Catho le logo des réformés suisses?
On ne saurait être dupé. Avec un logo en forme de croix rouge, la référence ne peut être que chrétienne. Depuis le 1er janvier, en effet, l’Église évangélique réformée de Suisse (EERS) est née et a soigné son entrée. Présentée comme une «croix en lumière», à la sobriété toute protestante, l’identité visuelle de l’institution sert sa visibilité et sa lisibilité autant que sa pérennité.
Si le centre de la croix reste mystérieusement vide, au premier coup d’œil pourtant, le logo n’évoque pas une identité réformée, mais évoquerait plutôt le symbolisme catholique. Et pour cause, «à l’heure où les distinctions confessionnelles s’estompent dans la vie publique, ce logo en forme de croix a force de lien. Il est le symbole qui rassemble les chrétiens partout dans le monde», lit-on dans le communiqué de l’EERS, qui signe ainsi sa volonté d’«être Église ensemble» autant que de son ouverture sur une société aujourd’hui plurielle.
La croix s’est donc rapidement imposée dans le processus de création du logo. Le visage des membres de l’EERS n’y est pas étranger. «Il y a une grande diversité de logo dans les Églises cantonales. Mais la croix, même cachée, est une systématique», commente Esther Gaillard, vice-présidente du Conseil de l’EERS. Quant au centre vide, à remplir pour certains, il l’est déjà du mystère de la foi pour d’autres. «On peut y voir la présence de Dieu "lumière du monde". La croix est le symbole du Christ qui nous réunit dans une identité commune nous invitant à aller vers le monde. Il y a donc dans ce logo, autant l’idée d’un recentrement que d’un mouvement vers la société», ajoute Esther Gaillard.
2000 ans à simplifier
Il aura tout de même fallu plusieurs mois pour réinterpréter le symbole chrétien par excellence. C’est l’agence zurichoise CI Programm, spécialisée dans la «corporate identity» et la gestion de l’image de marque depuis trente ans, et à qui l’on doit par exemple le logo actuel de la Confédération, qui était aux commandes. Ou presque. L’agence a travaillé main dans la main avec le Conseil de l’EERS, à tel point «qu’on ne sait plus qui a décidé quoi, tant les réflexions et décisions ont été communes», se souvient Manuela Zaugg, de CI Programm.
Pour point de départ, l’agence s’est vu servir les quarante-trois principes de la nouvelle constitution de l’EERS. «L’Église s’y définit dans un monde multireligieux. Mais la constitution est plus qu’un ensemble de règles écrites. En son cœur, il y a la proclamation de l’Évangile en paroles et en actes et la volonté d’être Église ensemble.» L’identité visuelle est aussi porteuse d’une histoire vieille de 2000 ans et d’une complexité théologique, qu’il a fallu comprendre avant de simplifier. «Notre croix en lumière, fortement épurée, devait être appuyée par un contenu théologique. Et c’est un expert venant de l’intérieur même de l’EERS qui a trouvé les mots pour démontrer la pertinence de ce nouveau symbole. L’identité ne vient pas de l’extérieur. C’est un processus. Elle se forge de l’intérieur.» Au final, «le logo est originel plus qu’original», résume Manuela Zaugg. Avec la volonté, dès le début, de le décliner à l’échelon cantonal et paroissial pour les vingt-six membres de l’EERS qui souhaiteraient l’utiliser.
Coup de chapeau de la profession
«Si la croix n’est pas propre aux réformés, avec ce visuel, on sait enfin de quoi on parle: de foi et de chrétienté», lâche Jean-Henri Francfort, conseiller en communication. D’expérience, le professionnel rappelle qu’un logo ne dit rien d’autre que ce qu’il est. «Les messages, les attentes et les sentiments que les clients placent dans un logo sont tels que les gens ne les imagineront jamais. Face aux milliers de stimuli quotidiens, un logo doit être immédiatement compris dès lors qu’il surgit devant nos yeux.» C’est le cas de la «croix en lumière»: «En plus de son élégance et de sa finesse, ce sont sa simplicité et son univocité qui lui vaudront de durer. Ce logo est réussi», conclut Jean-Henri Francfort.
Un constat partagé par le sociologue des religions à l’Université de Lausanne Jörg Stolz. «Le besoin de clarté et de visibilité notamment au niveau national et dans les médias est un point commun que j’ai pu relever au sein des Églises cantonales membres de l’EERS dans mes précédentes recherches. De ce point de vue, nous pouvons saluer non seulement le fait que les réformés soient parvenus à créer une Église nationale, alors que ses membres ont toujours craint de perdre ainsi de leur pouvoir, mais aussi un logo commun.»
La croix est-elle pour autant une identité visuelle suffisante? «La culture du débat et de la libre pensée fait partie intégrante de l’ADN réformé. Ainsi, parvenir à un tel logo commun, c’est peut-être un minimum, mais c’est déjà beaucoup!», souligne le sociologue. Derrière le coup de chapeau, Jörg Stolz relève tout de même que le logo était certainement la chose la plus facile à faire. «Il y a actuellement d’autres préoccupations structurelles au sein des Églises réformées, par exemple le fait que la moyenne d’âge des pratiquant-e-s soit relativement élevée. Et ces questions ne sont pas résolues.»