Prie, agis et émancipe-toi
Elles seront des milliers, éparpillées à travers le monde mais rassemblées autour d’une même liturgie, imaginée par des femmes slovènes, pour célébrer la Journée mondiale de prière (JMP) 2019 qui a lieu le vendredi 1er mars. L’action œcuménique regroupe des femmes réformées, catholiques, méthodistes, luthériennes et membres de l’Armée du Salut issues de 170 pays. Chaque premier vendredi du mois de mars, ces chrétiennes affirment par la prière leur soutien aux femmes du monde entier et aux populations défavorisées. Et toute l’année, elles s’engagent pour des projets solidaires et d’aide au développement financés par la collecte annuelle.
Une action centenaire
Tout démarre aux États-Unis en 1887, alors que le pays sort à peine de la guerre de Sécession. «À l’époque, beaucoup de personnes meurent de faim dans le pays. De nombreux migrants arrivent d’Europe, mais aussi d’Asie espérant trouver un travail et de la nourriture. Ne parvenant pas à faire face à toutes ces personnes dans le besoin, des présidentes d’œuvres d’entraide se réunissent pour trouver une solution. Elles sont rejointes par des femmes missionnaires qui leur font part de la détresse des femmes rencontrées en Afrique et en Inde qui ne savent ni lire, ni écrire et ignorent leurs droits. Ensemble, elles créent la Journée mondiale de prière avec pour objectif de permettre aux femmes de sortir de leur isolement et de venir en aide aux populations dans le besoin, particulièrement les femmes et les enfants», expliquent Heidi Wettstein, présidente de la JMP Suisse. Plus de 130 ans plus tard, le mouvement s’est étendu et des groupes de femmes se constituent en association dans le monde entier.
Le mouvement en Suisse
La Suisse n’échappe pas à cette vague de solidarité. En 1936, la JMP Suisse voit le jour. L’association rassemble aujourd’hui quinze membres qui coordonnent les célébrations et l’envoi du matériel dans les différentes paroisses qui organisent un culte à l’occasion de la Journée mondiale de prière. Elle soutient aussi plusieurs projets dans le monde: un programme de développement personnel pour des futures enseignantes en Tchétchénie, une aide médicale dans un hospice en Roumanie, des rencontres pour améliorer la cohabitation avec les Roms en Hongrie, et des projets de microcrédits notamment. «Il est essentiel de soutenir les femmes. Dans de nombreuses régions du monde, ce sont elles qui subviennent au besoin de la famille et qui se soucient de l’éducation des enfants. En 2006, le Bangladais Muhamma Yunus recevait le prix Nobel de la paix pour sa banque de microcrédit. La majorité de ses clientes étaient des femmes.»
Pourtant après plus de 80 ans d’existence, le groupe peine à recruter des jeunes femmes dans ces rangs. «Notre travail est bénévole et actuellement, les femmes travaillent de plus en plus et manquent de temps pour s’investir dans notre action», note Heidi Wettstein. Le mouvement s’essoufflerait-il? «Si cette action existe toujours, c’est qu’elle répond à un besoin. Il existe encore des pays dans lesquels les femmes n’ont pas accès au ministère ni aux organes de décision des Églises, mais restent pourtant des chrétiennes engagées. Dans une société où les rapports de pouvoir sont défavorables aux femmes, il est important qu’il y ait des espaces non mixtes et ce tant qu’il n’y aura pas d’équité. Ces femmes ont l’occasion de réaliser une liturgie et de prouver qu’elles en sont capables. Il ne faut pas non plus sous-estimer la puissance de la prière. Elle est fondamentale dans le christianisme, elle permet d’être en lien avec Dieu. Elle a ici un rôle d’encouragement pour ces femmes», commente Lauriane Savoy, assistante-doctorante en théologie pratique à l’Université de Genève. Une analyse que partage Dorothea Forster, présidente des Femmes protestantes en Suisse. «La JMP a toujours du sens. L’émancipation des femmes n’est pas acquise. Elles ont ici l’occasion de pouvoir prendre la ‘direction’ d’un culte et de prêcher.» Convaincue de la nécessité d’un mouvement porté par les femmes pour les femmes, pour la présidente de la JMP Suisse, il s’agit d’«un espace privilégié d’échange et de lutte. Et les femmes, nous l’observons, se sentent plus libres lorsqu’elles sont entre elles».