Un théologien congolais repense le christianisme africain post-colonialiste
7 mai 2001
Théologien congolais francophone au parler vrai, Kä Mana est l’une des figures de proue de la réflexion théologique africaine
Il n'hésite pas dénoncer ce qui cloche dans le christianisme africain, à s'en prendre à s'en prendre à son morcellement confessionel qui ne fait que renforcer les logiques tribales. De passage en Suisse, Kä Mana explique que le christianisme doit maintenant se libérer des tares congénitales liées à son origine coloniale, qui a fait des Africains des zombies. Il affirme que le salut du message évangélique doit passer par une valorisation de la Vie, qui est au cœur même des différentes traditions religieuses et culturelles en Afrique. Dépaysant!"La vie est la valeur centrale de l'Afrique. S'il faut reprendre le projet chrétien sur le continent noir, c'est à partir de là qu'il nous faut repartir!" Kä Mana est Congolais. Il est l'un des théologiens africains francophones contemporains les plus remuants. De passage en Suisse, il n'hésite pas à mettre le doigt là où cela fait mal. Après avoir développé une réflexion théologique autour de la notion de reconstruction au début des années 90, il veut aujourd'hui repenser le christianisme africain à partir de la Vie, une valeur centrale dans les différentes traditions religieuses et culturelles de l'Afrique.
§Prendre la mesure du génocide rwandais"Le génocide rwandais et ses plus de 500'000 morts a constitué un véritable ouragan dans les Eglises et dans le monde théologique africains. Le Rwanda s'affichait comme la preuve de la réussite missionnaire avec ses quasi 90% de chrétiens. En quelques semaines, ce pays devint un véritable cauchemar, la réalisation finale d'un christianisme de la catastrophe".
Pour Kä Mana, le christianisme africain du XXIe siècle doit prendre toute la mesure des tares qu'il véhicule de manière congénitale. Le "christianisme de la catastrophe" qui a été apporté par les Occidentaux en Afrique était un "christianisme de puissance". "Alors que dans l'Empire romain, explique Kä Mana, la foi chrétienne était proclamée par des sans-pouvoir, en Afrique elle est venue avec les colons, des oppresseurs porteurs d'un message de puissance". De plus ce christianisme de la catastrophe était aussi marqué par l'idée du "monopole de la vérité". "En affirmant que nos traditions religieuses relevaient du paganisme, on tuait notre identité et on a fait de nous de véritables zombies!" Le principe de la table rase en vogue chez de nombreux missionnaires face aux convictions religieuses africaines, s'est révélé inadéquat et foncièrement injuste par rapport à la perception de Dieu propre aux Africains.
Pour Kä Mana, le christianisme de la catastrophe propagé par nombre de missionnaires a aussi donné la priorité à une manière de vivre la foi exubérante et théâtrale. "Il suffit pour cela, affirme Kä Mana, d'assister à nos cultes et à nos rencontres de prière. Aujourd'hui en Afrique, les chrétiens chantent et dansent dans leurs lieux de culte alors que la société s'effondre.
§Des personnalités fondatricesLe christianisme de la Vie auquel appelle le pasteur et théologien Kä Mana ne part pas de rien. Il s'enracine dans des figures fondatrices qui ont marqué de leur empreinte indélébile l'histoire africaine du christianisme. Kä Mana aime à citer ce prophète libérien qui réussit, entre 1913 et 1915, à évangéliser une partie de la côte occidentale de l'Afrique, là où les Blancs séchaient. William Wadé Harris sut trouver les mots et les attitudes pour toucher les Africains. Il montra combien l'esprit magico-religieux qui les dominait était un obstacle à l'épanouissement de leur société. Harris parvint aussi à convaincre nombre d'Africains de construire ensemble un espace de bonheur partagé, où le Christ intervienne comme une sorte de ciment social. William Wadé Harris est à l'origine de l'Eglise harriste, une Eglise indépendante africaine très dynamique en Côte-d'Ivoire, au Ghana et au Bénin.
Kä Mana aime aussi raconter l'histoire d'une femme du XVIIIe siècle au Royaume Kongo. Don Béatrice Kimpa Vita finit sa vie sur un bûcher, brûlée vive par l'autorité coloniale. Mais ce ne fut pas sans avoir contesté le pouvoir colonial et sa pratique de la traite des Noirs. Don Béatrice Kimpa Vita réagit à la compromission des missionnaires. Elle appela à un christianisme authentique qui inscrive la liberté de chaque être humain et la libération de chacun au cœur de la proclamation évangélique.
§Jésus l'Africain"Fondamentalement, affirme Kä Mana, le christianisme n'est pas une religion étrangère à l'Afrique. Il suffit pour cela de se rappeler que Moïse était Africain, que c'est ce prophète qui a puisé dans la tradition religieuse africaine la sève de son message libérateur. Selon le théologien congolais, Jésus n'a rien fait d'autre en trouvant refuge avec ses parents en Afrique juste après sa naissance. "Par ce séjour, il s'est enraciné dans la vie spirituelle africaine".
Le christianisme de la Vie passe donc par une ouverture fondamentale aux vérités que renferment les traditions religieuses africaines. Kä Mana considère que ce n'est que par un dialogue ouvert avec elles que l'on reconnaîtra la présence millénaire de Dieu sur le continent noir. Pour le théologien congolais, les Eglises doivent aussi privilégier l'éthique, plutôt que la théâtralisation de leurs cérémonies. "Si l'on n'investit pas aujourd'hui en priorité dans le développement des qualités humaines des chrétiens, on construit sur du sable".
