Les chrétiens d’Afrique croient en un réveil occidental

Les chrétiens d’Afrique croient en un réveil occidental / IStock
i
Les chrétiens d’Afrique croient en un réveil occidental
IStock

Les chrétiens d’Afrique croient en un réveil occidental

Salomon Albert Ntap
7 novembre 2022
Depuis le continent africain, la diminution du nombre de croyants en Europe n’est pas perçue comme une fatalité. A condition que les Eglises traditionnelles reviennent à leurs fondamentaux. Ressentis. (2/2)

Que l'on soit à Yaoundé, Kinshasa, Abidjan ou Lomé, le moins que l’on puisse dire, c’est que le désamour des Occidentaux pour les Eglises traditionnelles ne laisse pas les chrétiens d’Afrique indifférents. Pour autant, l’heure n'est pas au fatalisme.

Pour ces hommes et femmes rencontrés dans les rues de quelques capitales du continent africain, il y a de l'espérance pour leurs sœurs et frères occidentaux dans la foi. Ils se rappellent qu'il y a entre cinquante et huitante ans en arrière selon les régions, l’ardeur de la foi chrétienne n'était d’ailleurs pas autant prononcée qu’aujourd'hui en Afrique. A leurs yeux, le même réveil est donc possible en Occident, ce d’autant plus que c'est bien là qu'il s'est premièrement manifesté.

Un nouveau réveil

Il y a cependant des préalables, estiment-ils, pour espérer insuffler un nouveau souffle au sein des Eglises occidentales. «Vu d’Afrique, on a l’impression que ces Eglises sont en train d’abolir ce qui a fait leur force», exprime Jessica, propriétaire d’une librairie chrétienne à Lomé, au Togo. A ses yeux, il est plus que jamais nécessaire que celles-ci «retournent sincèrement à ce qu'elles sont sensées défendre, à savoir la parole de Christ – et ce dans son intégralité, non une parole revue et remise au goût jour.» Et d’asséner: «C’est en redevenant des références qu’elles pourront attirer de nouveau les fidèles.»

A Yaoundé, capitale du Cameroun, le catholique Michel appelle aussi de vive voix une réforme des Eglises occidentales, et ce tant sur le fond que la forme. Il se souvient notamment d’une prédication qui l’a profondément marqué lors d’une de ses missions en Belgique. «La substance de ce prêche était ennuyeuse, vide et truffée davantage de pensées positives que de la Parole de Dieu. Je me suis dit: si du haut de mes vingt ans à l'église je m’ennuie autant, qu'en serait-il d'un jeune converti?»

Pour ce chrétien camérounais, les prêches doivent revêtir un caractère spirituel et sortir des cadres d'inspiration intellectuelle qui ne peuvent transformer les cœurs. Car c'est l'amour de Dieu seul qui peut ramener les chrétiens occidentaux à renouer avec les Eglises, explique-t-il. «Il y a un réel besoin de remettre le spirituel au centre des sermons. La pensée positive est présente partout en Occident, dans les médias, à l'école, dans les universités… Quand les gens viennent à l'église, ils il leur faut entendre la parole de Dieu: c’est elle le baume dont a besoin le cœur de chaque chrétien.»

Se rendre visible

De son côté, Ruth Ngangoy de Kinshasa estime que les Eglises traditionnelles occidentales devraient investir la société dans son ensemble et refuser toute mise en quarantaine orchestrée par l'Etat et les politiques afin de les museler. «On a le sentiment que les Eglises en Occident  n'ont pas permis à leurs ouailles de réaliser qu'elles sont la  lumière du monde. Or Jésus l'a clairement dit: une ville située sur une montagne ne peut être cachée», rappelle-t-elle. «Il faut que les Eglises sortent du cloisonnement dans lequel on les a enfermées et qu'elles se rapprochent des hommes et des femmes en proie aux difficultés de toutes sortes. Elles ont besoin d'entrer de plein fouet dans le champ d'évangélisation afin de se frotter au monde et d'attirer de nouvelles personnes.»

