Marc Pernot, le pasteur geek amateur de culte vintage
Le bureau est plongé dans la pénombre. Les rayons du soleil suffisent à peine à éclairer la pièce. Les murs sont jonchés de livres. Autour de la table noir ébène, mon interlocuteur hésite. C’est finalement son manteau qu’il dépose sur le dossier de la chaise qui me fait face. Il choisit le siège voisin.
Dans le complexe paroissial de Champel, tout de verre et béton, je fais la connaissance de Marc Pernot, nouveau pasteur de la région Centre-Ville (rive gauche), à Genève. Clin d’œil à ses origines, ce Français a rejoint la terre qui a vu naître son grand-père maternel. Et depuis six mois, il jongle entre un ministère régional et une pastorale sur internet, dans l’Église protestante de Genève (EPG).
La toile comme paroisse
Il y a vingt ans, ce laïc très engagé dans son Église, comme prédicateur notamment, lâche sa profession d’informaticien en cartographie pour s’adonner totalement à ce qu’il qualifie de «loisir». Il se lance alors dans des études de théologie et devient pasteur de l’Église protestante unie de France. «Il n’y a rien que je fasse aujourd’hui que ne peut faire un laïc, si ce n’est de le faire à temps plein, avoue Marc Pernot avant de se raviser. Il y a tout de même les études qui amènent une profondeur et une distance.»
Nîmes d’abord, Nancy ensuite, c’est à l’Oratoire du Louvre, la «cathédrale protestante de Paris», que le pasteur fait sa plus longue escale. Il y revêt la robe noire à rabat pendant onze ans. Il en profite pour mettre à profit ses compétences en informatique et développe un site et un blog pour l’Oratoire du Louvre dont l’importante fréquentation lui vaudra une grande notoriété.
La présence pastorale sur le web devient son cheval de bataille. L’objectif: rejoindre la génération d’actifs âgée de 30 à 50 ans, distancée de l’Église.
Et puis «un jour, j’ai décidé de partir», sont les seuls mots qu’il lâche sur son départ. Une nouvelle qui n’a pas ravi les paroissiens qui ont d’ailleurs lancé une pétition en ligne. Trop tard. L’évocation de cet épisode le met mal à l’aise. L’homme grisonnant remue sur sa chaise. «Avec plus d’une trentaine de baptêmes d’adulte par an, les gens se sont attachés à moi comme à la porte d’entrée de leur foi. Mais je ne veux pas de disciples. Je ne cherche pas l’attachement des paroissiens, mais bien à leur donner des outils pour qu’ils puissent cheminer dans leur foi.»
Un «petit Paris»
Marc Pernot aurait pu trouver un nouveau poste en France. Mais la Suisse lui fait de l’œil. La déchristianisation initiée dans son pays natal dans les années 1970 en est ici encore à ses débuts. Celui qui cherchait un «bassin de population de 30-50 ans» jette alors son dévolu sur la cité de Calvin. Un «petit Paris» dans lequel il ne se sent pas dépaysé pour un sou et où les déjà-vu ne manquent pas. Quelques jours avant son entrée en poste, la loi sur la laïcité est votée au Grand Conseil. «L’État est garant du vivre-ensemble. On a la tentation de se dire que la religion est une affaire intime, mais ce n’est pas le cas. Il est dangereux que l’État s’en désintéresse. La religion pourrait être un facteur d’union autant que de désunion.» Quant à la décision du Consistoire de l’Église protestante de Genève (EPG) il y a quelques semaines, de s’ouvrir aux membres d’autres communautés religieuses, c’est une réalité que connaît déjà l’Église protestante unie de France, indispensable à ses yeux, lorsque l’on a à faire à des familles mixtes.
Au service des gens et non de l’Église
Tout juste en poste à l’EPG, Marc Pernot n’attend pas pour remettre l’ouvrage sur le métier. Le nouveau blog jecherchedieu.ch est officiellement lancé aujourd’hui.
