Rituels: le grand retour
21 septembre 2000
Bénédiction d'une union sans mariage civil, baptême d'adultes par immersion dans le lac, "célébration" d'un divorce, gestes rituels pour accompagner une personne en fin de vie, service funèbre dans un bistrot: on assiste à des demandes de rites d'un autre type, quelquefois farfelues et déconcertantes, qui s'inscrivent dans un désir de donner sens à des passages cruciaux de la vie
Ces requêtes sont un véritable remise en question pour les "faiseurs de rites" traditionnels que sont les prêtres et les pasteurs. Ici et là, des ecclésiastiques osent des rites nouveaux. Pour exprimer ce qui n'a pas d'autre langage pour se dire. Enquête.Des demandes de célébrations plus ou moins fantaisistes, mêlant christianisme, New Age et pratiques empruntées à d'autres religions, Isabelle Graesslé, pasteure à Genève, en a souvent reçues. "On m'a aussi bien sollicitée pour bénir l'union d'un couple qui a renoncé à se marier civilement que pour célébrer un mariage dans une prairie ou en forêt. Une famille m'a demandé un service funèbre sur le lac pour y disperser les cendres d'un parent. J'ai aussi été approchée pour "célébrer" un divorce".
Ces requêtes nouvelles ont poussé Isabelle Graesslé à mener tout un travail de réflexion sur le retour des rituels afin de pouvoir mieux comprendre les enjeux des actes symboliques que bien des gens souhaitent pour jalonner leur existence et marquer les temps forts. On commence à réaliser aujourd'hui, dans notre société pauvre en symboles, que le rite peut être une façon d'exprimer ce qui n'a pas d'autre langage pour se dire.
Souvent confrontée à la mort de jeunes gens, Dominique Roulin, pasteure en charge du ministère sida à Genève, a été elle aussi amenée à chercher le sens des rites qu'on lui demande de pratiquer.
"J'ai conduit un service funèbre laïque dans un bistrot de la rue des Etuves à Genèvepour une jeune femme morte du sida, se souvient-elle, au cours duquel chaque participant a été invité à parler de la défunte. Cela a permis à l'entourage de la défunte de la laisser partir en paix, mais aussi de faire la paix avec elle".
§Séparer les vivants et les mortsPour Dominique Roulin,il est très important de bien marquer la différence entre les vivants et les morts, entre l'avant et l'après, pour que chacun puisse entamer un deuil et chasser les fantômes des esprits. Elle estime qu'il n'y a rien de plus difficile à vivre pour l'entourage que ces cérémonies d'enterrement faites à la sauvette, au cours desquelles personne n'évoque la mémoire du disparu, où l'on se contente de musique pour tout repère. "On ne sait même plus qui on enterre dans ce genre de cérémonie, le mort en est absent".
Lors du service funèbre d'un homme dont l'homosexualité avait été tenue secrète, Dominique Roulin a dit tout haut en chaire ce que tout le monde semblait ignorer, soulageant du même coup l'épouse et la fille du défunt, les délivrant d'un secret lourd à porter et restituant au mort sa pleine identité. C'est pour les espaces d'authenticité qu'elle suscite et pour les gestes symboliques qu'elle propose que Dominique Roulin est souvent sollicitée pour enterrer des jeunes, morts d'overdose ou du sida, fauchés lors d'un accident ou qui se sont suicidés.
Elle n'accepte toutefois de conduire une célébration "d'un autre type" que dans la mesure où l'on accepte pleinement son identité de pasteure et le cadre très précis qu'elle fixe. "Il n'est pas question que j'accepte tout et n'importe quoi, précise-t-elle, je résiste aux demandes de cérémonies bricolées de bric et de broc".
Franceline James, psychiatre et responsable d'une consultation d'ethnopsychiatrie à Genève, invitée à faire part de sa réflexion dans un récent bulletin du Centre protestant d'études, rappelle qu'un rituel est toujours relié à un moment de passage dont il est l'articulation. Il est un relais nécessaire entre le monde culturel externe et le monde psychique interne. Le rite permet qu'il y ait un avant et un après, il marque la transition d'un statut ou d'un état social à un autre. Notre société en a fait l'économie, mais aujourd'hui réapparaît le besoin de rites pour jalonner l'existence.
C'est d'ailleurs par un rite de passage que les gens renouent parfois avec leur confession. "Il leur permet de retrouver leurs origines et la richesse de leur tradition" constate Isabelle Graesslé.
La demande d'actes symboliques est tout particulièrement forte en milieu hospitalier, notamment dans les unités de soins intensifs. Deux mondes s'y entrechoquent, celui de la haute compétence technique et celui des liens émotifs. Cosette Odier, aumônier au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), a mené une étude auprès du personnel soignant qu'elle côtoie tous les jours, afin d'envisager de nouvelles pistes pour accomplir son travail d'accompagnement et proposer des repères à des moments où la vie et la mort sont très imbriquées et où l'angoisse et le stress deviennent trop forts.
"On a fini par se rendre compte qu'on ne pouvait pas laisser les gens mourir comme des chiens", explique la pasteure. Elle a eu tout loisir d'observer dans sa pratique tout un rituel de mort qui est apparu aux soins intensifs: décision d'arrêter de s'acharner quand on s'aperçoit que la bataille auprès d'un patient est vaine, ouverture de la fenêtre lors du décès, geste symbolique ancestral qui est censé laisser l'âme s'en aller, annonce du décès aux proches, toilette du mort.
