Passeport helvétique et coeur arménien:Les Arméniens de Suisse vont célébrer 1700 ans de christianisme
16 janvier 2001
Forte de quelque 4000 membres, descendants pour la plupart des rescapés des massacres de 1895 et du génocide de 1915 qui firent plus d'un million de morts, la Communauté arménienne de Suisse s'apprête à célébrer 1700 ans de christianisme en Arménie
Présentation d'une communauté chaleureuse et solidaire, méconnue des Suisses, qui a fait du devoir de mémoire un combat contre le crime du silence."Il y a l'Arménie de la diaspora, fracturée, dépossédée et dispersée, constate l'écrivain arménien Vahé Godel dans "Ruelle des Oiseaux, cette dernière vit dans une mémoire mythique, déconnectée de l'histoire". Pour le poète installé à Genève, les Arméniens de la diaspora éprouvent toutes les peines du monde à se représenter et à admettre l'existence de la république d'Arménie qui existe depuis 1991 et constitue le foyer national naturel. "Pour les exilés, cette Arménie-là, c'est un peu l'étranger".
§"J'ai tout laissé derrière moi"Irma, 51 ans, rencontrée en Centre culturel arménien, n'a jamais mis les pieds en Arménie mais elle parle l'arménien couramment et connaît l'histoire de son pays par cœur.
"Je suis née à Istambul, raconte-t-elle, en m'offrant spontanément le café au Centre culturel arménien de Genève, j'ai quitté la Turquie à l'âge de 31 ans, en laissant tout derrière moi, ma famille, le commerce que nous possédions mon mari et moi. Je me sentais tellement étrangère, tellement peu en sécurité là-bas".
La peur qui l'habitait ne l'a jamais véritablement quittée, même après vingt ans d'exil en Suisse, l'obtention du passeport à croix-blanche et des enfants nés en Suisse. Elle cultive, comme tous les Arméniens, le devoir de mémoire. Et raconte, le visage soudain assombri, le récit que son beau-père, témoin du massacre de 1915, a transmis à toute sa famille. Alors qu'il était enfant et jouait dans la rue avec ses frères et sœurs, il a vu son père se faire assassiner. Il se précipita à la maison en criant à sa mère: "Ils sont en train de couper la tête de papa". La mère, incrédule, l'a grondé. La pauvre dut très rapidement découvrir que son fils n'avait pas menti. Chaque année, le 24 avril, la famille exilée à Genève se rend au service de commémoration de l'arrestation et de la disparition de 300 intellectuels arméniens à Istambul.
§L'Eglise au coeur de la communautéPour le prêtre Abel Oghlukian, qui préside aux destinées de la communauté arménienne de quelque 4000 membres dispersés dans toute la Suisse, la réalité de la république indépendante d'Arménie, proclamée en 1991, n'a rien de mythique. Né au Liban, il a fait son séminaire à Etchmiadzine près d'Erevan, sous le régime soviétique qui tolérait un nombre limité d'étudiants, bien entendu interdits de prêche. Ordonné prêtre, il a d'abord séjourné à Vienne puis à Toronto, où il fut vicaire de l'importante communauté de la diaspora arménienne au Canada. En 1995, il accepta le poste de curé à l'église de Saint Hagop à Genève. L'église a été construite en 1969 avec des pierres roses importées d'Arménie et les dons d'un mécène arménien.
§Capital de sympathie "L'Eglise est le cœur de la communauté arménienne de Suisse", explique-t-il avant de préciser que cette dernière remonte aux années 1897, peu après les premiers massacres perpétrés contre les Arméniens dans l'empire ottoman. A cette occasion, le peuple suisse s'était mobilisé de façon importante pour signer une pétition nationale munie de 450'000 signatures demandant l'intervention du Conseil fédéral.
Etant chrétiens, les Arméniens jouissaient d'un important capital de sympathie chez les protestants suisses qui créèrent des hôpitaux et des orphelinats sur place. Dans les années 20, la Suisse a accueilli plusieurs centaines de rescapés du génocide, dont plus de 200 orphelins hébergés notamment à Begnins (VD).
§Mentalité suisse mais cœur arménienLa mentalité des descendants de ces premiers exilés arméniens est devenue suisse, mais leur cœur est resté arménien et l'Eglise leur rappelle régulièrement de ne pas perdre leurs racines ni d'oublier le génocide arménien tant qu'il n'aura pas été reconnu officiellement, comme la France vient de le faire tout récemment, par toutes les nations, dont la Suisse.
