Des livres sans référence religieuse sont distribués aux prisonniers athées
«Les personnes incarcérées ne sont pas tous religieux et il n’y a pas besoin de croire en Dieu pour être un citoyen honnête et productif», a constaté Leslie Zukor. En 2005, cette jeune femme alors âgée de vingt ans et étudiante au Reed College, une université américaine située à Portland dans l’Oregon, a lancé le projet Freethought Books, visant à distribuer des livres non-orientés religieusement.
Leslie Zukor, qui a analysé les programmes de réhabilitation dans les prisons pendant ses études, a rassemblé des ouvrages à propos de l’athéisme, de l’humanisme et des sciences pour les envoyer à certains prisonniers intéressés. Elle estime avoir envoyé 2300 livres, magazines et journaux à des centaines de détenus à travers le pays.
Actuellement, ce projet connaît une large expansion. L’année dernière, Leslie Zukor, qui a maintenant 28 ans et qui est devenue une photographe à Seattle, l’a cédé au Center for Inquiry (CFI), une organisation nationale d’humanistes basée à Amherst dans l’état de New York. Depuis une année, le CFI a reçu des centaines d’œuvres de la part d’éditeurs et d’auteurs.
Les conservateurs chrétiens s’opposentLe développement de ce projet suscite des réactions qui ne sont pas toujours positives. Certains opposants chrétiens et conservateurs lui reprochent de «lutter contre la Bible» et «d’orienter les détenus contre Dieu». Des critiques que Leslie Zukor et d’autres non-croyants ont réfutées.
«Les chrétiens ont pour mandat de convertir les gens, mais ce n’est pas le cas des libres penseurs», explique Sarah Kaiser, l’une des deux nouvelles coordinatrices du projet. «Nous voulons juste que tout le monde puissent exprimer ses doutes et poser des questions.»
Jusqu’à récemment, le projet Freethought Books était une petite opération. Pendant que Leslie Zukor récoltait et envoyait du matériel de lecture depuis le Nord-Ouest des Etats-Unis, Joel Justiss, un développeur informatique basé à San Antonio, l’aidait à identifier les lecteurs intéressés grâce à un bulletin d’information laïque, envoyé dans les prisons.
Joel Justiss est un membre de Brights, une organisation nationale de non-croyants avec une vision naturaliste du monde. «Brights n’a pas les moyens d’envoyer des livres. Quand j’ai découvert ce que faisait Leslie, je me suis rendu compte que c’était exactement ce que les membres attendaient de moi». Il a ainsi envoyé à chaque détenu intéressé des informations à propos du projet et transmis leur demande à Leslie Zukor.
Joel Justiss, qui est devenu athée après avoir été chrétien pendant 40 ans, a signalé un important besoin d’améliorer la situation des détenus non-croyants. Certains d’entre eux lui écrivent qu’ils sont traités différemment parce qu’ils ne sont pas chrétiens.
Des personnes marginalisées«Ils se plaignent d’être exclus des prestations spéciales réservées aux prisonniers chrétiens. Ils disent également être victimes d’attaques aussi bien de la part des autres détenus que des gardiens. Selon eux, les personnes incarcérées sont les plus religieuses sur terre», explique Joel Justiss.
«Le CFI va continuer à collaborer avec Brights, mais il va aussi développer d’autres moyens pour identifier et contacter les prisonniers», précise Sarah Kaiser. Le bureau des statistiques du département de la justice américaine a compté 6,9 millions d’adultes dans le système carcéral en 2012. Parmi eux, seulement 0.07% à 0.2% sont athées.
«Cela signifie que les non-croyants sont encore plus une minorité en prison qu’à l’extérieur», constate Sarah Kaiser. «Ils ont donc un plus grand besoin de soutien». Une étude du Pew Research Center, un institut de recherche basé à Washington, a révélé que les athées et les agnostiques représentaient 5,7% de la population américaine.
Quels ouvrages propose le projet Freethought Books?Lorsque les prisonniers souhaitent des lectures générales, Sarah Kaiser leur envoie What is secular humanism (Qu’est-ce que l’humanisme laïque?) du philosophe américain Paul Kurtz, le fondateur de la FCI. Ou encore Faitheist (néologisme composé du mot «faith», la foi et «atheist», un athée) de l’écrivain Chris Stedman, un aumônier humaniste de l’Université d’Harvard.
D’autres livres tels que Trusting Doubt (faire confiance au doute) de Valérie Tarico, A Manual for Creating Atheists (Un manuel pour créer des athées) de Peter Boghossian et The Skeptic’s Annotated Bible (la Bible annotée des sceptiques) de Steve Wells, font partie de la liste.
Néanmoins, ce ne sont pas que des non-croyants qui passent commande. Sarah Kaiser a dit avoir reçu une lettre d’un détenu dans laquelle il écrivait «que Dieu bénisse le projet Freethought» et promettait de prier pour recevoir davantage de livres. «Il y a des personnes incarcérées religieuses et intéressées par les ouvrages des libres penseurs».
Le projet va prochainement inclure un programme de correspondance avec des non-croyants à l’extérieur. Et tandis que les conservateurs condamnent ce programme, il attire les éloges des prisonniers.
«Je vous remercie d’apporter du sens dans un environnement absurde», a écrit un détenu. «Il est réconfortant de trouver un point de vue alternatif dans les prisons. Les ouvrages que vous avez envoyés seront lus et relus encore longtemps». (lv)