«L'individualisme favorise le coronavirus»
L'urgence face à l’épidémie de coronavirus (COVID19) a en effet conduit les autorités italiennes à étendre les mesures d’isolement, déjà en vigueur pour un quart de la population au nord de la Péninsule, à toute l’Italie. Fermeture des écoles, déplacements strictement limités et interdiction de toute forme de rassemblements jusqu’au 3 avril. Annoncées la veille par le premier ministre Giuseppe Conte, ces mesures drastiques pour enrayer la progression du virus ont semé un vent de panique dans la population, qui a pris d’assaut les supermarchés pour se ravitailler. Le point avec le pasteur baptiste Dario Monaco, de l’Église de Mottola, à 30 kilomètres de Tarente, chef-lieu de la province des Pouilles, au pied de la Botte. Une région jusque-là peu touchée par le virus, contrairement au Nord du pays.
Quelle est la situation aujourd’hui dans les Pouilles?
Ici, pour l'instant, tout semble assez calme. Il n'y a pas beaucoup de jeunes dans les environs, et les personnes âgées semblent avoir eu une perception moindre du risque, jusqu'à ce qu'elles voient l'assaut des trains pour retourner dans le sud. Puis j'ai vu une colère compréhensible mais peut-être exagérée envers les enfants et les petits-enfants qui pourraient être porteurs de l'infection. Ce sont des choix aux antipodes: rentrer chez soi ou, de manière responsable, rester dans le nord.
Voyage et évasion, nord et sud, zone protégée de l'Italie. Selon vous, y a-t-il un moyen de rétablir la confiance entre les populations et les territoires dans cette situation d'urgence?
On pourrait interpréter l'urgence comme une rencontre de peurs opposées, de panique déclinée différemment entre la personne qui fuit et veut partir et celle qui ne veut pas accueillir. Ils ont la même peur. J'ai encore en tête «Le masque de la mort rouge» d'Edgar Allan Poe, un conte de 1842 dans lequel le prince Prospero, pour échapper à un fléau, s'enferme dans son château avec des amis, des courtisans et des vivres. Après quelques mois, il organise une fête costumée au cours de laquelle apparaît un homme déguisé en mort. Ils pensent que c'est une mauvaise blague et quand, effrayés, ils le capturent et enlèvent le masque, il n'y a rien en dessous. Il est la personnification de la peste, qui est entrée dans le palais et a apporté la mort. Nous avons également tendance à réagir de cette manière.
Les églises sont fermées. Comment la communauté a-t-elle réagi?
Il me semble que la communauté réagit de manière responsable. Ce matin encore, avec les pasteurs des Pouilles et de Basilicate, nous avons fait le point sur la situation. À partir d'aujourd'hui, toutes les activités seront annulées, certains membres de l'Église ne voulant même pas prendre un café. La peur, en particulier celle de l'inconnu, est maîtresse.
Les visites pastorales sont également suspendues. Comment le soin des âmes fonctionne-t-il en ces temps de risque, d'isolement, d'indétermination?
Dimanche dernier, nous avions décidé de maintenir le culte suivant et nous avions déjà organisé l'église de manière à ce qu'il y ait plus d'un mètre disponible de distance entre chacun. Même chose pour l'étude de la Bible. Mais à partir d'aujourd'hui, tout a changé. Je suis désolé pour les visites pastorales aux personnes âgées, qui auraient besoin de plus de soins et d'attention, mais ce sont aussi elles qui doivent être en contact avec le minimum de personnes pour se protéger. Je passerai une série d'appels téléphoniques, j'utiliserai des moyens informatiques, tels que Whatsapp et la page Facebook de l'Église. J'ai aussi une grande confiance dans le tissu social au sens large, car il n'est pas forcément possible pour le pasteur de s’occuper de tout le monde. Pour l'instant, même l'aide spirituelle est compliquée, car il faut éviter les contacts en dehors du noyau familial.
Où est Dieu dans tout cela?
Dieu est toujours dans les interstices entre les choses, il n'est jamais révélé dans le tout. On le trouve quand on s'arrête, quand on panique, quand on respire. Si nous voulions utiliser un terme new age, nous pourrions dire de prendre une respiration, de prendre du temps, de ne pas aller chercher compulsivement des nouvelles sur Internet et à la télévision. Faisons attention à ce que nous faisons, à ce que nous devons faire, et tout ira bien. Dieu est avant tout dans la réconciliation et la consolation, donc Dieu est aussi dans la maladie, dans les soins intensifs, il est avec tous ces gens qui ne s'en sortent pas ou qui ont des difficultés à s'en sortir.
Comment la responsabilité personnelle se traduit-elle dans la vie quotidienne, en tant que croyants et en général?
C'est étrange ce Dieu tout-puissant qui s'exprime dans la faiblesse. Mais nous ne pouvons rien dire de plus. Il ne serait pas sérieux de dire «priez et rien n’arrivera». Si nous disons «priez comme Jésus», nous recommandons aussi de fermer la porte de notre petite chambre et de demander à Dieu de nous protéger – et certainement pas de nous donner la permission d'aller au rassemblement des Schtroumpfs en France avec la certitude que Dieu nous sauvera (le rassemblement de 3500 «Schtroumpfs» samedi 8 mars dans le Finistère, en pleine crise du coronavirus, s’est attiré de vives critiques, notamment dans la presse italienne, ndlr.). Il est de ma responsabilité de le faire, et donc aussi de respecter les règles.
Cette urgence ne risque-t-elle pas de faire ressortir aussi bien le pire que le meilleur chez les gens?
Dimanche dernier, dans mon sermon, j'ai dit que nous avons trop peur d’attraper la maladie et pas suffisamment pour s’inquiéter de contaminer les autres. Cet individualisme favorise le virus, c'est pourquoi il s'est répandu jusqu'à présent. Si nous avions jugé utile de sortir avec le masque, si nous avions évalué le risque d'être un vecteur pour les autres, peut-être aurions-nous fait des choix différents. Mais je parle en tant que personne qui vit dans une province où il n'y a que 3 cas. Si je vivais à Codogno, au Nord de l’Italie, je parlerais peut-être différemment. Si je me trouvais dans un contexte d'hystérie de masse, comment réagirais-je? Il faut se méfier des raccourcis. Et je sais aussi qu'une formule magique ne nous sauvera pas, et peut-être même pas des amulettes et des masques. Je préfère rester confiné. Nous pouvons y trouver Dieu aussi. Dieu n'est pas un raccourci, pas une formule magique, mais la force et le courage sans armes. Notre relation avec Dieu nous aide et nous permet de faire face aux situations, de les traverser.
Quelles sont vos prévisions concernant l'avenir et l'urgence?
La route est longue, nous ne savons pas combien de temps elle durera. Certainement jusqu'au 3 avril. Nous ignorons si nous pourrons passer Pâques ensemble. Je suis originaire de Gênes, ma famille est à mille kilomètres. J'ai envie de revenir au Psaume 23, où nous trouvons l'ombre, où l'ombre ressemble à la mort, mais nous savons que lorsque je me trouve sur le long chemin des ténèbres «Tu es avec moi».