Cannes: «Une vie cachée» reçoit le prix du jury œcuménique
Le prix du jury œcuménique est attribué à «Une vie cachée». Pourquoi ce choix?
Le film de Terrence Malick raconte la détermination d’un homme confronté au mal, qui fait un choix en suivant sa conscience et qui en payera le prix. Cette histoire vraie est celle de Franz Jägerstätter, un paysan qui vit dans les montagnes du Tyrol avec sa famille, pendant la Deuxième guerre mondiale. Enrôlé dans l’armée, il prend conscience de l’injustice perpétré par les Allemands. De retour chez lui, il entame alors avec sa femme un long processus de décision: répondra-t-il présent s’il est à nouveau appelé sous les drapeaux? Le jour fatidique arrive. Franz décide de ne pas prêter allégeance à Hitler. Tout bascule.
Plus que l’histoire de l’homme, Terrence Malick se focalise sur le processus de décision et ses conséquences, qui implique autant Franz que son épouse et qui est possible grâce à la force de l’amour échangé au sein de ce couple. Face au mal, Franz a une conviction profonde de ce qu’il doit faire et qu’il devra en payer le prix. Et dès lors que sa décision est prise, sans retour en arrière possible, il est libéré. Pour autant, il ne cherche pas le salut. Il ne veut pas être un exemple, encore moins un martyr. Cette histoire permet au réalisateur d’illustrer la notion de désobéissance civile, l’une de ses sources d’inspiration. On peut avoir une lecture philosophique, religieuse ou politique de ce film dont les personnages ne sont pas monolithiques. Les débats ont d’ailleurs été intenses au sein du jury et le choix n’était pas évident.
Quels sont les critères de sélection?
Le jury ne prime pas les films qui sont une parfaite illustration de la foi chrétienne, mais bien ceux qui portent des valeurs humaines et universelles, qui ne sont donc pas la chasse gardée des seuls chrétiens. Des valeurs universelles qui nous construisent, nous édifient et font que l‘être humain est plus grand que ce qu’il est.
De façon formelle, le jury a cinq critères. Il tient compte de la grande qualité artistique. Il encourage les films qui expriment des valeurs humaines qui illustrent les valeurs de l’Évangile ou interpellent nos choix et nos sociétés. Il est attentif aux films qui relèvent de la responsabilité chrétienne et aux valeurs telles que le respect de la dignité humaine et les droits de l’homme, la solidarité avec les minorités, la sauvegarde de l’environnement, notamment. Les films primés ont un impact universel et enfin il choisit les films qui suscitent un débat et pourront donc être utilisés par exemple dans le cadre de groupe de discussion en paroisses.
Depuis 1974, le jury œcuménique décerne son prix au Festival de Cannes. Quel est le sens d’un tel jury?
Ce qui donne de l’épaisseur à un film réside dans la complexité de l’âme humaine, les douleurs de l’âme. Les valeurs nous fondent et les principes nous guident. Les questions existentielles ont forcément une dimension religieuse. La transcendance est constitutive de l’humain et nous, membres du jury, sommes là pour représenter cet aspect. De plus, nous sommes indépendants et ne représentons aucune institution religieuse.
Que retenez-vous de cette 72e édition du Festival de Cannes?
La détermination des femmes. Les personnages féminins des films de la sélection sont extrêmement forts, qu’il s’agisse des rôles principaux ou secondaires. Des femmes qui résistent, des femmes qui sont enracinées. Lors de l’édition 2010, à laquelle j’ai assisté, la sélection comportait beaucoup de films qui montraient des adolescents en rébellion. Cette année, ce sont les femmes qui sont mises en avant, par des réalisatrices autant que par les réalisateurs. Nous sommes face à une nouvelle dimension du féminisme. Les personnages féminins ne sont pas choisis parce qu’elles sont des femmes, mais il se trouve qu’elles le sont.
Le jury en bref
Depuis 1974, le jury oecuménique décerne son prix à un film de la compétition officielle du Festival de Cannes. Le jury est composé de six membres de cultures et pays différents, compétents notamment dans les domaines de la culture, des médias, de la théologie, membres d’une Église chrétienne et ouverts au dialogue interreligieux, mais indépendants. Ils sont nommés chaque année par Signis (association catholique mondiale pour la communication) et Interfilm (organisation protestante internationale du cinéma). Depuis ses débuts, le jury a décerné 47 prix et 57 mentions spéciales. Pour aller plus loin: www.cannes.juryoecumenique.org