À l’image du projet parisien, «il s’agit d’une ressource pour cheminer librement dans sa foi et poser des questions à un pasteur.» Excepté la forme, pas la peine de réinventer la roue. Sur le blog genevois, les internautes trouvent des prédications accessibles aux formats vidéo, audio et texte. Mais aussi des outils pour commencer à lire la Bible, prier, élaborer sa propre théologie, pratiquer sa foi et bien sûr la possibilité d’interpeller le pasteur directement. Autant de ressources offertes avec pour seul objectif d’aider les gens et de leur mettre le pied à l’étrier pour qu’ils cheminent ensuite de façon autonome. Un principe tout protestant, il le reconnaît de lui-même.
Cette veille active sur la toile contribue au changement de posture des Églises que le ministre estime nécessaire. Face à la diminution du nombre de protestants, prendre comme but de remplir les bancs des églises serait une erreur. Le but, c’est aider la personne.
Sa devise: «L’Église est à votre service, venez si vous le souhaitez, quand vous le souhaitez et si vous ne venez pas ce n’est pas grave, c’est offert». Il faut chercher comment aider les gens à vivre, en allant vers eux avec des propositions nourrissantes pour leur réflexion et leur foi, défend-il. «S’ils y trouvent leur compte, ils finiront par venir d’eux-mêmes à l’Église. Un bénéfice collatéral, mais pas l’objectif premier.»
Sur le site de l’Oratoire du Louvre, les internautes sont croyants, agnostiques et athées. Ils sont en quête de sens, désireux de cultiver leur spiritualité, ou de devenir croyant. À ces derniers, il répond avec les mots d’un autre: «Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas déjà trouvé aurait dit Dieu à Blaise Pascal.» Marc Pernot se met au service des gens et supprime les frontières de l’Église.
Un retour au culte vintage
À la page, Marc Pernot milite pourtant pour ce qu’il qualifie de «culte vintage», avec une forme classique permettant d’avoir des prédications qui invitent les gens repartir avec plus de questions qu’à leur arrivée. Car le culte avec une prédication riche, il en est convaincu, est la spécificité des protestants.
«Chaque prédication me prend deux jours de travail. J’en sors transformé, sinon ça n’en vaut pas la peine.» Et de rappeler que si les gens sont capables de faire des kilomètres pour acheter un bon pain, ils feront de même pour écouter une prédication nourrissante.
«L’Église est encore trop moralisatrice et dogmatique. Il ne suffit pas de dire aux gens d’être gentils. Ce n’est pas ça l’Évangile. Jésus se plaçait à un autre niveau. Et la jeune génération n’a surtout pas envie qu’on lui serve du prêt-à-penser.»
L’Évangile a aujourd’hui un boulevard devant lui, car notre époque s’est vidée des grandes idéologies, note-t-il. «Bien sûr, il y a l’humanitaire, l’écologie, la politique, mais il s’agit de gestion de choses complexes, avant tout pratique. La tendance est au bouddhisme, mais il porte un jugement sur la personne, un soupçon sur le monde et le plaisir, une obligation de performance et une méditation qui vous laisse seul. Le christianisme, lui, annonce la dignité radicale de chacun, il articule la réflexion et la spiritualité, il offre par la prière un face à face avec un Dieu qu’on tutoie. L’Évangile a plus que jamais de l’avenir.»
Un combat pastoral
Avant de quitter Marc Pernot, on ne peut faire l’impasse sur l’un des débats qui va bientôt occuper son Église: la bénédiction des couples homosexuels. En France, il a été un pionnier de ce rite, qu’il a défendu bec et ongles. «C’est un combat pastoral et non politique. Il est cruel de dire à une personne homosexuelle qu’on l’accepte dans l’Église, mais que l’on n’accepte pas son couple. Avec cette bénédiction, l’Église affirme qu’elle accepte pleinement la personne homosexuelle. Quant au mariage, il participe à la construction d’un couple, c’est une démarche d’édification et d’ouverture à l’aide de Dieu. Si nous ne sommes pas contre les homosexuels, pourquoi alors leur refuser ce droit?»