Montée d’un bouddhisme radical en Asie
Image: Ashin Wirathu qui se décrit comme le Ben Laden birman a fait la une du Time Magazine, en juin 2013. DR
et Vishal Arora, Bangkok, RNS/Protestinter
Pour de nombreux occidentaux, le bouddhisme consiste à vouloir atteindre l’illumination, peut-être même le Nirvana, par des méthodes aussi pacifiques que la méditation et le yoga. Mais dans certaines régions d’Asie, un bouddhisme plus affirmé, véhément et militant est en train de voir le jour.
Dans trois régions où le bouddhisme est majoritaire, une forme de nationalisme religieux s’en est emparé.
- Au Sri Lanka, où environ 70% de la population est bouddhiste theravāda, un groupe de moines a formé le Bodu Bala Sena, la Force de puissance bouddhiste en 2012 pour «protéger» la culture bouddhiste du pays. La force, surnommé BBS, a effectué au moins 241 attaques contre les musulmans et 61 contre les chrétiens en 2013, selon le Congrès musulman du Sri Lanka.
- Au Myanmar, au moins 300 Rohingyas, une minorité musulmane, dont les ancêtres étaient des migrants du Bangladesh, ont été tués et jusqu’à 300’000 déplacés, selon Genocide Watch. Ashin Wirathu, un moine qui se décrit comme le Ben Laden birman encourage la violence en décrivant la présence des Rohingyas comme une «invasion» musulmane.
- Et dans la Thaïlande majoritairement bouddhiste, au moins 5000 personnes sont mortes dans la violence entre musulmans et bouddhistes dans le sud du pays. La Fondation Connaître Bouddha n’est pas un groupe violent, mais elle plaide pour une loi anti-blasphème afin de punir toute personne qui porterait atteinte à la foi. Le groupe milite également pour que le bouddhisme soit déclaré religion d’Etat et il dépeint la culture populaire comme une menace pour les croyants.
Bien que le fondamentalisme soit un terme qui, jusqu’ici, a été utilisé principalement dans des contextes chrétiens, musulmans ou hindouistes, certains commencent à l’utiliser pour décrire des bouddhistes.
Un bouddhiste ne peut pas être nationalisteMaung Zarni, un exilé birman qui a beaucoup écrit sur la violence en cours au Myanmar et au Sri Lanka, fait valoir qu’il n’y a pas de place pour l’intégrisme dans le bouddhisme. «Un bouddhiste ne peut pas être nationaliste», a déclaré ce chercheur invité à la London School of Economics. «Il n’y a pas de pays pour les bouddhistes. Je veux dire, rien de tel que “moi”, “ma” communauté, “mon” pays, “ma” race ou même “ma” foi dans cette religion.» Il considère ainsi la demande d’une loi anti-blasphème en Thaïlande comme une distorsion du bouddhisme, qui n’autorise aucune «organisation à définir une politique ou à réguler le comportement ou les pensées profondes des fidèles.»
Mais Acharawadee Wongsakon, la maître bouddhiste qui a fondé Connaître Bouddha, insiste sur le fait que le Bouddhisme a besoin d’une protection juridique et la société doit respecter certaines prescriptions sur ce qui doit être ou ne pas être fait. Elle et d’autres voient les nouveaux mouvements comme offrant «la vraie connaissance sur le bouddhisme».
Le conflit thaïlandais entre les insurgés musulmans et les bouddhistes locaux, relancé en 2004 le long de la frontière avec la Malaisie, fait partie d’une querelle de longue date opposant les moines bouddhistes et les insurgés musulmans.
«Certainement que la Thaïlande a sa propre forme de racisme “bouddhiste” envers les non-bouddhistes», reconnaît Maung Zarni. «Mais, je ne suis pas sûr que la société thaïlandaise va aller dans le sens du bouddhisme theravāda du Sri Lanka et du Myanmar, où le racisme de nature génocidaire a gangrené le grand public bouddhiste.»
Pourquoi les bouddhistes voient l’islam comme une menaceLe moine bouddhiste Phramaha Boonchuay Doojai, maître de conférences au collège bouddhiste de Chiang Mai en Thaïlande, déclare qu’il y a des raisons pour lesquelles les bouddhistes theravāda voient l’islam comme une menace. Parmi lesquelles il cite la destruction de l’Université Nalanda en Inde par le général turc Bakhtiyar Khilji au début du XIIIe siècle et les attaques contre les statues de Bouddha de Bamiyan, en Afghanistan, aux environ du VIIe siècle ainsi que, plus récemment, par les Talibans en 2001. «Des milliers de moines ont été brûlés vifs ou décapités quand le général Khilji voulait éradiquer le bouddhisme», rappelle le chercheur.
Maung Zarni pense qu’il y a des liens entre les réseaux qu’il appelle «anti-Dharma» au Sri Lanka, au Myanmar et en Thaïlande. Le Dharma étant cette valeur bouddhiste englobant la pérennité, la loi naturelle, les coutumes, la vertu ou la justice. «Ces réseaux sont toxiques. C’est un cancer profondément nuisible à tous les humains partout.»
Récemment, Ashin Wirathu a été présenté en une du Time magazine comme «le visage de la terreur bouddhiste». Le gouvernement du Myanmar a interdit cette édition de l’hebdomadaire américain. Mais dans une interview, le moine a déclaré: «Je suis fier d’être appelé bouddhiste radical».
(job)