Le confinement impacte les finances des Eglises
À Genève, «incertitude totale» sur les dons
L’Église protestante de Genève (EPG), comme bien d’autres organisations, a vu ses activités bouleversées, mi-mars dernier. «En 48h, le télétravail a été mis en place pour tout le personnel administratif; quant aux ministres, s’ils ont connu une baisse factuelle de leurs activités classiques, ils ont développé une offre alternative assez incroyable de streaming, groupe WhatsApp, contacts téléphoniques…», décrit Valérie Chausse, codirectrice de l’EPG et responsable des finances.
Les Églises continuent bien à travailler pendant, le Covid-19, cependant, les dons habituellement recueillis pendant les cultes, eux, n’ont plus cours. Une situation d’autant plus complexe que certaines Églises, comme l’EPG, «vit des dons, pour 92% de son budget», rappelle Valérie Chausse. Les 8% restants proviennent de revenus «hors mission» placés dans différents portefeuilles (2%) et de revenus immobiliers (6%), qui ne devraient pas impacter le bilan financier de l’institution. Toutes les finances de l’institution figurent en ligne.
Pour le mois de mars, la baisse de trésorerie est en tout cas évidente «mais pas encore mesurable, car notre reporting est décalé», explique Valérie Chausse.
Réunie le 23 mars dernier, la Commission financière de l’institution s’est interrogée sur l’impact des dons, dans ce cas, inédit, de pandémie. «Une étude historique sur nos statistiques montre qu’en cas de grandes crises, il n’y a pas forcément d’effondrement des dons. Par contre, il s’agissait toujours de crises financières, jamais sanitaires. L’incertitude est donc totale quant à la répercussion du Covid-19 sur nos dons», pointe Valérie Chausse. Et la situation est cruciale puisque 96% des dons, soit des revenus «de mission » couvrent les charges salariales. «Si les dons chutent, c’est la pérennité de l’institution qui est en jeu, ce sont des lieux qui ferment, des postes de pasteurs et diacres menacés, l’administratif fonctionnant déjà à flux tendu. Ce serait regrettable», reconnaît la responsable.
La moyenne d’âge des donateurs de l’EPG est de 75 ans. «C’est un indicateur important. Beaucoup de ces personnes font leur paiement à la poste, où elles ne peuvent matériellement se rendre en période de confinement», observe Valérie Chausse. L’alternative, pour les donateurs? Pouvoir se reposer sur un proche, appeler directement son banquier, contacter l’EPG pour se faire envoyer un bulletin de versement… ou profiter de la plateforme de dons en ligne de l’EPG, accessible depuis le site web de l’Église. «Cet outil convivial et bien fait a été développé il y a quelques années», se félicite Valérie Chausse. Il est trop tôt pour dire si elle a été plus utilisée qu’en temps normal. Toujours est-il que la pandémie devrait accélérer ou renforcer d’autres projets visant à faciliter les dons. «Il existe des projets visant à développer tout ce qui a trait au QR-Code: des bornes devant les Églises ou bâtiments historiques, un QR-code géant sur le temple de la Fusterie qui sera rénové…»
L’Église vaudoise devra effectuer « des choix »
Dans le canton de Vaud, le financement de l’Église protestante (EERV) est assuré par des dotations étatiques redistribuées par l’Église aux paroisses.
Bien entendu, ici aussi, les collectes ont diminué. Mais des dons sont aussi arrivés durant cette période inédite, cependant «rien de très massif», admet Perry Fleury, conseiller synodal. Des messages réguliers continuent d’être diffusés pour faire appel à la générosité des paroissiens, mais «rien n’a été organisé» spécifiquement en ce sens. Impossible de quantifier quelles sont les «pertes» financières dues au Covid-19 pour les paroisses à ce stade… d’autant plus que des dons exceptionnels pourraient toujours avoir lieu plus tard.
Une réflexion prospective interne sur le sujet devrait se faire début mai. Il est en tout cas certain que la pandémie entraînera «une pression sur les finances, et qu’il faudra faire des choix», explique Perry Fleury. Pour le moment, aucun axe ou projet n’a été retenu ou impacté. Pandémie ou pas, les dotations de l’Église vaudoise sont déjà en baisse, et des changements doivent être réalisés. «Les impacts se feront par rapport au budget 2020, et en fonction également des projets que la vision en construction engendrera. Les discussions seront multiples. Les organismes subventionnés par l’EERV, ou encore L’État seront probablement associés aux réflexions, mais à nouveau, c’est trop tôt pour dire sur quels thèmes il faudra débattre », conclut Perry Fleury.
