«L’histoire de Noël s’adresse à toutes les personnes qui veulent l’entendre»

Rita Famos, pasteure et présidente des réformés suisses / EERS
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Rita Famos, pasteure et présidente des réformés suisses
EERS

«L’histoire de Noël s’adresse à toutes les personnes qui veulent l’entendre»

23 décembre 2023
Comment être dans la joie et la fête, alors que le monde va si mal? Rita Famos, présidente des protestants suisses, explique en quoi le message de Noël est toujours aussi précieux. Interview.

Noël. La course aux préparatifs (presque) achevée, l’heure est aux réjouissances. Pourtant, il n’est pas toujours aisé de se sentir l’âme en fête, entre les cris du monde, les conflits familiaux ou, parfois encore, une solitude assourdissante. Et pourtant, pour Rita Famos, présidente de l’Eglise évangélique réformée de Suisse, il apparaît même plus important de se rappeler le sens de Noël quand les temps sont difficiles. Explications.

Alors que le monde va si mal, a-t-on encore le droit de fêter Noël?

Oui, absolument! Noël est célébré depuis deux mille ans dans le monde entier. En temps de paix et de prospérité, comme en temps de crise et de guerre. Il me semble même que c'est d'autant plus important en temps de crise. Dans ces périodes, l'être humain a besoin d'être rassuré par ce qui lui est familier. Noël offre doublement ce cadre sécurisant: c'est le temps des fêtes de famille, de la rencontre avec les personnes qui nous sont chères. Et c'est aussi le temps des traditions: des bougies, des chants, du sapin, des cadeaux.

Comment ne pas ressentir de culpabilité alors que la guerre et la faim sévissent en d’autres lieux?

Je crois qu’il est important d’avoir des îlots à l’abri de tout ce mal. Des temps où l’on peut se retirer, un instant, pour se ressourcer et trouver de la force auprès des siens. Noël n’a pas à être dans l’excès et les repas somptueux. Ce qui compte, c’est avant tout le contact avec les siens et l’amitié, une petite attention, quelques chants. Il est bon de se rappeler le pourquoi de ces festivités:  Dieu est amour et vient à nous, les humains, en la personne d'un petit enfant. Il nous gratifie de sa présence aimante, raison pour laquelle nous nous gratifions les uns les autres de notre présence.

Entre solitude et réunions de famille forcées, Noël peut aussi avoir parfois un goût amer. Que diriez-vous à ceux qui n'arrivent pas à se réjouir de ce temps de fête?

Presque toutes les familles connaissent parfois des conflits. Jésus, justement, n'a pas pensé la famille de façon restreinte et bourgeoise puisqu’il nous appelle tous et toutes ses frères et sœurs. Il n’y a donc pas que la famille biologique, mais aussi celle formée par les gens que vous aimez et avec qui vous vous sentez bien. A ceux qui ont des difficultés au sein de leur famille, je dis: faites comme Jésus, cherchez celles et ceux qui partagent vos valeurs et votre vie, et passez une soirée de Noël harmonieuse avec eux. Peut-être même vous y trouverez-vous la force d’affronter les relations plus difficiles... Noël n’est pas réservé à la famille bourgeoise décrétée au 19e siècle, c’est la fête de la famille qui a choisi de suivre le Christ.

Presque toutes les familles connaissent parfois des conflits

Précisément, à qui s'adresse le récit de Noël? Et fait-il encore sens aujourd’hui?

La Bible comprend plusieurs récits, qui présentent l’histoire de Noël sous un angle différent. Il y a les bergers dans les champs à qui viennent s’adresser les anges, il y a les rois mages qui suivent l’Etoile, mais également leur échange avec le roi Hérode et enfin le récit plus philosophique de Jean où il est dit que «celui qui est la Parole est devenu un homme». C’est la preuve même que l’histoire de Noël s’adresse à toutes les personnes qui veulent l’entendre. Depuis deux mille ans, elle parvient aux personnes les plus diverses. Aujourd’hui encore, elle nous rappelle que Dieu n’est pas caché, en retrait dans l’univers, mais qu’il est venu parmi nous, nous rejoignant dans notre humanité.

Pour vous, quels sont les éléments qui méritent une attention particulière dans ce récit de la Nativité ?

