Des migrants à la charge de leurs parrains même après avoir obtenu un statut légal en Allemagne
Photo: Entrée du palais de justice de Minden. CC(by-sa) Ingo2802
, Minden, EPD/Protestinter
Une paroisse qui s’engage à subvenir aux besoins d’une personne migrante n’est pas libérée de ses obligations une fois que cette dernière obtient un statut légal dans le pays. C’est ce que confirme la décision rendue mercredi 8 août par le tribunal administratif de Minden (No du dossier: 7 K 5743/17 – I). Les juges ont considéré que l’admission au statut de réfugiée d’une retraitée syrienne parrainée par une paroisse ne modifiant pas les raisons de son séjour. La paroisse doit continuer à subvenir à ses besoins. En rejetant son recours, la cour s’est conformée à l’avis déjà rendu en janvier 2017 par le tribunal administratif fédéral de Leipzig.
La paroisse, qui a souscrit en 2014 un engagement de parrainage vis-à-vis de cette réfugiée, refusait de devoir continuer à assurer sa subsistance après la reconnaissance de son statut. Grâce à cette procédure, la Syrienne avait pu fuir la guerre civile qui déchirait son pays, arrivant sur le territoire allemand dans le cadre d’un programme d’accueil organisé par le Land de Rhénanie-du-Nord–Westphalie.
Un an plus tard, lors de son admission au statut de réfugiée, la ville de Lübbecke lui a versé une allocation vieillesse. L’Église a alors considéré son engagement comme levé. Mais l’année dernière, la commune lui a adressé une demande de remboursement à hauteur d’environ 10’000 euros, qu’elle a immédiatement contestée devant la justice.
Entre 2013 et 2015, les engagements de parrainage souscrits par des citoyens, des collectifs ou des paroisses dans le cadre de ce programme d’accueil régional ont permis l’arrivée d’environ 2’600 réfugiés syriens dans le seul Land de Rhénanie-du-Nord–Westphalie. Mais leur durée n’a alors pas été expressément fixée entre les gouvernements fédéral et régional. Les Länder de Rhénanie-du-Nord–Westphalie, de Basse-Saxe et de Hesse pensaient ainsi les voir courir jusqu’à la reconnaissance officielle du droit d’asile, contrairement aux autorités fédérales. En 2016, la loi sur l’intégration prévoyait une durée de trois ans pour les cas antérieurs à son entrée en vigueur.
Les représentants de la paroisse de Lübbecke se sont dits très déçus par ce verdict. Pour Inge Hölscher, responsable bénévole de la question des réfugiés au sein de la paroisse, le fait de rallonger ainsi «a posteriori» la durée de validité des engagements va à l’encontre de toute justice. Selon le pasteur Eckhard Struckmeier, la paroisse de Lübbecke décidera après réception à l’écrit des motifs du jugement s’il convient de faire appel devant le tribunal régional supérieur de Munich.
Les parrains de réfugiés se sentent sanctionnés par la justice et l’administrationLa déception se lit clairement sur le visage d’Eckhard Struckmeier, le pasteur de Lübbecke. À ses yeux, le fait de devoir rembourser les prestations sociales est révoltant. «Les personnes qui se sont engagées pour venir en aide aux migrants vivent ce type de mises en demeure comme une sanction», explique-t-il.
En 2014, les engagements de parrainage de la paroisse ont permis à douze réfugiés syriens — parmi lesquels madame M. — d’échapper à la guerre civile pour venir s’installer à Lübbecke. «Nous avons procédé à ces démarches sur demande de membres de leurs familles, car eux-mêmes n’avaient pas assez d’argent», explique le pasteur. Pour parer aux risques liés à ces engagements, l’arrondissement ecclésiastique de Lübbecke a mis de côté un capital de 100’000 euros.
Lorsqu’un an plus tard, madame M. — alors âgée de 77 ans — a obtenu le statut de réfugiée, la ville de Lübbecke lui a versé une allocation vieillesse. L’Église a alors considéré son engagement comme levé. Mais au printemps 2017, la commune lui a adressé une demande de remboursement. «Nous l’avons immédiatement contestée devant la justice, autant par principe qu’au nom des autres parrains», déclare Inge Hölscher, doyenne et responsable de la question des réfugiés au sein de la paroisse.