Il importe aussi que le christianisme africain prenne conscience que son morcellement confessionnel renforce les logiques tribales et identitaires. "Le temps est venu d'en finir avec le scandale de la guerre d'hégémonie entre catholiques, évangéliques, protestants et chrétiens africains indépendants. Les chrétiens sont appelés à un œcuménisme fécond qui puisse les engager ensemble dans une compréhension enrichissante de leurs traditions mutuelles". Tout cela au nom du Dieu de la tradition biblique, qui est avant tout le Dieu de la Vie!
§Kä Mana, La nouvelle évangélisation en Afrique, Paris, Karthala, 2000.§Le théologien Kä Mana est l'invité de l'émission "A vue d'esprit" sur Espace 2, du 9 au 11 mai à 13h30.
§Prendre la mesure du génocide rwandais"Le génocide rwandais et ses plus de 500'000 morts a constitué un véritable ouragan dans les Eglises et dans le monde théologique africains. Le Rwanda s'affichait comme la preuve de la réussite missionnaire avec ses quasi 90% de chrétiens. En quelques semaines, ce pays devint un véritable cauchemar, la réalisation finale d'un christianisme de la catastrophe".
Pour Kä Mana, le christianisme africain du XXIe siècle doit prendre toute la mesure des tares qu'il véhicule de manière congénitale. Le "christianisme de la catastrophe" qui a été apporté par les Occidentaux en Afrique était un "christianisme de puissance". "Alors que dans l'Empire romain, explique Kä Mana, la foi chrétienne était proclamée par des sans-pouvoir, en Afrique elle est venue avec les colons, des oppresseurs porteurs d'un message de puissance". De plus ce christianisme de la catastrophe était aussi marqué par l'idée du "monopole de la vérité". "En affirmant que nos traditions religieuses relevaient du paganisme, on tuait notre identité et on a fait de nous de véritables zombies!" Le principe de la table rase en vogue chez de nombreux missionnaires face aux convictions religieuses africaines, s'est révélé inadéquat et foncièrement injuste par rapport à la perception de Dieu propre aux Africains.
Pour Kä Mana, le christianisme de la catastrophe propagé par nombre de missionnaires a aussi donné la priorité à une manière de vivre la foi exubérante et théâtrale. "Il suffit pour cela, affirme Kä Mana, d'assister à nos cultes et à nos rencontres de prière. Aujourd'hui en Afrique, les chrétiens chantent et dansent dans leurs lieux de culte alors que la société s'effondre.
§Des personnalités fondatricesLe christianisme de la Vie auquel appelle le pasteur et théologien Kä Mana ne part pas de rien. Il s'enracine dans des figures fondatrices qui ont marqué de leur empreinte indélébile l'histoire africaine du christianisme. Kä Mana aime à citer ce prophète libérien qui réussit, entre 1913 et 1915, à évangéliser une partie de la côte occidentale de l'Afrique, là où les Blancs séchaient. William Wadé Harris sut trouver les mots et les attitudes pour toucher les Africains. Il montra combien l'esprit magico-religieux qui les dominait était un obstacle à l'épanouissement de leur société. Harris parvint aussi à convaincre nombre d'Africains de construire ensemble un espace de bonheur partagé, où le Christ intervienne comme une sorte de ciment social. William Wadé Harris est à l'origine de l'Eglise harriste, une Eglise indépendante africaine très dynamique en Côte-d'Ivoire, au Ghana et au Bénin.
Kä Mana aime aussi raconter l'histoire d'une femme du XVIIIe siècle au Royaume Kongo. Don Béatrice Kimpa Vita finit sa vie sur un bûcher, brûlée vive par l'autorité coloniale. Mais ce ne fut pas sans avoir contesté le pouvoir colonial et sa pratique de la traite des Noirs. Don Béatrice Kimpa Vita réagit à la compromission des missionnaires. Elle appela à un christianisme authentique qui inscrive la liberté de chaque être humain et la libération de chacun au cœur de la proclamation évangélique.
§Jésus l'Africain"Fondamentalement, affirme Kä Mana, le christianisme n'est pas une religion étrangère à l'Afrique. Il suffit pour cela de se rappeler que Moïse était Africain, que c'est ce prophète qui a puisé dans la tradition religieuse africaine la sève de son message libérateur. Selon le théologien congolais, Jésus n'a rien fait d'autre en trouvant refuge avec ses parents en Afrique juste après sa naissance. "Par ce séjour, il s'est enraciné dans la vie spirituelle africaine".
Le christianisme de la Vie passe donc par une ouverture fondamentale aux vérités que renferment les traditions religieuses africaines. Kä Mana considère que ce n'est que par un dialogue ouvert avec elles que l'on reconnaîtra la présence millénaire de Dieu sur le continent noir. Pour le théologien congolais, les Eglises doivent aussi privilégier l'éthique, plutôt que la théâtralisation de leurs cérémonies. "Si l'on n'investit pas aujourd'hui en priorité dans le développement des qualités humaines des chrétiens, on construit sur du sable".
Il importe aussi que le christianisme africain prenne conscience que son morcellement confessionnel renforce les logiques tribales et identitaires. "Le temps est venu d'en finir avec le scandale de la guerre d'hégémonie entre catholiques, évangéliques, protestants et chrétiens africains indépendants. Les chrétiens sont appelés à un œcuménisme fécond qui puisse les engager ensemble dans une compréhension enrichissante de leurs traditions mutuelles". Tout cela au nom du Dieu de la tradition biblique, qui est avant tout le Dieu de la Vie!
§Kä Mana, La nouvelle évangélisation en Afrique, Paris, Karthala, 2000.§Le théologien Kä Mana est l'invité de l'émission "A vue d'esprit" sur Espace 2, du 9 au 11 mai à 13h30.