans"
Si Jean Delumeau désapprouve l'attitude du prélat anglican, il reconnaît pourtant aux hommes d'Eglise le droit de faire de la publicité sous certaines conditions. Interview. Photos: Editions Fayard, Paris, téléphone 0033 1 45 49 82 00, demandez Madame Dominique Fusco.§Est-ce judicieux de la part de Desmond Tutu de prêter son image à la compagnie d'assurances Winterthur, filiale du Crédit Suisse?Assurément non. C'est même choquant compte tenu de l'implication du Crédit Suisse en Afrique du Sud du temps de l'apartheid. Il fallait refuser cette publicité, quelles que soient les circonstances, même si Desmond Tutu projette de reverser son cachet aux déshérités de son pays. La première précaution à prendre est de s'associer à un organisme qui ne s'est pas compromis.
§Cela déprécie-t-il l'image de Desmond Tutu?A mon sens oui. Personne ne s'attendait à le retrouver dans une situation pareille. Par le rôle qu'il a joué dans la lutte contre l'apartheid, Desmond Tutu constitue un symbole qui dépasse sa propre personne et appartient à la mémoire collective de son pays. Cela lui interdit de s'engager à la légère dans n'importe quel contexte .
§Est-ce à dire qu'un homme d'Eglise ne doit jamais faire de publicité?Non. On ne peut pas généraliser de la sorte. Ce qui est certain, c'est qu'une telle décision ne se prend pas seul. La communauté religieuse a son mot à dire. Par le biais de ses représentants, elle doit donner son consentement exprès. Elle doit aussi fixer les limites de l'engagement publicitaire et déterminer à quel usage seront affectés les revenus ainsi gagnés. L'accord d'un entourage qualifié me paraît donc une condition sine qua non.
§N'est-t-il pas discutable d'utiliser la foi comme argument de vente?En effet. Il y a ici un mélange des genres douteux. Je ne conteste pas à Desmond Tutu le droit de faire occasionnellement une apparition publicitaire, mais par sur une affiche vantant les mérites du Crédit Suisse. De la même manière, autant il me semble normal que les œuvres d'entraide fassent de la publicité pour rappeler qu'elles existent et que l'on peut contribuer à leur action caritative, autant je trouverais malvenu qu'elles utilisent Madonna comme support à leur message.
§C'est donc le mélange des genres qui est dangereux?Oui. Il importe de bien distinguer les domaines politique, financier et religieux. Desmond Tutu et le Crédit suisse, même avec les meilleures intentions du monde, cela constitue un mélange qui me semble injustifiable. Le mélange religion-politique est lui aussi périlleux. Vu sa double fonction de chef de l'Etat du Vatican et de chef de l'Eglise catholique, Jean-Paul II se trouve parfois dans des situations embarrassantes. Ainsi, lors d'une visite officielle au Chili, il s'est présenté au balcon du palais présidentiel à côté du général Pinochet: un redoutable privilège qu'il doit à son titre de chef d'Etat. Chacun de ses voyages prend une dimension politique qui parasite la dimension pastorale. Raison pour laquelle il vaudrait mieux séparer les deux fonctions, et renoncer à la fonction de Chef d'Etat du Pape.
§D'une manière générale, les Eglises doivent-elles rester en marge de l'économie?Non. Elles ne le peuvent pas. Il leur faut bien vivre et il est légitime qu'elles fassent fructifier leur argent. Bien sûr, cela implique une grande rigueur dans les placements, notamment d'éviter les entreprises ne présentant pas de garanties éthiques suffisantes. Ce débat sur l'utilisation des fonds doit avoir lieu dans toutes les communautés religieuses. Que l'on pense simplement à la puissance financière de certains mouvements pentecôtistes d'Amérique du Sud qui possèdent, entre autres, des chaînes de télévision. Sans transparence ni contrôle démocratique, c'est la porte ouverte aux dérives.
§Propos recueillis par Jacques-Olivier PidouxPhotos: Editions Fayard, Paris, téléphone 0033 1 45 49 82 00, demandez Madame Dominique Fusco.
§Cela déprécie-t-il l'image de Desmond Tutu?A mon sens oui. Personne ne s'attendait à le retrouver dans une situation pareille. Par le rôle qu'il a joué dans la lutte contre l'apartheid, Desmond Tutu constitue un symbole qui dépasse sa propre personne et appartient à la mémoire collective de son pays. Cela lui interdit de s'engager à la légère dans n'importe quel contexte .
§Est-ce à dire qu'un homme d'Eglise ne doit jamais faire de publicité?Non. On ne peut pas généraliser de la sorte. Ce qui est certain, c'est qu'une telle décision ne se prend pas seul. La communauté religieuse a son mot à dire. Par le biais de ses représentants, elle doit donner son consentement exprès. Elle doit aussi fixer les limites de l'engagement publicitaire et déterminer à quel usage seront affectés les revenus ainsi gagnés. L'accord d'un entourage qualifié me paraît donc une condition sine qua non.
§N'est-t-il pas discutable d'utiliser la foi comme argument de vente?En effet. Il y a ici un mélange des genres douteux. Je ne conteste pas à Desmond Tutu le droit de faire occasionnellement une apparition publicitaire, mais par sur une affiche vantant les mérites du Crédit Suisse. De la même manière, autant il me semble normal que les œuvres d'entraide fassent de la publicité pour rappeler qu'elles existent et que l'on peut contribuer à leur action caritative, autant je trouverais malvenu qu'elles utilisent Madonna comme support à leur message.
§C'est donc le mélange des genres qui est dangereux?Oui. Il importe de bien distinguer les domaines politique, financier et religieux. Desmond Tutu et le Crédit suisse, même avec les meilleures intentions du monde, cela constitue un mélange qui me semble injustifiable. Le mélange religion-politique est lui aussi périlleux. Vu sa double fonction de chef de l'Etat du Vatican et de chef de l'Eglise catholique, Jean-Paul II se trouve parfois dans des situations embarrassantes. Ainsi, lors d'une visite officielle au Chili, il s'est présenté au balcon du palais présidentiel à côté du général Pinochet: un redoutable privilège qu'il doit à son titre de chef d'Etat. Chacun de ses voyages prend une dimension politique qui parasite la dimension pastorale. Raison pour laquelle il vaudrait mieux séparer les deux fonctions, et renoncer à la fonction de Chef d'Etat du Pape.
§D'une manière générale, les Eglises doivent-elles rester en marge de l'économie?Non. Elles ne le peuvent pas. Il leur faut bien vivre et il est légitime qu'elles fassent fructifier leur argent. Bien sûr, cela implique une grande rigueur dans les placements, notamment d'éviter les entreprises ne présentant pas de garanties éthiques suffisantes. Ce débat sur l'utilisation des fonds doit avoir lieu dans toutes les communautés religieuses. Que l'on pense simplement à la puissance financière de certains mouvements pentecôtistes d'Amérique du Sud qui possèdent, entre autres, des chaînes de télévision. Sans transparence ni contrôle démocratique, c'est la porte ouverte aux dérives.
§Propos recueillis par Jacques-Olivier PidouxPhotos: Editions Fayard, Paris, téléphone 0033 1 45 49 82 00, demandez Madame Dominique Fusco.