Bénédiction des couples homosexuels:Discorde chez les théologiens
5 juin 2000
La reconnaissance des couples homosexuels, auxquels la France a accordé un statut juridique, n'a pas fini d'alimenter un débat complexe et pétri d'émotion
En accordant la bénédiction à des partenaires du même sexe en 1995, le pasteur bernois Klaus Bäumlin a fait oeuvre de pionnier. Du coup, les Eglises protestantes de Suisse sont entrées dans le vif du sujet. Un ouvrage collectif dirigé par Denis Müller, professeur de théologie à Lausanne, propose une réflexion éthique sur "La reconnaissance des couples homosexuels" tant sur le plan social, juridique que religieux. Si le mariage des homosexuels n'est pas pour demain, les discussions sont ouvertes sur la bénédiction qui pourrait leur être accordée. "J'ai voulu prendre en compte la richesse des relations humaines du couple, qu'il soit hétérosexuel ou homosexuel", explique Klaus Bäumlin, pasteur à Nydegg à Berne, pour expliquer pourquoi il a accepté, en accord avec son conseil de paroisse, de bénir un couple homosexuel qui s'était adressé à lui après plusieurs tentatives infructueuses ailleurs. "Refuser de discriminer n'est pas refuser de distinguer", précise le ministre bernois dont le geste a provoqué de vives réactions qu'il a soigneusement consignées dans de gros classeurs.
Certains ont applaudi son geste, d'autres ont crié à la trahison de l'idéal judéo-chrétien, beaucoup aussi ont vu là une fragilisation du mariage hétérosexuel, déjà mal en point. En préambule à l'ouvrage collectif "La reconnaissance des couples homosexuels" qui vient de sortir aux éditions Labor et Fides, Denis Müller aborde la question de la mise à égalité de la situation des couples hétérosexuels et homosexuels. Une cérémonie de bénédiction ne risque-t-elle pas de servir de ratification religieuse trop immédiate et trop inconditionnelle de la demande de reconnaissance civile des couples homosexuels et ne risque-t-elle pas d'entretenir la confusion entre le mariage hétérosexuel et le partenariat homosexuel ? Le théologien lausannois s'oppose clairement à leur bénédiction pour ne pas créer la confusion et affaiblir la signification du mariage hétérosexuel.
§L'égalité et la différence La sociologue française Irène Théry, invitée à apporter sa contribution à l'ouvrage, déplore qu'en France on ait mêlé deux situations, celle des couples hétérosexuels et celle des couples homosexuels dans le cadre du PACS. "Pourquoi n'avoir pas retenu "l'égalité et la différence du mariage hétérosexuel et du partenariat homosexuel?" se demande la sociologue.
L'écrivain Dominique Fernandez, dans sa contribution très personnelle, apporte sa voix discordante au débat et ne revendique surtout pas le mariage pour les homosexuels. Pour lui, le couple gay ne repose pas sur le sacrement ni même sur l'engagement laïc à vie. "Son fondement est la réalité du désir, et cette seule réalité-là: désir sexuel, mais aussi désir, plaisir d'être ensemble". Il rejette avec vigueur la routine d'un couple homosexuel qui se serait marié par souci de respectabilité, par peur de la rupture, et qu'il considère comme "ruiné du dedans".
Pour sa part, la théologienne catholique Elizabeth Green propose de voir les unions sexuelles, qu'elles soient bisexuelles ou homosexuelles, en termes d'amitié et de les accepter comme telles, sur pied d'égalité. "L'Eglise ferait mieux de focaliser ses saintes colères contre le viol, les abus sexuels et la pornographie plutôt que de s'en prendre au divorce et à l'homosexualité"
La théologienne genevoise Isabelle Graesslé propose une acceptation complète et entière de chaque individu tel qu'il est, dans le cadre de la nouvelle création initiée par le Christ. Pour elle, la reconnaissance des homosexuels est comprise comme conséquence de la doctrine chrétienne. "S'accepter tel qu'on est, c'est entrer dans la grâce elle-même, c'est se savoir accepté par un plus grand que soi. Et cette acceptation ne demande rien. La grâce est par définition gratuite. Pas plus n'engage-t-elle à un quelconque changement."
Bénédiction accordée à tous, en vertu de la grâce seule
Christophe Müller, théologien à la Faculté de théologie de Berne, rappelle que dans les textes bibliques la bénédiction est accordée à tous et à toutes sans conditions préalables. Elle s'exerce en vertu de "la grâce seule", par l'acception gratuite de Dieu. La bénédiction exprime le fait que ceux qui en bénéficient sont placés sous le signe de l'accompagnement de Dieu. Cette bienveillance divine ne renforce en aucun cas le statu quo ni les convictions dominantes, pas plus que la bénédiction ne légitime en aucune façon le mariage ou toute autre forme de relation de couple.
