Dina, la fille audacieuse de Léa
Dina a été longtemps déconsidérée par les interprétations des rabbins, dans ce qu’on appelle le Midrash, la compilation de commentaires contradictoires de la Torah. En effet, elle est sortie de sa tente, de son campement – du cadre, en somme. Innocente, Dina n’avait souhaité que se faire de nouvelles amies, dans un pays où son père avait enfin réussi à s’installer, mais sa simple vue fait perdre ses sens à Sichem, le fils du chef du pays. Il l’enlève et déshonore la tribu.
Certains commentateurs ont accusé Jacob d’avoir mal élevé sa fille, trop audacieuse et candide, tandis que d’autres ont relevé que sa mère, Léa, était aussi «sortie» pour négocier une nuit d’amour avec son propre mari (Genèse 30/14-16). Dina, victime tout à la fois d’un enlèvement sans consentement puis d’un amour passionnel dont on ne sait pas s’il était réciproque, est privée de parole, de réaction. Le texte n’utilise pour elle que deux verbes: «sortir» et «voir», laissant penser qu’elle est simple spectatrice des événements qui se déroulent sous ses yeux. Tant la ruse de ses frères qui font de la circoncision un instrument de mort que le silence impuissant de son père mettent en lumière les failles du patriarcat dans l’histoire de Dina. A chaque fois qu’un homme s’exprime ou agit, dans cette histoire, il ne semble chercher que son propre intérêt, sans consulter les principales intéressées. Malgré ou à cause de cela, elle connaît actuellement une certaine popularité auprès des croyantes monothéistes qui la prennent comme modèle. Comme sa mère, qui avait d’abord pris la place de Rachel puis osé négocier une nuit avec Jacob contre des fleurs, Dina semble rompre le moule de la fille rangée qui reste dans sa tente et sous la protection des mâles de sa tribu. Et c’est certainement cette recherche d’une vie libre qui lui est reprochée, d’une vie qui voit au loin, davantage qu’une pseudo-attitude aguichante qui aurait déclenché la cascade d’événements dramatiques.
Le message pour aujourd’hui
Dans cette histoire, comme dans bien d’autres concernant les femmes soi-disant tentatrices, Dina ne fait rien d’extraordinaire. Enfin si: elle sort de son espace assigné pour aller parler avec d’autres femmes. Les mâles qui l’entourent sont incapables de passer par la parole: Sichem pour vérifier son consentement, puis ses frères pour décider avec elle de la suite des événements, et enfin son père pour s’opposer au massacre, mais cela appartient au texte et au passé. Nous, lecteurs de 2019, sommes appelés à casser les moules interprétatifs, à ne plus nous demander «l’a-t-elle cherché?», car l’enseignement se trouve ailleurs rien de bon ne se construit quand on fait passer la pulsion sexuelle et l’honneur avant la séduction mutuelle et le dialogue.
Postérité
Lors de la vague planétaire #Metoo, la rabbin Delphine Horviller a commenté ce passage biblique en invitant toute personne survivante d’abus et alliée à rejoindre «la tribu de Dina», cassant ainsi les interprétations traditionnelles.
L’anecdote
En Jean 4, Jésus passe par le pays de Sichem malgré la mauvaise réputation de cette région. Sciemment, il s’arrête au puits de Sychar où il provoque un échange avec la Samaritaine, une femme non conforme aux attentes de son époque.
Pour aller plus loin
Ce court épisode de la vie de Dina a inspiré une autrice, Anita Diamant, dont le livre, initialement nommé La Fille de Jacob, est devenu un best-seller connu sous le titre La Tente rouge, éditions Charleston poche, 404 p., 2016. Vous pouvez aussi regarder les 2 épisodes sur Netflix, avec vos filles (et garçons) évidemment!
Un autre ouvrage lié au sujet: Quand les femmes lisent la Bible, de Janine Elkouby et Sonia Sarah Lypsic (éd.), Pardès, 2007.