Cette année de jubilé sera peut-être l'occasion pour des Arméniens nés en exil de découvrir la terre de leurs ancêtres. La jeune République arménienne, exsangue, a un pressant besoin de devises et attend beaucoup de visiteurs. Mais a-t-elle l'infrastructure nécessaire pour les recevoir? La question préoccupe actuellement les agences de voyages locales, comme The Levon Travel Agency, qui doute que le pays ait assez d'hôtels "acceptables" pour le touriste venu d'Europe ou des Etats Unis, où se trouve une importante communauté arménienne.
§"J'ai tout laissé derrière moi"Irma, 51 ans, rencontrée en Centre culturel arménien, n'a jamais mis les pieds en Arménie mais elle parle l'arménien couramment et connaît l'histoire de son pays par cœur.
"Je suis née à Istambul, raconte-t-elle, en m'offrant spontanément le café au Centre culturel arménien de Genève, j'ai quitté la Turquie à l'âge de 31 ans, en laissant tout derrière moi, ma famille, le commerce que nous possédions mon mari et moi. Je me sentais tellement étrangère, tellement peu en sécurité là-bas".
La peur qui l'habitait ne l'a jamais véritablement quittée, même après vingt ans d'exil en Suisse, l'obtention du passeport à croix-blanche et des enfants nés en Suisse. Elle cultive, comme tous les Arméniens, le devoir de mémoire. Et raconte, le visage soudain assombri, le récit que son beau-père, témoin du massacre de 1915, a transmis à toute sa famille. Alors qu'il était enfant et jouait dans la rue avec ses frères et sœurs, il a vu son père se faire assassiner. Il se précipita à la maison en criant à sa mère: "Ils sont en train de couper la tête de papa". La mère, incrédule, l'a grondé. La pauvre dut très rapidement découvrir que son fils n'avait pas menti. Chaque année, le 24 avril, la famille exilée à Genève se rend au service de commémoration de l'arrestation et de la disparition de 300 intellectuels arméniens à Istambul.
§L'Eglise au coeur de la communautéPour le prêtre Abel Oghlukian, qui préside aux destinées de la communauté arménienne de quelque 4000 membres dispersés dans toute la Suisse, la réalité de la république indépendante d'Arménie, proclamée en 1991, n'a rien de mythique. Né au Liban, il a fait son séminaire à Etchmiadzine près d'Erevan, sous le régime soviétique qui tolérait un nombre limité d'étudiants, bien entendu interdits de prêche. Ordonné prêtre, il a d'abord séjourné à Vienne puis à Toronto, où il fut vicaire de l'importante communauté de la diaspora arménienne au Canada. En 1995, il accepta le poste de curé à l'église de Saint Hagop à Genève. L'église a été construite en 1969 avec des pierres roses importées d'Arménie et les dons d'un mécène arménien.
§Capital de sympathie "L'Eglise est le cœur de la communauté arménienne de Suisse", explique-t-il avant de préciser que cette dernière remonte aux années 1897, peu après les premiers massacres perpétrés contre les Arméniens dans l'empire ottoman. A cette occasion, le peuple suisse s'était mobilisé de façon importante pour signer une pétition nationale munie de 450'000 signatures demandant l'intervention du Conseil fédéral.
Etant chrétiens, les Arméniens jouissaient d'un important capital de sympathie chez les protestants suisses qui créèrent des hôpitaux et des orphelinats sur place. Dans les années 20, la Suisse a accueilli plusieurs centaines de rescapés du génocide, dont plus de 200 orphelins hébergés notamment à Begnins (VD).
§Mentalité suisse mais cœur arménienLa mentalité des descendants de ces premiers exilés arméniens est devenue suisse, mais leur cœur est resté arménien et l'Eglise leur rappelle régulièrement de ne pas perdre leurs racines ni d'oublier le génocide arménien tant qu'il n'aura pas été reconnu officiellement, comme la France vient de le faire tout récemment, par toutes les nations, dont la Suisse.
Cette année de jubilé sera peut-être l'occasion pour des Arméniens nés en exil de découvrir la terre de leurs ancêtres. La jeune République arménienne, exsangue, a un pressant besoin de devises et attend beaucoup de visiteurs. Mais a-t-elle l'infrastructure nécessaire pour les recevoir? La question préoccupe actuellement les agences de voyages locales, comme The Levon Travel Agency, qui doute que le pays ait assez d'hôtels "acceptables" pour le touriste venu d'Europe ou des Etats Unis, où se trouve une importante communauté arménienne.