Une messe dans un édifice protestant : pas si facile
Si elle réjouit de nombreux croyants, la célébration d’une messe dans la cathédrale Saint-Pierre de Genève, ce 29 février, (voire notre dernière édition) ne fait pas que des heureux. « Devrons-nous vraiment subir la vision d’une montée en chaire d’un prêtre catholique romain, ainsi que la célébration de l’eucharistie ? (À laquelle nous serions éventuellement tolérés de participer) ! », peut-on lire dans une lettre ouverte envoyée à plusieurs médias et publiée le 6 février dans la Tribune de Genève. Au téléphone, Magali Bertholet Pradervand l’une des co-auteurs de cette missive confirme s’être sentie trahie par les autorités de son Église. Elle en appelle à des célébrations œcuméniques plutôt qu’à des messes lors desquels les protestants n’auront qu’un accueil en demi-teinte puisqu’ils ne seront pas invités à l’eucharistie.
« En 2004, le Vatican a publié un document très restrictif concernant la communion. ‹ Voilà pourquoi nous ne pouvons pas décréter que tous les réformés peuvent venir communier. Cependant, dans de telles circonstances particulières, nous pratiquons ce que nous appelons l’hospitalité eucharistique en accueillant toutes les personnes qui s’avancent pour recevoir le corps du Christ. Et de toute façon, tout le monde est le bienvenu à cette messe ›, explique Pascal Desthieux, vicaire épiscopal pour le canton de Genève », interrogé par Protestinfo.
La souffrance de ne pouvoir communier ensemble
La question de la différence de conception de ce que représente la cène ne se pose d’ailleurs pas qu’à Genève : « Nous allons communier à la souffrance de ne pas pouvoir communier ensemble », avait d’ailleurs déclaré l’évêque auxiliaire Alain de Raemy le samedi 3 décembre 2016 lors d’une célébration à la cathédrale de Lausanne, selon 24 heures. En Allemagne, c’est l’accueil eucharistique des conjoints non catholiques dans les couples mixtes qui, il y a deux ans, a donné lieu à une remise au pas des évêques par les autorités romaines.
« En Valais, les pasteurs peuvent emprunter des églises pour des cérémonies particulières telles que des services funèbres. Les prêtres se plient de bonne grâce à ces demandes, mais apprécient qu’il n’y ait pas de cène lors de ces moments », explique Didier Halter, pasteur à Sion de 2001 à 2011.
À Lausanne, c’est un laïc protestant, Jacques-André Haury qui a œuvré pour qu’une messe puisse avoir lieu à la cathédrale. « Je me disais que cet édifice est à la taille de la communauté chrétienne de ce canton et que si une cérémonie importante devait avoir lieu, il était naturel qu’elle puisse se faire à la cathédrale », explique celui qui siégeait au Grand Conseil et a été membre de la Commission de consécration de l'Eglise réformée vaudoise. C’est par une lettre de lecteur parue en décembre 2002 dans 24 heures, qu’il a lancé le débat. « La première réponse de l’Église évangélique réformée du canton de Vaud a été un ‹non », explique-t-il. « Aujourd’hui, je reconnais que j’aurais pu prévenir les autorités de l’Église avant de publier mon texte, afin qu’elles puissent se préparer à répondre », sourit-il.
C’est deux ans après, en décembre 2004 que la première messe depuis la Réforme a été célébrée dans la cathédrale Notre-Dame de Lausanne. La question de la cène prise en commun se posait-elle déjà ? « En 2004, j’ai rencontré l’évêque d’alors, Mgr Genoud. Je lui avais suggéré une pratique particulière pour ce lieu particulier, comme cela se passe dans certaines communautés monastiques. Sa réponse avait été claire : ‹ Il peut y avoir une communion tout aussi intense en restant à sa place », relate Jacques-André Haury.
Et côté protestant, ce geste œcuménique n’a, là aussi, pas fait que des heureux : « j’ai rencontré il y a quelques temps une dame d’un certain âge qui m’a encore dit qu'elle m'en voulait toujours un peu», résume l’ancien élu.
Pour sa part, il considère qu'un protestant qui assiste a une messe peut se sentir libre de participer: «le prêtre n’invite pas lui-même les fidèles à communier. La liturgie protestante se termine par: ‹Venez, car tout est prêt›. La formule utilisée par le prêtre est: ‹Heureux les invités au repas du Seigneur›, mais il n’ajoute rien. À chacun donc de considérer qu’il est ou non ‹invité au repas du Seigneur.»
Mais pourquoi ces prêts d’édifices hérissent-ils le poil de certains croyants ? « Je pense qu’il y a encore chez beaucoup de protestants une méfiance quant aux intentions de l’institution catholique et une suspicion sur ses enjeux à long terme. Comme elle a un fonctionnement perçu comme opaque, par rapport aux standards actuels, ça alimente une suspicion de volonté de reconquête », explique Didier Halter, aujourd’hui directeur de l’Office protestant de la formation.
Une crainte que Pascal Desthieux a bien perçue dans le cas genevois. Dans une opinion qu’il a demandé à pouvoir publier après la parution de la lettre ouverte citée plus haut, il se veut rassurant : « Est-il nécessaire de préciser qu’il n’y a aucune velléité de ‹ reconquête › ? Nous avons bien assez d’églises et sommes satisfaits de l’emplacement de notre basilique Notre-Dame à Cornavin. »
Un pasteur à la cathédrale de Sion
S’il n’y a jamais eu de culte à la cathédrale de Sion, les quelques invitations faites au pasteur de prononcer l’homélie durant la messe paroissiale de la cathédrale ont pu provoquer là aussi quelques crispations. « Il faut dire que j’ai vécu cela au moment même où des directives restrictives concernant les laïcs étaient émises par Benoît XVI. Elles ont été appliquées à Sion ce qui a eu pour conséquence que certaines personnes, des femmes en particulier, qui avaient obtenu la possibilité de dire l’homélie s’en sont vues tout à coup privées. Alors que moi, un non catholique, je le fasse, je comprends que cela ait pu agacer… » excuse le pasteur Didier Halter. Quant à savoir si la cathédrale aurait pu être empruntée comme cela se fait pour n’importe quelle autre église, il sourit : « quel intérêt ? Le temple protestant se trouve à 200 mètres de là. »