Sarah Scholl donne une leçon à l’idéal féminin
Être mère? «Assurément, un décentrement de soi», confie Sarah Scholl, professeure en histoire du christianisme à la Faculté de théologie de l’Université de Genève. S’avouant plus ou moins «égocentrique» avec humour et humilité, cette brillante universitaire, mère d’une fille et d’un garçon nés il y a 16 et 10 ans – «avec une thèse entre les deux» –, s’intéresse régulièrement à la maternité dans ses sujets de recherche. «Si je parle de mon expérience personnelle, je dirais que la naissance de mon premier bébé a été un sacré cataclysme. Je me suis demandé ce qui m’arrivait… D’autant que ma fille était prématurée de deux mois», relate-t-elle.
Heureuse d’avoir été nommée professeure, après une longue carrière de postdoctorante qui l’a conduite à faire un tourisme académique remarquable – «plusieurs de mes amis n’ont pas eu ma chance» –, Sarah Scholl est désormais sur le point de donner sa leçon inaugurale en tant que professeure associée. Centrée sur l’idéal féminin selon la vision protestante au XIXe siècle, cette séance, intitulée «Kinder, Küche, Kirche» est prévue le 8 octobre. Mais pourquoi les «trois K»?
«J’expliquerai comment l’image de la femme ménagère, qui pèse encore sur nos épaules, s’est notamment imposée dans notre société occidentale grâce à la fixation dans les esprits d’une morale familiale chrétienne selon laquelle la maternité devait être une sorte de sacerdoce domestique.» Et de constater que «la vision de la femme à la maison, développée dès le XIXe siècle, est en fait très récente et n’a pas tenu longtemps». Une leçon militante, donc? «Évidemment, cet intérêt dérange les tenants d’une grande histoire masculine, mais également un certain féminisme trouve le sujet de la maternité conservateur.»
Les dogmes de l’allaitement
Compagne du journaliste Benito Perez, Sarah Scholl l’a rencontré à la rédaction du «Courrier». Elle a notamment avec lui des souvenirs de voyages en Amérique latine, qu’elle a pu s’offrir en travaillant à mi-temps pendant ses études comme responsable de la page «Religions» du quotidien genevois. «C’était une folie», raconte celle qui vit aujourd’hui en famille à Vernier, où elle a grandi aux côtés d’une mère géologue et d’un père électricien, qui avait sa propre entreprise. «C’est un inventeur. Il a notamment créé des prototypes de voitures solaires et vendus parmi les tout premiers véhicules électriques!»
D’autres pérégrinations intellectuelles l’ont conduite, en tant qu’universitaire, à participer à un travail sur l’histoire de l’allaitement. Une contribution à un ouvrage de 1000 pages dont elle est très fière: «En me servant de ma méthode pour analyser les catéchismes, je me suis penchée sur des textes de puériculture. Il est incroyable de constater que tout est dogmatique dans cette littérature! On n’y lit que des «il faut» et des «ne faites surtout pas cela.»
Inacceptable pour Sarah Scholl, qui se dit avide de liberté pour elle et pour les autres, notamment en matière de religion. «Liberté de croyance, de changer d’avis, d’essayer des choses, des rites, des spiritualités: cette fluidité est primordiale à mes yeux», relève celle pour qui la laïcité – dont elle est également spécialiste – est parfois privative de liberté dans sa Genève natale. «L’interdiction des baptêmes évangéliques au bord du lac n’a pas de sens. Le but de la laïcité, comme elle a été pensée au XIXe siècle, était justement de permettre le vivre-ensemble et d’organiser la diversité.»
Antiquité biblique
Ses propres croyances, Sarah Scholl ne les affiche pourtant pas. Questionnée à ce sujet, elle réfléchit puis se rebiffe. Pour elle, garder son jardin secret est important afin de rester en position de neutralité face à ses étudiants. «Surtout en théologie, où on pourrait penser que j’ai un parti pris dans ma démarche historique. C’est d’ailleurs la même chose pour mes collègues. Il y a un consensus de discrétion autour de la foi intime de chacun.»
Pour autant, Sarah Scholl nous raconte avec plaisir ses premières rencontres avec la Bible, un texte qu’elle se met alors à compulser frénétiquement, juste avant sa confirmation dans la paroisse réformée de Vernier. «Une histoire fascinante de l’Antiquité est contenue dans la bibliothèque Qu’est ce livre», s’émerveille-t-elle alors. Au sortir du collège, au moment de choisir un cursus, il lui semble donc logique de «croiser histoire, politique et christianisme» grâce à la théologie.
Des études qui feront d’elle une chercheuse demandée, notamment passée par Paris, Québec ou Cambridge. «L’Angleterre a été une expérience marquante. Moi qui travaille aujourd’hui dans une université encore très «costard-cravate», j’ai aimé que l’excellence puisse parfois revêtir un pull miteux.»
Mardi 8 octobre | 18h30 | salle MR280
Uni Mail, 40 bd du Pont-d'Arve, 1205 Genève