L’EERV s’interroge sur son identité
Une charte du pluralisme? C’est l’idée esquissée par le rapport établi par le groupe de travail mené par le pasteur Jean-François Habermacher. En 2017, celui-ci a été mandaté par le Conseil synodal (exécutif) pour réfléchir à la manière de gérer la pluralité dans l’église. Il s’est entouré d’une équipe — Lionel Akeret, Luc Badoux, Olivier Favrod, Alice Fischer, Dorothea Maffli, Alain Martin, Samuel Ramuz, Julian Woodford — qui a planché sur le sujet durant près d’un an.
Après avoir recueilli et analysé les expériences d’acteurs de terrains confrontés au pluralisme, le groupe s’est également rendu dans plus d’une vingtaine de lieux d’église pour échanger sur le terrain.
Leur rapport de 70 pages, relativement complexe, définit notamment le pluralisme comme «une voie médiane» entre monisme, qui prétend qu’il n’y a qu’un seul système de pensée et relativisme, qui estime que tous les systèmes se valent. Le pluralisme «cherche à tenir ensemble à la fois ce qui relie et ce qui distingue. Il prône une unité dans la diversité. Il permet une diversité des perceptions et représentations du réel.» Cette discussion autour du pluralisme a pour but de mieux faire cohabiter différentes sensibilités théologiques au sein de l’Église, notamment les cultures évangéliques ou charismatiques et réformées ou historico-critiques. «Comment concilier ouverture et diversité/convictions? Comment faire lorsque mes convictions sont critiquées au sein de ma famille d’Église? Quels sont les fondamentaux du vivre ensemble? Notre but est débattre, non pas en tant que théologiens, mais afin de nous donner une boîte à outils, des pistes pour cheminer ensemble malgré ce qui nous divise et stimuler réflexion sur ce que doit être le vivre ensemble dans chaque lieu d’Église», a expliqué Line Dépraz, conseillère synodale, en avant-propos du débat autour de ce rapport, lors du dernier synode de novembre.
L’épineuse question des limites
Les membres du Conseil Synodal ont largement échangé sur la nécessité de poser des «limites» au sein de l’Église.
Pour certains, ces dernières ne sont pas nécessaires, puisqu’elles figurent déjà dans le texte biblique. «Le texte biblique entraîne la négation d’une lecture univoque, il n’y a, à aucun moment, de texte qui pose des limites, le débat est continu (…) Notre socle c’est les textes, et les textes c’est la diversité. En créant une charte, on va créer une nouvelle orthodoxie», estimait ainsi Frédéric Keller, délégué pour le Chablais vaudois, avant de préciser qu’il préférait le terme «socle» à celui de limites, et la culture du débat perpétuel plutôt que l’édiction de normes.
D’autres ont pointé le manque de précision du rapport, voire son ethnocentrisme. «La définition de l’Église est insuffisante, il est difficile de définir l’Église sans rapport à son seigneur. De plus, évoque l’EERV comme si elle était la seule Église, on ne pense pas l’Église au-delà des frontières de l’EERV», a remarqué Pierre Yves Brandt, délégué de la faculté de théologie.
Répondre aux demandes particulières
Reste que le but de ce travail était de fournir des outils concrets face à des situations auxquelles sont confrontées les pasteurs et membres de l’Église au quotidien. Jusqu’où leur faut-il s’adapter face à des demandes parfois éloignées voire en apparente contradiction avec leurs habitudes ou les textes? C’est ce qu’a rappelé le conseiller synodal Boris Voirol. «Quand on a un vieil oncle facho, on fait quoi? Est-ce qu’on invite des gens qui ne se supportent pas? Comment on fait pour faire cohabiter ces opinions différentes? Qu’est-ce qu’on met au centre comme principes constitutifs? On invite tout le monde ou pas? Qu’est-ce qu’on accepte sous notre toit qu’est-ce qu’on refuse?», a-t-il expliqué de manière imagée.
Et par ailleurs, comment, sur ces questions-là passer 'du je au nous’ s’est interrogée Line Dépraz, à savoir de la réflexion personnelle à l’action collective ?
