Le blues des agriculteurs
«Quand maman a eu des enfants, elle a arrêté de travailler pour s’occuper de nous et la ferme tournait. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Ma femme travaille à 50% et moi à 20%», a témoigné Cédric Biedermann, agriculteur à Forel/Lavaux (VD), devant la cinquantaine de personnes venues jeudi 18 janvier à Lausanne assister à la soirée consacrée au revenu des agriculteurs organisée par Chrétiens au travail, l’association pour la dignité au travail. L’anecdote illustre bien la baisse des revenus dans le monde paysan en seulement une génération.
Autre intervenant de cette table ronde, Philippe Gruet, agriculteur à Sermuz (VD) a rappelé que «chaque année, l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) publie un revenu agricole moyen. Mais 64’000 francs, ce n’est pas un revenu par personne, c’est bien le revenu d’une exploitation complète avec plusieurs personnes qui y travaillent.» Quant à Fabien Thubert de Pomy (VD), s’il estime que son revenu d’agriculteur bio lui permet de vivre il note quand même «c’est un choix de vie que nous avons fait, mais il ne faut pas compter ses heures. Le revenu horaire est vraiment bas.» La semaine de travail dans l’agriculteur comptant facilement 60 à 70 heures.
Des prestations qui paient davantage que la production
Outre les aspects financiers, ce sont les changements de missions de l’agriculteur qui ne sont pas toujours bien vécus par les agriculteurs. «J’ai reçu un héritage de mes parents et de mes grands-parents. Un élevage avec des bêtes qui ont été sélectionnées pour produire du lait. J’ai envie de poursuivre cet héritage. Mon métier c’est de nourrir la population, pas d’être payé pour regarder pousser des petites fleurs», regrette Cédric Biedermann. Une composante importante du revenu agricole suisse est, en effet, composée de «paiements directs». Des subventions accordées en échange de prestations écologiques proposées dans un vaste catalogue.
Ses confrères se montrent moins critiques et se réjouissent plutôt de cette valorisation des efforts écologiques. «Celui qui fait bien son travail, il a à cœur de préserver son outil», résume Christian Blaser de Savigny (VD). N’empêche, «certaines mesures, l’OFAG n’est même pas capable de nous expliquer à quoi elles servent.» Quand elles ne sont pas carrément discutables. Il donne un exemple: «renoncer à labourer les champs. C’est bien pour certaines choses, mais cela implique aussi d’utiliser davantage de glyphosate qui est très contesté!»
Harcèlement administratif
Et surtout, l’agriculture a vu se multiplier les contrôles. «De plus en plus d’experts vivent sur notre dos», résume Philippe Gruet. «La moindre erreur est immédiatement sanctionnée», dénonce-t-il. «Et avec toute cette paperasse, il est impossible de ne pas avoir une fois de temps en temps une croix qui est cochée au mauvais endroit. Si nous étions des entreprises normales, nous aurions tous au moins une secrétaire à 50%!» Un constat largement partagé. Christian Blaser précise: «il y a un certain harcèlement administratif. En particulier pour certains agriculteurs moins habiles avec internet.»
«J’ai rencontré aujourd’hui un agriculteur qui se lève chaque matin à 4h pour être avec ses vaches. Et le soir au lieu de se coucher tôt, il doit faire son travail de bureau», a témoigné Maria Vonnez-Frank, assistante pastorale pour le monde agricole à la Pastorale dans le monde du travail des Églises réformée et catholique vaudoises. «Avec mon collègue Pierre-André Schütz, nous constatons que l’administratif provoque une grande souffrance. C’est un facteur qui plombe le moral. Les agriculteurs aimeraient être avec leur bétail ou dans leurs champs, pas enfermés au bureau.»
Un mal de notre époque pour le pasteur Pierre Faron, secrétaire de Chrétiens au travail. «On a l’impression que l’agriculture est, comme de nombreux métiers, remplie de contrôles tatillons. Comme théologien, je suis interpellé par cette culture de la méfiance chronique.»
Les consommateurs doivent se responsabiliser
En fin de soirée, l’assemblée s’est interrogée sur ce qu’elle pouvait faire pour défendre la dignité de l’agriculture. Quelques pistes ont été évoquées, telles que favoriser l’économie en circuits courts (moins d’intermédiaires entre le producteur et le consommateur) et se responsabiliser pour consommer des produits à la hauteur des exigences écologiques que l’on impose à l’agriculture de notre pays au travers des lois. «Nous dépensons le double pour nous assurer que ce que nous payons pour nous nourrir. Il faut revaloriser nos aliments», a résumé Denis Candaux, agriculteur et membre du Synode de l’Église évangélique réformée vaudoise, présent dans le public ce soir-là.