Témoignage: «J’ai vécu quinze ans sous l’emprise d’un pasteur»

Agressions sexuelles, emprise, thérapie de conversion: les victimes témoignent. / ©iStock
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Agressions sexuelles, emprise, thérapie de conversion: les victimes témoignent.
©iStock

Témoignage: «J’ai vécu quinze ans sous l’emprise d’un pasteur»

Contrôle
Les abus en contexte ecclésial revêtent des formes très diverses. Trois victimes racontent ce qu’elles ont vécu dans différentes Eglises réformées romandes, et exigent la fin de la culture de l’impunité.

Agressions sexuelles, emprise, thérapie de conversion: les victimes témoignent

Nous sommes dans le canton de Vaud, au milieu des années 2000. Ado passionné de foi chrétienne, Antoine* décide de rejoindre le groupe de jeunes réformés de sa région, auprès d’un pasteur qu’il admire. «Son intelligence, sa manière de parler me fascinaient», se souvient-il. Mais l’homme révèle vite une face plus sombre. «Je me rappelle que quand je me suis mis en couple avec ma copine, à l’âge de 16 ans, je suis allé le lui annoncer en disant que c’était un cadeau de Dieu. Il a répondu que le diable aussi donnait, et généreusement.» Des petites phrases assassines de ce genre, il y en aura bien d’autres. «Il se montrait intrusif dans nos relations amoureuses. Il était très critique au sujet de nos parents, jamais assez éveillés spirituellement. Il nous conseillait même de nous en éloigner pour progresser.» Au sein même du groupe, il y a les jeunes qui «en valent la peine», et ceux qui sont «une perte de temps». Parmi ces derniers, les sceptiques et les détracteurs. «Ils étaient isolés et très critiqués par le ministre et les autres jeunes.»

Il était très critique au sujet de nos parents, jamais assez éveillés spirituellement.

Antoine, encore mineur au moment de rejoindre le groupe, ne s’aperçoit pas de la dérive. «Pour moi, c’était complètement normal. Je cherchais sans cesse à être approuvé, bien vu. Et ceux qui ne marchaient pas dans la combine étaient dans l’erreur.» Le discours du pasteur vis-à-vis de l’extérieur renforce ce sentiment. «Les gens qui le critiquaient étaient des malades spirituels, ils ne le comprenaient pas et c’est pour cela qu’ils l’opprimaient. Il disait que ceux qui sont fidèles au Christ sont toujours persécutés.»

Après quelques années, Antoine commence à percevoir des dysfonctionnements. «J’ai remarqué que ce qui faisait le liant relationnel dans le groupe était la médisance constante. En même temps, j’ai pris de l’expérience et commencé à concevoir la foi et les relations à ma façon.» Parallèlement, de nombreux jeunes quittent le groupe. Antoine, lui, coupe définitivement les ponts à l’âge adulte, lorsque dans un accompagnement avec un autre pasteur le mot «emprise» est évoqué. «J’ai récemment expliqué mon cas à l’instance de signalement des abus de l’EERV, le Grepa. Les expertes m’ont confirmé que j’avais vécu une emprise avec composante spirituelle et conseillé de suivre une psychothérapie avec des spécialistes.»

Aujourd’hui, Antoine mesure l’ampleur des dégâts et le chemin qu’il lui reste à parcourir. «Je suis toujours méfiant des autres et de leurs croyances. J’ai des difficultés avec les conflits. Et je peine à assumer mes décisions tant j’ai eu l’habitude de les prendre en fonction de ce pasteur.» Il espère que les réformés se formeront pour détecter de telles dérives. «Ça se voyait qu’il déconnait! Les différentes instances de la paroisse et de la Région ne m’ont pas protégé quand j’avais 15 ans. Aujourd’hui, on doit être vigilant.»