Tant qu’on ne les voit pas!
Au groupe de prière du mercredi, à la sortie de l’église, et même à la rencontre des responsables du culte de l’enfance c’est le sujet qui fait parler depuis une semaine! «Tu as reçu “Réformés”? Tu as vu la page 10?»
Vous l’avez vue cette photo, mais l’avez-vous regardée? Elle n’est en rien pornographique. Elle représente deux hommes, certes nus, mais mis en scène d’une façon qui n’est pas sexualisée. On y voit simplement un geste tendre entre deux hommes. En fait, ce qui salit ce cliché, c’est tout ce qui nous y projetons.
Nous avons tous nos petites crispations, ces petits quelque chose qui nous agacent royalement. Moi, c’est les bruits de mastication. Allez savoir pourquoi, quand je me retrouve dans la même pièce qu’une personne qui mâchouille bruyamment un chewing-gum, cette pensée m’obnubile et me fait bouillonner intérieurement. J'en perds tous mes moyens. J’essaie de prendre sur moi en me disant que cela n’a rien de rationnel et qu’intervenir serait assez grossier. Peine perdue. Pour certains, cela fonctionne un peu de la même manière avec cette photo.
Depuis les locaux communs aux rédactions de Protestinfo, du magazine «Réformés» et du site web Réformés.ch on s’aperçoit que l'illustration en ouverture de dossier déclenche — outre quelques messages de soutien — des torrents de commentaires allant du «c’est inadéquat» aux fanges haineuses les plus nauséabondes.
On a même retrouvé du «c’est contre nature», un argument que l’on espérait disparu depuis les années 1990, lorsque l’on s’est rendu compte que le pacemaker non plus, n'était pas très naturel.
Que les signes d’affections entre hommes ou entre femmes soient insupportables à une minorité active dans nos Églises ne me surprend pas. Ce qui m’attriste, c’est que rien ne fait barrage à ces discours qui ne témoignent pas vraiment de l’amour évangélique.
En fait, j’attendais probablement des quelques réformés encore perturbés par les questions LGBT+ qu’ils fassent preuve de retenue avant d'hurler au loup, un peu comme quand on se sait largement minoritaire. Ce qui est sans doute le cas quand on voit la large majorité du synode réformé vaudois qui a accepté, il y a quelques années, la mise en place d’un rite pour couple de même sexe, ou le fait que la création de groupes LGBT+ à Neuchâtel et Genève ne fait pas débat.
Mais ce qui m’attriste vraiment, c’est qu’au nom de la crainte de blesser les frères et sœurs pour qui l’homosexualité pose encore problème, on se rallie à eux dans la critique fustigeant mes courageux confrères et consœurs de «Réformés» en hurlant avec les loups que «c’est quand même de la provocation», que c’est «clivant», qu’il ne faudrait pas «causer de blessures dans l’Église.»
Et que faire des blessures des couples non hétérosexuels qui ont intégré qu’ils ne sont acceptés qu’à condition qu’on ne les voie pas et qui n’osent donc pas se tenir la main en se rendant au culte? Avec le témoignage de Frank, le dossier de «Réformés» aborde aussi la question de celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans le sexe qui leur a été attribué à la naissance. Quand Franck dit «un jour j’aimerais remettre les pieds dans une Église», il résume toute la souffrance vécue par les transexuels croyants.
J'en conclus que les blessures de certains n’ont pas la même valeur que les blessures de ceux que l’on accueille volontiers... tant qu’on ne les voit pas... Oui, l’image de la page 10 du dernier numéro de Réformés suscite des crispations chez certains. Mais n'oublions pas que pour beaucoup d'autres, elle fonctionne comme un baume apaisant sur des blessures. Au travers des symboles qu'elle véhicule, La photographie d'Elisabeth Ohlson Wallin dit que l'Eglise accueille. Et ça, c'est beau.