Le Haut Moyen Âge, de la tombe à la lumière
Les manuels scolaires l’auraient-ils oublié? Entre le faste de l’Empire romain et la grisaille féodale, le Haut Moyen Âge s’étale sur six siècles. Bien loin des châteaux forts et de l’étiquette obscure qu’on aime lui coller, ce passé préfigure notre présent, et pose les bases de l’organisation de notre société. Entre les années 350 et l’an mille, le christianisme met un pied et impose sa patte sur le Plateau suisse. La nouvelle religion convertit les âmes de la région, introduit de nouveaux rituels et restructure le territoire.
Du 7 février au 28 juin à Lausanne, l’exposition «Aux sources du Moyen Âge, 350-1000», réalisée par le Musée cantonal d’archéologie et d’histoire (MCAH) en partenariat avec le Musée d’histoire du Valais et Archeodunum SA, plonge le visiteur dans une histoire locale méconnue. Construite en quatre parties thématiques et pensée pour tous les publics, y compris les plus jeunes, l’exposition dévoile le Haut Moyen Âge à travers le quotidien de nos ancêtres et leur christianisation. Sur les murs, la vie se décline en saynètes colorées, qui répondent aux vitrines, remplies d’objets mis au jour par les fouilles archéologiques ou conservés dans les trésors d’églises.
Amulettes et cure-oreilles
Le Haut Moyen Âge sort de terre. Sa lecture est tributaire des bagages emportés par nos ancêtres dans leur dernière demeure. Car si manuscrits et reliquaires millénaires ont profité du soin de l’Église catholique, l’essentiel des objets exposés a été retrouvé dans les tombes de Suisse romande.
Jusqu’au VIIIe siècle, le défunt n’est pas seul dans la tombe: vaisselle, dé à jouer, cure-oreille ou outil de filage, mais aussi perles du Sri Lanka l’accompagnent parfois. La coutume disparaît peu à peu avec l’implantation du christianisme. En chaire, on prêche l’humilité, on encourage les ouailles à donner leurs richesses à l’Église ou aux pauvres. Parmi les rares objets découverts lors des fouilles, les boucles de ceinture se font le témoin du passage du culte païen au culte chrétien. «Les symboles germaniques qui ornent ces plaques-boucles font progressivement place à des scènes de l’Ancien Testament. Le plus souvent, on représente David dans la fosse aux lions ou Jonas et la baleine. Mais certaines anciennes pratiques persistent et les lions prennent des allures de monstres. Nous avons retrouvé un pendentif en tôle d’argent en forme de croix dans une tombe sous le chœur de la cathédrale de Lausanne. Dessus, des croix côtoient l’inscription "Abraca Abraxas", qui deviendra "Abracadabra" ("que Dieu protège")», explique la conservatrice en chef, Sabine Utz.
Telles des amulettes, «ils ont un pouvoir de protection, et affirment la foi en la résurrection et le salut de l’âme», poursuit la médiéviste. L’Église est en effet en période de campagne auprès de la population locale, en vue des conversions. C’est la promesse de la protection dans la mort et de la résurrection qui prévaut.
Conversion express
La Suisse romande chrétienne ne s’est pas faite en un jour. Pourtant, entre les Alpes et le Jura, on passe rapidement du paganisme au christianisme. La raison? «La religion vient des élites qui se convertissent. La population suit ainsi rapidement le mouvement», explique Sabine Utz. Depuis l’an 380, le christianisme devient la religion officielle sous l’empereur Théodose. Sur le Plateau suisse, après la chute de l’Empire romain, les civilisations burgondes, puis mérovingiennes et carolingiennes sont menées par des rois et empereurs également devenus chrétiens. La nouvelle religion se développe en Suisse romande vers la fin du IVe siècle, alors territoire burgonde, et implique un changement des mentalités et de représentation du monde: de dieux multiples, on passe à un dieu unique.
À l’assaut des campagnes
On estime qu’au début du Ve siècle, la quasi-totalité de la population est baptisée. L’Église a investi les villes. Les cités de d’Avenches, de Martigny et de Genève, puis de Lausanne et de Sion, deviennent le siège des évêchés. On y bâtit des cathédrales. Quant aux territoires des cités, ils deviennent des diocèses. C’est donc désormais les campagnes qui sont prises d’assaut par le clergé. «Durant le Haut Moyen Âge, on assiste à un phénomène de décentralisation du pouvoir et de l’habitat. On sort des villes, on revient à l’agriculture locale. Le territoire est fragmenté et géré par de multiples seigneurs», précise Lionel Pernet, directeur du MCAH.
Les campagnes se parent d’églises. «C’est autour de ces uniques lieux de culte que les gens se tournent et que la vie gravite», précise Lionel Pernet. Des villages, comme Saint-Prex, la Tour-de-Peilz ou Montricher ont d’ailleurs perduré jusqu’à nos jours. «La géographie de la mort change. Des grandes nécropoles loin des habitations, on passe, à partir du VIIIe et IXe siècles à des cimetières au pied des églises, des tombes alignées, le plus souvent la tête à l’est», éclaire Sabine Utz. Des monastères sont édifiés le long des voies de communication datant de l’époque romaine: Romainmôtier, Genève, Saint-Maurice et Moutier-Grandval. Les positions sont stratégiques.
Non seulement l’Église est contrôlée par l’élite de la société et dispose de pouvoir, mais elle devient le plus important propriétaire de territoire. La réorganisation de l’espace qu’implique la christianisation de la région pose ainsi les bases de l’organisation paroissiale qui dominera la société médiévale à partir du Xe siècle et se pérennisera. À tel point que plus d’un millénaire après, si la religiosité des habitants a vacillé, l’héritage du Haut Moyen Âge, lui, est resté anonymement debout.
Infos pratiques
- «Aux sources du Moyen Âge, 350-1000», exposition prolongée jusqu'au 19 juillet, Palais de Rumine, Lausanne.
- «Aux sources du Moyen Âge. Entre Alpes et Jura de 350 à l’an 1000», catalogue, Lucie Steiner dir., Editions Infolio 2019.
- Activités et événements entourant l’exposition sur www.mcah.ch