La conclusion de l'ouvrage est empruntée par François Dermange, éthicien à la Faculté de théologie de Genève, à la position de la Fédération protestante de France qui insiste sur le fait que, dans une société ou les liens sociaux et économiques sont de plus en plus précaires, tout ce qui contribue à des engagements durables et à la réinvention de formes de fidélité où l'attachement des personnes va au-delà de leurs différences sexuelles, doit être soutenu".
La reconnaissance des couples homosexuels, enjeux juridiques, sociaux et religieux, François Dermange, Céline Ehrwein et Denis Müller, éd. Labor et Fides, mai 2000.
Certains ont applaudi son geste, d'autres ont crié à la trahison de l'idéal judéo-chrétien, beaucoup aussi ont vu là une fragilisation du mariage hétérosexuel, déjà mal en point. En préambule à l'ouvrage collectif "La reconnaissance des couples homosexuels" qui vient de sortir aux éditions Labor et Fides, Denis Müller aborde la question de la mise à égalité de la situation des couples hétérosexuels et homosexuels. Une cérémonie de bénédiction ne risque-t-elle pas de servir de ratification religieuse trop immédiate et trop inconditionnelle de la demande de reconnaissance civile des couples homosexuels et ne risque-t-elle pas d'entretenir la confusion entre le mariage hétérosexuel et le partenariat homosexuel ? Le théologien lausannois s'oppose clairement à leur bénédiction pour ne pas créer la confusion et affaiblir la signification du mariage hétérosexuel.
§L'égalité et la différence La sociologue française Irène Théry, invitée à apporter sa contribution à l'ouvrage, déplore qu'en France on ait mêlé deux situations, celle des couples hétérosexuels et celle des couples homosexuels dans le cadre du PACS. "Pourquoi n'avoir pas retenu "l'égalité et la différence du mariage hétérosexuel et du partenariat homosexuel?" se demande la sociologue.
L'écrivain Dominique Fernandez, dans sa contribution très personnelle, apporte sa voix discordante au débat et ne revendique surtout pas le mariage pour les homosexuels. Pour lui, le couple gay ne repose pas sur le sacrement ni même sur l'engagement laïc à vie. "Son fondement est la réalité du désir, et cette seule réalité-là: désir sexuel, mais aussi désir, plaisir d'être ensemble". Il rejette avec vigueur la routine d'un couple homosexuel qui se serait marié par souci de respectabilité, par peur de la rupture, et qu'il considère comme "ruiné du dedans".
Pour sa part, la théologienne catholique Elizabeth Green propose de voir les unions sexuelles, qu'elles soient bisexuelles ou homosexuelles, en termes d'amitié et de les accepter comme telles, sur pied d'égalité. "L'Eglise ferait mieux de focaliser ses saintes colères contre le viol, les abus sexuels et la pornographie plutôt que de s'en prendre au divorce et à l'homosexualité"
La théologienne genevoise Isabelle Graesslé propose une acceptation complète et entière de chaque individu tel qu'il est, dans le cadre de la nouvelle création initiée par le Christ. Pour elle, la reconnaissance des homosexuels est comprise comme conséquence de la doctrine chrétienne. "S'accepter tel qu'on est, c'est entrer dans la grâce elle-même, c'est se savoir accepté par un plus grand que soi. Et cette acceptation ne demande rien. La grâce est par définition gratuite. Pas plus n'engage-t-elle à un quelconque changement."
Bénédiction accordée à tous, en vertu de la grâce seule
Christophe Müller, théologien à la Faculté de théologie de Berne, rappelle que dans les textes bibliques la bénédiction est accordée à tous et à toutes sans conditions préalables. Elle s'exerce en vertu de "la grâce seule", par l'acception gratuite de Dieu. La bénédiction exprime le fait que ceux qui en bénéficient sont placés sous le signe de l'accompagnement de Dieu. Cette bienveillance divine ne renforce en aucun cas le statu quo ni les convictions dominantes, pas plus que la bénédiction ne légitime en aucune façon le mariage ou toute autre forme de relation de couple.
La conclusion de l'ouvrage est empruntée par François Dermange, éthicien à la Faculté de théologie de Genève, à la position de la Fédération protestante de France qui insiste sur le fait que, dans une société ou les liens sociaux et économiques sont de plus en plus précaires, tout ce qui contribue à des engagements durables et à la réinvention de formes de fidélité où l'attachement des personnes va au-delà de leurs différences sexuelles, doit être soutenu".
La reconnaissance des couples homosexuels, enjeux juridiques, sociaux et religieux, François Dermange, Céline Ehrwein et Denis Müller, éd. Labor et Fides, mai 2000.