Face au nazisme, des protestants suisses refusèrent de se taire

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Face au nazisme, des protestants suisses refusèrent de se taire

3 novembre 2000
Dans "Impossible de se taire, des protestants suisses face au nazisme", le journaliste Paul-Emile Dentan rend hommage aux hommes et aux femmes protestants qui firent honneur à la Suisse en accueillant les réfugiés juifs et refusèrent la "raison d'Etat" que les autorités avaient forgée au nom de la neutralité
S'il n'est pas exhaustif, - il manque notamment le nom et le destin extraordinaire du pasteur appenzellois Hans Schaffert(voir encadré)-, l'ouvrage de Paul-Emile Dentan a le mérite de rappeler, en plein réexamen du passé par les historiens, que des Suisses s'engagèrent pour secourir des réfugiés, en dépit de la fermeture le 22 août 1942 des frontières par le Conseiller fédéral Eduard von Steiger et le chef de la Police fédérale des étrangers Heinrich Rothmund.

Cette mesure suscita de vigoureuses réactions. Des protestants eurent le courage de refuser la "raison d'Etat" que les autorités d'alors avaient forgée au nom de la neutralité et de la sécurité de l'Etat. L'un d'entre eux, Arthur Frey, qui dirigeait le service de presse protestant de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) exhorta les Suisses, dans une brochure sur "L'Etat de droit" parue en 1941, à ne pas écouter les sirènes du "Nouvel ordre européen" et à refuser d'obéir aveuglément à la puissance de l'Etat. L'obéissance aux hommes, pour lui, ne devait pas conduire à désobéir à Dieu, ni créer des conflits de conscience. La brochure fut interdite.

§"Nous refoulons le Christ de nos frontières"Des hommes et des femmes en première ligne des Eglises protestantes se démenèrent alors pour accueillir des réfugiés considérés comme "illégaux". Le 30 août 1942, à la Landggemeinde d'Oerlikon, Le pasteur bâlois Walter Lüthi lança une terrible accusation: "Nous refoulons le Christ de nos frontières".

Dès 1933, un pasteur bâlois, Alfons Koechlin, avait compris le caractère fondamentalement anti-chrétien du nazisme, alors que d'autres voulaient y voir "un rempart providentiel contre le bolchévisme". De retour du fameux camp d'internement de Gurs dans les Pyrénées, où les Français entassaient les réfugiés de la guerre d'Espagne et les Juifs expulsés d'Allemagne, il encouragea infatigablement tout le monde à secourir des réfugiés. Il essaya de convaincre les autorités de remettre à la première place les vérités chrétiennes sur lesquelles reposait l'existence de la Suisse. Il engagea l'Eglise à résister contre le totalitarisme.

Sur le terrain, Odette Micheli, très engagée au service de l'Eglise nationale protestante de Genève, se débrouilla pour accueillir des milliers d'enfants tuberculeux venus de France occupée. A la fin de la guerre, elle sauva également les habitants de Dunkerque d'un bombardement allié. En Appenzell, Gertrud Kurz se démena pour venir en aide aux réfugiés.

A Roubaix où il avait été envoyé en mission, le pasteur suisse Marcel Pasche organisa des planques chez des paroissiens, fit passer des réfugiés en Suisse et créa un secrétariat d'assistance judiciaire gratuite pour les personnes arrêtées sous l'Occupation. Il réussit à obtenir 64 libérations et assurer la défense de 430 inculpés.

A Zurich, le pasteur Paul Vogt devint "le pasteur des réfugiés" et lutta de toutes ses forces contre l'antisémitisme. A Genève, le pasteur Jean De Saussure s organisa l'accueil provisoire de centaines d'enfants.

En Ajoie, le préfet Victor Henry, protestant élu pour cinq législatures par des électeurs catholiques, prit la liberté de ne pas suivre toutes les instructions concernant les refoulements. Il travailla main dans la main avec le curé Membrez, responsable de l'Eglise catholique de la région, pour que l'accueil de réfugiés se fît dans les meilleures conditions possibles.

A Lyon,le pasteur genevois Roland de Pury organisa de nombreux passages vers des lieux de refuge, fournit des faux-papiers et des abris provisoires aux réfugiés clandestins. Suspecté de faire partie de la Résistance, il fut arrêté par la Gestapo alors qu'il montait en chaire. Pendant sa captivité, il rédigea un journal de cellule dans lequel il nota: "Seigneur, garde la Suisse de toute hypocrisie et d'être satisfaite d'elle-même". A ces noms, il faut bien entendu ajouter celui du pasteur bâlois Karl Barth, qui fut le premier à avoir compris le terrible dessein des nazis".

Partout dans le pays, des hommes et des femmes, déterminés à ne jamais consentir intérieurement à l'injustice, firent honneur à la Suisse. Aujourd'hui, il est bon de se les rappeler.

§Paul-Emile Dentan, "Impossible de se taire, des protestants suisses face au nazisme", 133 pp. éd. Labor et Fides.