Malgré cette situation difficile, le Conseil synodal a recommandé, notamment à Pâques de «de penser et veiller à celles et ceux qui n’ont rien et d’oser destiner tout ou partie de la collecte de Pâques à l’action globale initiée par l’Église évangélique réformée de Suisse envers les dizaines de milliers de réfugiés sur l’île de Lesbos et au nord de la Syrie.»
À Neuchâtel, volonté d’une stratégie commune avec d’autres Églises
Comme ailleurs, c’est la Campagne de carême portée par l’ONG protestante Pain pour le prochain qui a d’abord été impactée à Neuchâtel. «En tant qu’Église, nous garantissons toujours une cible financière annuelle pour l’ensemble des œuvres d’entraide. Je serais surpris que nous décidions de la négocier à la baisse. Nos difficultés financières ne doivent pas impacter les pays pauvres. Nous faisons partie de l’Église universelle et dans les pays concernés, la pandémie arrivera aussi, alors que les structures médicales seront moins équipées», souligne Jacques Péter, conseiller synodal à l’Église Réformée de Neuchâtel.
L’institution, comme l’Église vaudoise veut soutenir ses paroisses. Alors qu’en 2018 (derniers chiffres disponibles), ces dernières avaient collecté mensuellement près de 40’000 francs, cette somme leur fera défaut, par mois sans célébration. « Une réflexion est ouverte sur une possible aide de l’Église cantonale. Mais lancer officiellement un appel aux dons est difficile tant que nous ne sommes pas sortis de la crise.»
En outre, l’EREN n’exclut pas une baisse de ses ressources en raison d’une diminution potentielle de financement sur les deux prochaines années. «L’État facture aux personnes physiques et morales une contribution ecclésiastique volontaire en faveur des églises reconnues (Églises catholiques romaine, catholique chrétienne et réformée), qui est un pourcentage de l’impôt cantonal. Toute baisse de ce dernier a un impact sur les montants facturés. De plus, cette contribution étant volontaire, il est à craindre que les personnes morales et physiques ayant des difficultés financières décident de réduire leur contribution», redoute Jacques Péter. L’Église protestante souhaite élaborer une stratégie commune avec les autres Églises neuchâteloises reconnues, la baisse probable des recettes de la contribution ecclésiastique. « Notre commission inter-Églises fonctionne bien, nous arrivons à nous mettre d’accord pour collaborer sur tout ce qui ne relève pas du spirituel. Ce point est plus délicat vu les différences de sensibilité», reconnaît le conseiller synodal pour qui la crise a exacerbé le besoin de spiritualité. «Le retrait des Églises sur un certain nombre d’offres spirituelles ne serait pas compris. Notre mission reste identique et les attentes en ce qui concerne la spiritualité et la recherche de valeurs sont fortes, et elles évoluent. Cette pandémie nous a d’ailleurs donné des éléments pour mieux nous y adapter!» La suite du projet EREN 2023 sur le rôle de l’Église dans la société sera discuté lors du prochain synode, reporté au mois d’août.
Berne Jura: une situation pour l’heure «illisible»
Pour les Églises Berne-Jura-Soleure, très dépendantes pour leur financement des rentrées fiscales des paroisses, il est trop tôt pour faire le moindre commentaire pour le moment. Mais l’impact de la crise du coronavirus sera évidemment sensible en 2022, à partir des rentrées fiscales de l’année 2020, comme l’évoque Bertrand Baumann, responsable de la communication. Sur ce point aussi, le Synode du mois d’août, qui devait aborder la stratégie financière sera crucial et fera l’objet de débats importants.
Dans l’immédiat, comme partout, ce sont surtout les collectes qui ont fait défaut. Elles sont de plusieurs ordres. Il y a les collectes générales, destinées à des causes comme la collecte de soutien aux Églises suisses à l’étranger de mars, ou en faveur des organisations œcuméniques internationales, de la diaconie (à Pentecôte). Seule celle du « Dimanche de l’Église » a pu se tenir, début février. Il y a ensuite des collectes spécifiques aux arrondissements et celles propres aux paroisses.
En 2018, le produit de ces collectes était déjà en baisse sensible par rapport aux années précédentes. Seul espoir pour cette année, qu’un certain « rattrapage » ait lieu sur la seconde partie de 2020, espère Bertrand Baumann.