Les éléments qui me semblent importants sont ceux qui remettent en question, voire bouleversent, tout ce qui nous est familier. La Vierge donne naissance à un enfant, c’est aux bergers marginaux que les anges annoncent d’abord le nouveau roi et celui-ci est un bébé sans défense dans une mangeoire. C’est complètement dingue, dans le meilleur sens du terme. Qui aurait pensé, même à l’époque, que la puissance se révèle dans la fragilité et l’amour, et non par les armes? Cela nous enseigne qu’il est important de ne pas nous laisser abattre par ce que nous croyons être des fatalités et par ce que nous ne comprenons pas encore.

Justement, quelle est cette bonne nouvelle à laquelle fait référence le récit?

Que le monde est bien plus que ce que nous voyons: Dieu ne nous a pas oubliés, nous les humains, il ne nous abandonne pas, ni sa création, malgré  toutes ces catastrophes et défis auxquels est confronté notre monde. C’est humain d’avoir peur, mais Dieu connaît nos craintes et les porte avec nous.

Le message de Noël est-il toujours le même, ou doit-on le comprendre différemment? 

Le message est le même, il n’a pas changé. Il résonne cependant différemment selon les circonstances de chacun. Par exemple, le message «Paix sur la terre!» des anges aux bergers résonnera différemment à Bethléem ou en Ukraine aujourd'hui que pour quelqu'un à la gare de Genève, stressé par ses soucis de travail. La promesse divine répond autant à ceux qui aspirent à ce que les armes se taisent qu’à ceux qui sont en recherche de paix intérieure et de sécurité, ou toute autre situation. Je pense également à tous ces jeunes qui affrontent une dépression. Ce message est une ressource jamais épuisée.

La foi est un cadeau, mais il ne faut pas non plus l’attendre les bras croisés

Les Eglises évoquent souvent le terme d'«espérance». Mais que revêt-il concrètement?

L'espérance est un cadeau qui nous est offert, qui donne force et confiance. Grâce à elle, nous comprenons que nous ne devons pas nous limiter à ce que nous voyons et à ce que nous craignons. Elle nous invite à tout donner pour que la vie soit meilleure, tout en nous rappelant qu’en fin de compte tout ne dépend pas de nous. Cette force, on peut la recevoir dans la prière: quand on détourne son regard des problèmes présents pour le diriger vers le ciel ouvert et la promesse que Dieu conduit toutes choses.

La foi est donc un cadeau?

Oui, c’est un cadeau, mais il ne faut pas non plus l’attendre les bras croisés. On peut aussi se mettre en route: discuter avec des personnes croyantes autour de nous, leur poser des questions, ou lire certains textes, notamment les Evangiles. Dieu ne se manifeste pas que dans les églises, il peut surgir dans la nature, dans la lecture, au détour d’une conversation. Et subitement, nous nous rendons compte que quelque chose a germé en nous. On ressent que l’on est écouté quand on prie.

Pourquoi est-ce si difficile d’évoquer sa foi?

C’est très suisse. Aux Etats-Unis par exemple, le sujet est facilement abordé dans la vie quotidienne. C’est vrai que la foi est quelque chose de profondément intime, mais cela ne signifie pas que l’on ne peut pas partager sur des choses très concrètes, comme «Qu’est-ce que tu penses du récit de Noël?», «Est-ce que tu pries?» ou «Est-ce que tu lis la Bible?». J’ai envie de dire: si cela vous interpelle, posez des questions et cherchez là où vous pensez pouvoir trouver des réponses.

Quelle place la foi chrétienne laisse-t-elle au doute?

La foi et le doute sont comme des jumeaux. Ils sont intimement liés. La foi sans le doute produit une croyance très dogmatique, qui ne peut pas se développer, parce qu’elle ne laisse pas de place pour les questionnements et s'accroche à ce qui est acquis de manière bornée. A l‘inverse, un doute dénué de confiance est terrifiant. Certes, il y a des événements dans la vie qui ne font aucun sens et où on se demande où est Dieu. Mais la vie est insupportable si on n’accepte pas de faire un minimum confiance. S’il n’y a que le doute, on ne peut que s’emmurer dans son insécurité.

Vous-même, avez-vous toujours été croyante? 

Il y a un temps pour tout. J'ai connu des moments de foi et des moments de doute, de désespoir aussi. Notamment face à l’incompréhensible. Il faut l’accepter: il y a des périodes où on a l’impression que Dieu est très loin. En revanche, si je ne me suis pas toujours accrochée à ma foi, Dieu ne m’a jamais lâchée: il m'a maintenue dans la relation. Même quand je ne croyais plus en lui, Dieu a toujours cru en moi.