Plonger dans la foi pour surmonter les traumatismes de guerre
Photo: © RNS/AP Photo/Ben Curtis
, au camp de réfugiés de Bidi Bidi, Ouganda, RNS/Protestinter
Chaque matin au réveil, Achol Kuol, réfugiée dans le camp de Bidi Bidi en Ouganda, emprunte une Bible à sa voisine et lit un verset pour se réconforter. Puis, elle rejoint d’autres résidents dans une église en plein air. Ils chantent, dansent et parlent en langues durant le culte. Certains qui se sentent touchés par le Saint-Esprit, crient et sautent, mais pas de joie, remplis de remords.
Les confessions explosent tandis qu'ils se souviennent de ceux qu'ils ont tués dans la guerre civile chez eux, au Soudan du Sud. Ils crient, se lamentant des supplices qu'ils subissent pendant la nuit. D'autres pleurent en priant, demandant à Dieu de leur pardonner. «Je ne peux pas dormir si je ne prie continuellement», raconte Achol Kuol, 38 ans et mère de cinq enfants. «Je fais toujours des cauchemars. Dans mes rêves, je retourne dans mon ancien village et je vois comment mes amis ont été abattus. Ils ne cessent de m'appeler. Et je me réveille en hurlant».
Une quête divinePour des milliers de Soudanais du Sud rassemblés dans le plus grand camp de réfugiés du monde, la quête de la guérison à la suite des atrocités qu’ils ont récemment vécues passe par une quête divine. La majorité d’entre eux souffrent de stress post-traumatique et ce sont les conseillers du camp qui les encouragent à se rendre à l'église, une voie vers la guérison.
«Beaucoup de réfugiés vont généralement à l'église parce que c'est le seul endroit où ils peuvent trouver de l'aide pour se remettre de leurs traumatismes», explique Gabriel Mayen, conseiller en traumatismes à Bidi Bidi. «L'Église leur donne un nouvel espoir. C’est très important pour toutes personnes ayant subi un traumatisme».
Le Soudan du Sud, principalement chrétien, s’est déchiré en guerre civile fin 2013 quand les troupes fidèles à l’ancien vice-président, Riek Machar, ont affronté les partisans du président Salva Kiir. Le conflit s’est rapidement transformé en un combat ethnique puisque les deux dirigeants représentaient deux grandes tribus. Des milliers de personnes ont été tuées. Deux millions se sont déplacés à l’intérieur du pays et deux autres millions de Soudanais du Sud ont cherché refuge dans les pays voisins. Plus d'un million d’entre eux ont fui vers l'Ouganda.
250'000 personnes à Bidi BidiLe camp, appelé Bidi Bidi, accueille plus de 250'000 personnes. Des dizaines d'églises y sont apparues et deviennent de plus en plus populaires alors que les traumatisés cherchent des bases pour reconstruire leurs vies.
Le mari d’Achol Kuol a été assassiné en juin 2017 quand des soldats du gouvernement ont attaqué la ville de Yei, dans le sud-ouest du Soudan du Sud. Elle a pris la fuite avec ses enfants et est arrivée à Bidi Bidi, trois jours plus tard. Un de ses enfants est mort de faim durant le voyage. «Je suis passée par des moments difficiles», raconte-t-elle. «Dieu m'a sauvée de la mort et j'ai décidé de l'accepter. En Dieu, je trouve la paix, et je ne fais pas de cauchemars... même si le souvenir des atrocités continue de me hanter».
Plus de 30 églises dans le camp sont dirigées par des pasteurs du Soudan du Sud. La majorité de ces responsables - pasteurs, évêques, prêtres, évangélistes et autres - se sont exilés avec leurs communautés quand la guerre civile a éclaté. «Quand ces dirigeants d'Églises sont arrivés dans le camp, ils ont créé leurs propres édifices», explique Deng Bol, un enseignant et représentant pour les réfugiés. «Nous avons différentes dénominations. Les réfugiés peuvent choisir entre protestants ou catholiques».
À la recherche de la paixLe pasteur John Deng du «Christ Ministry Church» a fui le Soudan du Sud en 2016. Il explique que son Église rassemble des membres de tribus ennemies, les Nuer et les Dinka. Il encourage la coopération entre les tribus. L'Église propose également une forme de guérison émotionnelle si quelqu'un perd un membre de sa famille dans le camp ou chez lui au Soudan du Sud, souligne-t-il.
«L'Église a joué un rôle essentiel dans l'unification de peuples du Soudan du Sud qui se haïssaient. Nous sommes heureux que les gens vivent de manière paisible dans le camp, loin de chez eux». La paix peut s'avérer compliquée à Bidi Bidi. Ceux qui sont traumatisés par la torture, le viol et autres violences arrivent avec des pensées de vengeance, constate Gabriel Mayen. Beaucoup d’entre eux boivent excessivement d'alcool et deviennent violents. «Certains prennent même des machettes et attaquent les autres réfugiés», ajoute-t-il.
La question du «combat spirituel» est particulièrement présente dans le camp. Récemment lors d’un culte, John Deng a prévenu la population du Soudan du Sud que la guerre civile dans leur pays ne prendrait fin que s'ils se tournaient vers Dieu et imploraient le pardon. Citant les Proverbes (6: 16-19), il a affirmé que son pays natal est déjà sous la malédiction. «Notre pays est maudit. Le seul espoir que nous avons réside au ciel. Il est écrit que celui qui répand le sang ou tue effectue l'oeuvre du diable. Nous devons nous mettre à genoux et implorer le pardon de Dieu si nous voulons qu'Il amène la paix dans notre pays».
Un message d’espoirLes nouvelles Églises misent sur un message d'espoir. Quand les soldats rebelles ont attaqué la ville de Yei en 2017, au milieu de la nuit, Akur Piok et son mari se sont enfuis dans des directions différentes. Depuis lors, ils ne se sont plus revus. Akur Piok est partie avec trois de ces enfants, en laissant deux derrière elle. «Je suis traumatisée», dit-elle en se dirigeant vers l'église. «Je ne sais pas si mes enfants et mon mari sont vivants ou morts. J'ai beaucoup de problèmes. Il n'y a que Dieu qui peut les résoudre. Je veux aller chanter, louer et prier pour qu’Il puisse être la réponse à mes problèmes.»
John Deng est du même avis. Selon lui, seul Dieu peut résoudre les défis considérables que doivent affronter ces réfugiés. «Si vous les voyez prier et pleurer, c'est qu'ils ont une raison de le faire: ces réfugiés vivent des épreuves. Ils n'ont rien à manger. Il n'y a pas d'hôpitaux pour prendre soin de leurs familles quand elles sont malades. Les enfants ne vont pas à l'école. Dieu est leur seul espoir».
Achol Kuol, de la tribu des Dinka, attribue à Dieu son désir de continuer à vivre, malgré ses troubles accablants. Son Église l'a aidée à se tourner vers l'avenir plutôt que vers le passé, dit-elle. Ses projets incluent d’ailleurs un mariage à l’église avec son partenaire de prière, qui lui, est Nuer. «Je ne sais pas où j'en serais sans Dieu… Je serais morte il y a longtemps. J'ai tellement de problèmes que je pense parfois au suicide. Mais Dieu vient toujours à mon secours».