«Sans union, les Églises réformées n’ont pas de futur»

La cathédrale Saint-Pierre de Genève / © iStock
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La cathédrale Saint-Pierre de Genève / © iStock

«Sans union, les Églises réformées n’ont pas de futur»

20 octobre 2022
À l’heure où l’Église protestante de Genève se bat pour sa survie financière, sa présidente Eva Di Fortunato parle laïcité, sécularisation et évangélisation.

L’Église protestante de Genève (EPG) subit actuellement une massive baisse du nombre de ses membres. Vivant uniquement de leur contribution, laïcité oblige, l’institution se retrouve face à de graves difficultés financières, les dons ayant reculé de 40% ces six dernières années. État des lieux avec la présidente de l’EPG, Eva Di Fortunato.

 

La baisse des dons que reçoit lEPG provient notamment d'une désaffection des croyants. Combien reste-t-il de membres contributeurs de lEPG et combien en avez-vous perdu sur les 5 dernières années?

Il ne s’agit pas d’une désaffection des croyants. En réalité, nous peinons à remplacer les générations qui nous quittent. Selon l’Office fédéral de la statistique, il y a 38’000 réformés à Genève et 5000 foyers qui donnent directement à l’EPG, ce qui n’inclut pas les dons faits directement aux paroisses. Depuis 2017, nous avons perdu 900 foyers donateurs.

 

Vous misez actuellement sur limmobilier de rendement ou laide des paroisses pour sauver les finances de lEPG. L’évangélisation pourrait aussi être un moyen de ramener des croyants. Quest-il prévu de ce côté-là?

Chez les réformés, l’évangélisation de rue et le prosélytisme ne se pratiquent pas. Il s’agit, chez nous, de témoignage indirect. Évangéliser, pour nous, c’est simplement vivre sa foi et faire Église. Toutefois, nous avons prévu d’aller voir des gens hors de notre institution pour leur demander ce qu’ils attendent de nous. Une journée de travail est prévue en ce sens, en mars, avec l’aide du sociologue des religions Jörg Stolz, afin de déterminer le rôle d’une Église comme la nôtre dans un monde laïc. Nous avons également un projet autour des valeurs protestantes, afin de tenter de faire valoir notre spécificité réformée au milieu de la pluralité de religions et courants spirituels.

 

L'EPG a réalisé en 2019 une campagne daffichage. Quels effets a-t-elle eu sur le plan financier et l'adhésion de nouveaux membres? Est-il possible que vous en relanciez une?

Cette campagne a eu un impact sur la notoriété de notre Église. Elle n’a toutefois pas été suivie par une augmentation des dons. Dans un futur proche, nous avons prévu de créer une brochure tout-ménage pour faire connaître les activités de notre Église, et nous sommes en train de refondre notre site Web.

 

Outre les répercussions sur les finances de l’Église, de quelle manière la loi sur la laïcité genevoise impacte-t-elle lEPG?

J’ai l’impression que cette loi est une opportunité. C’est notamment grâce à cette dernière que certains services de l’Église, comme les aumôneries en hôpital ou en prison, offerts à la population sans distinction de confession, ont été reconnus d’utilité publique. Toutefois, avec cette loi, notre position au sein de la société n’est plus une donnée acquise mais requiert que nous démontrions notre pertinence au quotidien en termes d’utilité publique. En bref, nous devons être proactifs!

 

LEPG est lÉglise historique de Calvin, le grand réformateur. De fait, les Églises réformées romandes ont-elles à vos yeux également une responsabilité face à l'avenir de l’EPG?

Oui. Mais l’EPG a également une responsabilité envers les autres Églises romandes. Si elles restent dans leur coin, les Églises réformées n’ont d’ailleurs pas de futur. L’EPG bénéficie déjà du soutien financier d’un certain nombre d’Églises cantonales, tandis que certaines d’entre elles bénéficient de notre expérience en tant qu’Église réformée du canton le plus laïc de Suisse.

 

À la différence des Églises réformées, les Églises évangéliques sont pleines. Comment le comprenez-vous?

Je crois que c’est un fantasme. Les Églises évangéliques sont elles aussi confrontées au problème d’un monde post-chrétien. Toutes les Églises sont dans le même bateau. J’ai parlé à certains évangéliques qui m’ont dit accuser le coup d’une baisse des dons et peiner à enrôler les jeunes, c’est la même chose…

 

Toutefois, le dimanche, leurs églises sont pleines…

C’est que les évangéliques ont moins de lieux que nous! À Genève, l’EPG compte 33 paroisses! Ce qui montre qu’en termes structurels, il y a bien un défi à relever de notre côté.

 

Une megachurch réformée, ça vous plairait?

Pourquoi pas! Je n’ai pas de tabous. En tout cas, le défi de notre Église, c’est aussi cette implantation historique dans de si nombreuses communes. Car si nous nous regroupions par régions, nous aurions la même participation aux cultes que les évangéliques.

 

Cela voudrait donc dire moins de pasteurs…

De toute manière, cela arrive. 25 de nos pasteurs sur les 44 actuels partiront à la retraite dans les dix ans à venir. Nous aurons donc forcément à faire avec moins de ministres, la relève étant trop faible.

 

Selon différentes études, les Églises affichant une position conservatrice sont les plus pérennes. Y aurait-il également une composante de positionnement théologique pour un renouvellement réformé?

L’Église réformée ne va pas renoncer à sa théologie pour faire revenir du monde. L’identité réformée, c’est la liberté, la responsabilité et une éthique qui n’entre pas dans la chambre à coucher des gens. Nous n’exerçons aucune pression morale auprès de nos croyants et cela n’est pas prêt de changer.

 

En dehors du positionnement théologique, y aurait-il quelque chose à apprendre des évangéliques?

Oui. Leur souci de la vie communautaire est exemplaire.

 

Y a-t-il autre chose à revoir chez les réformés? Quelles pistes sont à envisager pour rendre l’Église protestante plus attractive?

Ce n’est pas l’Église que nous voulons rendre plus attractive, mais le message que nous annonçons. Ce qui est extrêmement important, c’est que les personnes engagées dans l’Église soient convaincues de la mission et de leur travail. Ce n’est que comme ça que nous pourrons mettre en avant la pertinence de notre message et l’attractivité du personnage de Jésus-Christ, le premier dans l’histoire du monde à prouver que de l’échec peut naître le succès et de la mort, la vie.

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Eva Di Fortunato / © Alain Grosclaude