Lire les apocryphes pour mieux comprendre la Bible
Absent du canon biblique tel que nous le connaissons, le Livre d’Hénoch fait toutefois partie de la Bible orthodoxe éthiopienne. Plusieurs autres écrits bibliques y font référence, notamment l’Epître de Jude, qui le cite expressément comme prophétisant ce qui arrivera aux derniers jours. Hénoch est, selon la généalogie biblique, le père de Mathusalem, septième patriarche depuis Adam et arrière-grand-père de Noé.
Le livre se présente comme relatant des paroles de bénédiction proférées par le patriarche lui-même. Il est constitué de cinq sections, qui vont des récits de la Création aux visions de la fin des temps, en passant par des traités d’astronomie et de météorologie. «Un des grands débats qui a eu lieu pour choisir les textes qui allaient devenir canoniques dans la Bible était de savoir si le texte pouvait être attribué à l’auteur présumé. Cela, nous le savons aujourd’hui, est plus qu’improbable pour de nombreux écrits et l’était encore plus pour celui-ci. De plus, la nature même du récit aurait contribué à embrouiller les lecteurs plutôt qu’à les éclairer. C’est donc par choix pragmatique et idéologique qu'il ne fut pas inséré dans le canon biblique. Ce choix ne fut pas suivi par l’Eglise orthodoxe d’Ethiopie», introduit Matteo Silvestrini.
Anges irresponsables
Une des principales originalités du Livre d’Hénoch réside dans sa première section, le Livre des veilleurs, qui intéresse particulièrement le pasteur. Dans ce récit, qui se présente comme une épopée des débuts, les Vigilants – nom donné aux anges – ont reçu la tâche de «veiller avec vigilance» sur les êtres humains. Certains trahissent leur mission en couchant avec des femmes, remettant en cause l’ordre établi. Leur progéniture, des géants monstrueux et violents, sème la terreur sur l’humanité. Un mythe relaté aussi par le Livre de la Genèse, en quelques versets qui n’ont pas de lien avec l’histoire du déluge qui suivra. Alors qu’en Genèse Dieu envoie le déluge pour punir les humains, dans Hénoch, Dieu dévoile au patriarche les mesures qu’il va prendre pour éradiquer le mal, notamment le déluge, engendré par ses anges irresponsables. Les géants seront condamnés à la destruction totale.
D’autres Vigilants enseignent aux humains l’art de la forge et de la parure, non sans développer leur penchant pour la guerre et la vanité. «Il est presque logique que le récit de Genèse, nettement plus travaillé et moins ‹alambiqué›, ait fait l’unanimité. Il est intéressant de noter toutefois que le passage traitant des enfants des anges, en Genèse 6, pourrait avoir été repris du Livre d’Hénoch», ajoute Matteo Silvestrini. Pour le pasteur, cette hypothèse tendrait à montrer que l’on ne pouvait pas ignorer cette histoire, qui devait certainement circuler aussi au temps de Jésus.
Origine du mal
«Ce qui est intéressant dans la première section du Livre d’Hénoch, c’est que l’on nous dit que ce sont finalement les anges, par leurs actions, qui ont contribué à pervertir l’humanité. Il y a donc une forme de crescendo dans le développement du récit, qui voit l’humanité d’abord victime du mal, avant d’exercer une sorte de coresponsabilité. Cette évolution de l’idée de responsabilité mérite d’être analysée. Il est intéressant de connaître cet écrit, mis de côté, qui dénonce, de manière différente et assez radicale, le mal dans le monde et les façons de le gommer pour qu’il aille mieux», détaille Matteo Silvestrini. Un travail qui l’intéresse également pour mieux comprendre la littérature apocalyptique, dont le Livre d’Hénoch fait partie, et qui reste l’un des courants théologiques les plus complexes à interpréter.