Une multitude de casDans toute l’Allemagne, une multitude de particuliers, de collectifs et de communautés religieuses se trouvent dans la même situation. Depuis plus d’un an, agences pour l’emploi et services sociaux envoient des demandes de remboursement aux garants qui, entre 2013 et 2015, ont officiellement souscrit des engagements de parrainage vis-à-vis de réfugiés syriens — y compris pour assurer leur subsistance. Environ 7’000 citoyens allemands se seraient engagés dans cette démarche. Grâce à eux, les migrants ont pu transiter en toute sécurité dans le cadre des programmes d’accueil organisés par les Länder.
D’après les informations fournies par le bureau de l’Église régionale à Bielefeld, dans les seuls arrondissements westphaliens de Minden, Lübbecke, Vlotho et Herford, les paroisses ont parrainé 58 migrants. Comme tous les autres garants, elles pensaient alors ne devoir prendre en charge leurs besoins que jusqu’à l’acceptation de leur demande d’asile. C’est notamment ce que leur confirmaient les Länder de Rhénanie-du-Nord–Westphalie, de Basse-Saxe et de Hesse. Mais le gouvernement fédéral est d’un autre avis: à ses yeux, les engagements restent valables après admission des migrants au statut de réfugié. En 2016, la loi sur l’intégration y fixait une durée de cinq ans, réduite à trois ans pour les cas antérieurs à son entrée en vigueur.
Selon une association de Minden, les sommes réclamées seraient comprises entre 3’000 et 60’000 euros (entre 3400 et 67’000 francs suisses). «Nombre de parrains craignent aujourd’hui de perdre leur épargne retraite ou de devoir recourir à une procédure de faillite personnelle», souligne Rüdiger Höcker, le surintendant de l’arrondissement religieux de Minden. De nombreuses personnes concernées se sont tournées vers la justice: dans le seul Land de Basse-Saxe, 400 recours sont en cours de traitement.
«L’État ne peut pas privatiser un droit fondamental.»Contrairement à celui de Minden, les tribunaux administratifs d’Osnabrück et de Hanovre ont récemment donné raison aux parrains. Les plaignants de Rhénanie-du-Nord–Westphalie, eux, ont perdu devant le tribunal régional supérieur de Munich, qui ne les a dispensés que des frais d’assurance maladie et d’assurance dépendance. Une seule affaire s’est soldée par la victoire d’un parrain, qui attaquait une agence pour l’emploi de Rhénanie-Palatinat: sur ce territoire, l’arrêt relatif à l’accueil prévoyait expressément que l’engagement prendrait fin avec la reconnaissance officielle du statut du réfugié.
Pour les Églises westphaliennes, une solution politique s’impose, affirme Thomas Heinrich, juriste exerçant au bureau de l’Église régionale à Bielefeld. À partir du moment où l’État accorde sa protection à un réfugié, il doit aussi s’engager à subvenir à ses besoins. «L’État ne peut ainsi privatiser un droit fondamental.» En attendant une telle issue, l’association Welthaus («Maison du monde») et l’arrondissement de Minden adressent le même conseil à tous les parrains: «Ne payez pas, mais déposez un recours!»
Mais pour la sphère politique, la question est tout aussi épineuse. D’après le gouvernement de Rhénanie-du-Nord–Westphalie, les discussions menées au niveau des ministères de l’Intérieur fédéral et régional sur les moyens de soulager les parrains de leur charge n’ont à ce jour débouché sur aucune avancée.
Depuis le mois de mai, un moratoire leur accorde au moins un bref répit. Si les autorités continuent à envoyer des demandes de remboursement, les sommes correspondantes ne sont pas encaissées jusqu’à nouvel ordre. Cette «suspension temporaire» est actuellement toujours en vigueur, a déclaré un porte-parole du ministère fédéral du Travail et des Affaires sociales, interrogé par l’agence de presse protestante allemande (EPD). Le gouvernement se dit bien décidé à «trouver les solutions appropriées» à ce conflit. D’après le pasteur Eckhard Struckmeier, la paroisse de Lübbecke décidera après réception à l’écrit des motifs du jugement s’il convient de faire appel.