Les infirmières ont confié à Cosette Odier qu'elles prononcent en secret une parole tout à fait personnelle auprès d'une personne à l'agonie. C'est un dernier adieu, une aide au passage, une parole de convictions intimes qui n'ose pas se dire à haute voix, mais qui a pour but de donner réconfort et sens. "Au moment ou la compétence technique passe au second plan, dans cet ultime moment de vie, la tendresse et le respect de la personne s'expriment dans des gestes et des actes dont la valeur symbolique les apparente à un rituel".
Ces requêtes nouvelles ont poussé Isabelle Graesslé à mener tout un travail de réflexion sur le retour des rituels afin de pouvoir mieux comprendre les enjeux des actes symboliques que bien des gens souhaitent pour jalonner leur existence et marquer les temps forts. On commence à réaliser aujourd'hui, dans notre société pauvre en symboles, que le rite peut être une façon d'exprimer ce qui n'a pas d'autre langage pour se dire.
Souvent confrontée à la mort de jeunes gens, Dominique Roulin, pasteure en charge du ministère sida à Genève, a été elle aussi amenée à chercher le sens des rites qu'on lui demande de pratiquer.
"J'ai conduit un service funèbre laïque dans un bistrot de la rue des Etuves à Genèvepour une jeune femme morte du sida, se souvient-elle, au cours duquel chaque participant a été invité à parler de la défunte. Cela a permis à l'entourage de la défunte de la laisser partir en paix, mais aussi de faire la paix avec elle".
§Séparer les vivants et les mortsPour Dominique Roulin,il est très important de bien marquer la différence entre les vivants et les morts, entre l'avant et l'après, pour que chacun puisse entamer un deuil et chasser les fantômes des esprits. Elle estime qu'il n'y a rien de plus difficile à vivre pour l'entourage que ces cérémonies d'enterrement faites à la sauvette, au cours desquelles personne n'évoque la mémoire du disparu, où l'on se contente de musique pour tout repère. "On ne sait même plus qui on enterre dans ce genre de cérémonie, le mort en est absent".
Lors du service funèbre d'un homme dont l'homosexualité avait été tenue secrète, Dominique Roulin a dit tout haut en chaire ce que tout le monde semblait ignorer, soulageant du même coup l'épouse et la fille du défunt, les délivrant d'un secret lourd à porter et restituant au mort sa pleine identité. C'est pour les espaces d'authenticité qu'elle suscite et pour les gestes symboliques qu'elle propose que Dominique Roulin est souvent sollicitée pour enterrer des jeunes, morts d'overdose ou du sida, fauchés lors d'un accident ou qui se sont suicidés.
Elle n'accepte toutefois de conduire une célébration "d'un autre type" que dans la mesure où l'on accepte pleinement son identité de pasteure et le cadre très précis qu'elle fixe. "Il n'est pas question que j'accepte tout et n'importe quoi, précise-t-elle, je résiste aux demandes de cérémonies bricolées de bric et de broc".
Franceline James, psychiatre et responsable d'une consultation d'ethnopsychiatrie à Genève, invitée à faire part de sa réflexion dans un récent bulletin du Centre protestant d'études, rappelle qu'un rituel est toujours relié à un moment de passage dont il est l'articulation. Il est un relais nécessaire entre le monde culturel externe et le monde psychique interne. Le rite permet qu'il y ait un avant et un après, il marque la transition d'un statut ou d'un état social à un autre. Notre société en a fait l'économie, mais aujourd'hui réapparaît le besoin de rites pour jalonner l'existence.
C'est d'ailleurs par un rite de passage que les gens renouent parfois avec leur confession. "Il leur permet de retrouver leurs origines et la richesse de leur tradition" constate Isabelle Graesslé.
La demande d'actes symboliques est tout particulièrement forte en milieu hospitalier, notamment dans les unités de soins intensifs. Deux mondes s'y entrechoquent, celui de la haute compétence technique et celui des liens émotifs. Cosette Odier, aumônier au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), a mené une étude auprès du personnel soignant qu'elle côtoie tous les jours, afin d'envisager de nouvelles pistes pour accomplir son travail d'accompagnement et proposer des repères à des moments où la vie et la mort sont très imbriquées et où l'angoisse et le stress deviennent trop forts.
"On a fini par se rendre compte qu'on ne pouvait pas laisser les gens mourir comme des chiens", explique la pasteure. Elle a eu tout loisir d'observer dans sa pratique tout un rituel de mort qui est apparu aux soins intensifs: décision d'arrêter de s'acharner quand on s'aperçoit que la bataille auprès d'un patient est vaine, ouverture de la fenêtre lors du décès, geste symbolique ancestral qui est censé laisser l'âme s'en aller, annonce du décès aux proches, toilette du mort.
Les infirmières ont confié à Cosette Odier qu'elles prononcent en secret une parole tout à fait personnelle auprès d'une personne à l'agonie. C'est un dernier adieu, une aide au passage, une parole de convictions intimes qui n'ose pas se dire à haute voix, mais qui a pour but de donner réconfort et sens. "Au moment ou la compétence technique passe au second plan, dans cet ultime moment de vie, la tendresse et le respect de la personne s'expriment dans des gestes et des actes dont la valeur symbolique les apparente à un rituel".