Se confronter
Les membres du conseil synodal se sont résolument opposé à l’idée d’une prescription par avance des comportements ou idées acceptables ou non. «L’Eglise, selon Karl Barth, c’est la réconciliation devant Jésus-Christ, on passe du je au nous lorsqu’on se reconnaît dans des repères communs (…) La réconciliation est un processus qui demande de faire confiance à l’autre. (…) Il s’agit là de théologie incarnée. Il va nous falloir faire l’expérience de la présence de Dieu dans les débats. On ne peut pas prescrire cela en avance, il va falloir se réunir à chaque cas», conflictuel, estime ainsi Pierre Yves Brandt. Dans leurs échanges, ils ont largement prôné la confrontation à la diversité, à la différence comme seul moyen d’enclencher une réflexion. «Plutôt que de penser aux limites on pourrait peut-être, de cas en cas, lister les résistances possibles et voir si elles viennent de nous ou des autres, et si l’on n’a pas à apprendre des autres, à recevoir», a suggéré Ariane Baehni, pasteure à Vallorbe. Elle a cité, pour appuyer ses propos, une pratique inédite qu’elle met en œuvre: un échange de chaire ponctuel avec le pasteur de la communauté évangélique de Vallorbe. «Je préfère le terme de résistance que de limites, car il suggère ces points de rencontre qui peuvent être source de tensions, mais aussi d’étincelles.»
Des outils de dialogue interreligieux
Une réflexion partagée par Florence Clerc Ægerter, déléguée des services cantonaux et aumônière, qui a expliqué comment son expérience lui a permis de réaliser un week-end avec des personnes créationnistes. «Nous avons décidé d’aborder le texte biblique d’un point de vue existentiel et d’aborder les questions de créationnisme. Le problème ne vient pas des convictions, mais de la manière dont on agit ensemble. Quelles sont les conditions pour agir ensemble, de quoi a-t-on besoin?» Pour elle, ce sont davantage des outils de dialogue interreligieux — par ailleurs déjà existants — qui seraient à adapter pour permettre à l’Église de surmonter ses tensions internes face à ses courants parfois divergents.
Au final, la question du pluralisme a amené les intervenants à questionner le rôle même de l’EERV. L’Église doit réfléchir «à quoi on sert, quels ferments on met dans ce canton et avec quels moyens financiers?», s’est demandé Christian Pittet, délégué de la Riviera. Le débat sera repris lors d’un prochain synode.
Extrait du rapport «Pluralisme, convictions et tolérance au sein de l’EERV – deuxième rapport»
« Si de nos jours il est de bon ton de faire l’éloge de la diversité, il convient néanmoins de veiller à ce que l’apologie des différences ne soit pas illusoire. En effet, l’extension infinie de la différence peut déboucher sur une incompatibilité avec le modèle démocratique voire sur une incapacité pour les humains à communiquer entre eux. Pour le dire autrement, il n’y a pas de pluralisme hors-sol; un cadre de référence commun minimal est requis. Une société pluraliste ne saurait se résumer à la cohabitation d’individualités diverses ou de perceptions multiples de la réalité. Elle doit toujours, dans le même temps, intégrer des valeurs communes qui peuvent fonctionner comme principes de régulations de la pluralité. L’exigence démocratique rend nécessaire la tenue d’un débat public dans lequel se confrontent les croyances, les convictions et les positionnements dans le respect d’un référentiel commun reconnu par les différents acteurs. Sur le plan politique et social, le fait de placer comme absolu le respect de la Déclaration des droits humains peut en être un exemple.
Au niveau de l’EERV, la pleine reconnaissance et le respect des Principes constitutifs en est un autre exemple. Nul, aujourd’hui, ne peut plus se considérer comme porteur d’une vérité absolue, intouchable, valable pour tous. Le débat apparaît dès lors comme ce qui permet la mise en relation, la mise en corrélation des positions des uns et des autres. Il fonde la légitimité pluraliste.»