Le retour aux fondamentaux de l'Eglise – dont quelques-uns sont  l'amour, la compassion, le partage – constitue des champs à explorer de nouveau pour redynamiser la foi refroidie de plusieurs chrétiens occidentaux. Dans leurs yeux, ils recherchent cet élan de cœur de plus en plus rare au milieu d'une société où les hommes sont centrés sur eux-mêmes. Et l'Église dans toutes ses composantes n'est pas à l'abri. «On a l'impression que l'individualisme a réussi à faire son nid dans les Eglises», évoque encore Ruth Ngangoy. «Peu de fidèles trouvent chez leurs conducteurs spirituels la même compassion qui caractérisa Jésus-Christ. C'est à se demander si parfois les serviteurs de Dieu n'ont pas peur de leurs fidèles au point de s'en éloigner.»

Evoquant les œuvres d’entraide, vitrines des Eglises traditionnelles selon elle, Jessica à Lomé estime qu'il faut les repenser dans leur approche afin qu'elles soient un moyen de présenter Christ et non une moyen pour acquérir de la renommée. D'ailleurs, lui semble-t-elle, ces initiatives caritatives des Eglises évoluent dans un environnement où prolifèrent déjà plusieurs organismes d'aides sociales. «Si vous prenez un pays comme la France où le régime social est assez généreux, vous comprenez que c'est difficile d’impacter les individus qui bénéficient déjà de l'aide de l'Etat à côté de celle d'autres institutions caritatives.»

Confiance en l’Alliance

«Ce qui a été sera»: cette affirmation proclamée par Jésus-Christ anime et porte les cœurs des chrétiens africains rencontrés. Le mal est certes profond, reconnaissent-ils, mais ils ne doutent par un seul instant d'un nouveau départ. «Cela prendra peut-être assez de temps mais je crois fortement que si les églises traditionnelles font les reformes nécessaires, d'ici dix ans on ne parlera plus de désaffection des lieux de culte en occident», se convainc Michel de Yaoundé. «Il y a en chaque être humain un vide que seul Dieu peut combler, et je reste convaincu que très bientôt il sera possible aussi en France, en Belgique, en Suisse et partout en Occident, qu'on enregistre dans les églises trois voire quatre services le dimanche.»

Jessica de Lomé rêve, quant à elle, d’une Notre-Dame de Paris pleine à craquer après sa réfection, et pas uniquement lors des obsèques d'une personnalité, mais aussi chaque dimanche. «Je ne suis pas fataliste de nature et ma foi chrétienne me l'interdit d'ailleurs. Je reste convaincue que les Eglises traditionnelles feront avec l'aide de Dieu le nécessaire pour ramener les chrétiens dans les lieux de cultes. L'enjeu est crucial pour la survie de l'œuvre de Dieu en Occident.»

Elle dit fonder cette espérance sur le fait que «Dieu est un Dieu d'alliance. Pour l'essentiel des Européens, leurs ancêtres ont été au cœur de l'œuvre chrétienne en Europe et même en ici en Afrique. Je ne crois pas que Dieu soit injuste pour ne pas se souvenir d'eux et les ramener à Lui et dans sa maison.»

La perspective d'un sursaut chrétien en Occident est donc certaine pour plus d’un chrétien africain interrogé. De plus, si le phénomène perdure, il pourrait se répandre en Afrique, prévient Ruth Ngangoy: «La société africaine est fortement influencée par le monde occidental francophone. Il est n'est pas à exclure que nous soyons aussi sous cette menace dans un proche avenir. C'est pourquoi, il ne faut ni condamner, encore moins se délecter de ce qui se passe chez les chrétiens occidentaux.» Et de conclure: «Nous avons un devoir en tant que chrétien, celui de porter aussi ce fardeau dans nos prières et requêtes à Dieu.»