Une trop «lente» urgence climatique
«[…] Vos petites filles sont toutes des Greta en puissance. Donnez-leur confiance, envoyez-les dans la rue et allez-y aussi. Mais surtout, encouragez-les à s’engager en politique, dans ces structures lourdes, machistes et souvent féroces. Le changement commence en bas, mais il se décidera là-haut, dans la salle des commandes.» Cette exhortation est tirée de l’édito du 21 mars dernier de l’Écho Magazine et elle est adressée à toutes les grands-mamans de ces jeunes en lutte contre l’inaction politique face au changement climatique. Peut-être moins visible que la multitude de jeunes descendus récemment dans les villes de Suisse pour manifester, le combat mené depuis trois ans par 1200 aînées confirme que les seniors sont aussi engagées dans la lutte pour la protection du climat.
Le climat ne s’accommode pas demi-mesures politiques
S’investir pour le climat est presque un devoir moral envers la génération à venir selon Anne Mahrer, écologiste genevoise et coprésidente des Aînées pour la protection du climat. «Notre génération doit aussi prendre sa responsabilité et s’engager, mais cela demande des décisions courageuses que les pouvoirs politiques ont du mal à prendre.» Elle affirme encore, «nous n’avons plus besoin de rapports gouvernementaux sur l’évolution du climat ou de COP à tour de bras.» Les mentalités évoluent lentement, mais l’urgence climatique ne peut plus s’accommoder de demi-mesures politiques. Alors qu’elle est encore conseillère nationale, l’idée d’une action en justice germe lors d’échanges ses collègues de parti. En 2015, le Tribunal de La Haye rend un verdict historique en matière de justice climatique. Le gouvernement hollandais est contraint de réduire d’au moins 25% ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon de 2020. L’exemple inspire Anne Mahrer qui, avec d’autres femmes de la même génération et concernées par cette question, constitue une association afin d’exiger des mesures supplémentaires de la Confédération. À l’automne 2016, elles déposent une requête de 160 pages adressée au Département fédéral de l’environnement (DETEC), première étape pour lancer une action judiciaire.
Une forme de lâcheté politique
La réponse tombe fin avril 2017, le DETEC a estimé que les aînées n’ont pas plus de raison que les autres de recourir. En substance, «le département a simplement botté en touche sans examiner le fond de la demande, mais cela nous a ouvert un droit de recours», explique l’ancienne conseillère nationale. S’ensuit le dépôt de ce dernier au Tribunal administratif fédéral de Saint-Gall. «Rejeté, au motif que les problèmes de climat existent, certes, mais les ainées, comme tout autre être vivant, doivent s’adapter à ces changements climatiques», détaille l’écologiste plutôt consternée. Prêtes à aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme s’il le faut, les Aînées pour la protection du climat n’abandonnent pas et déposent en janvier dernier un second recours au Tribunal fédéral. Anne Mahrer espère cette fois «des juges courageux qui répondront enfin sur le fond de la requête», mais elle sait aussi que la justice prendra le temps nécessaire à l’examen de cette nouvelle demande. Bien loin des préoccupations liées à l’urgence climatique.
Les Aînées pour la protection du climat en trois questions à Anne Mahrer
Pourquoi avoir choisi aînées au féminin?
«Il n’est pas possible en Suisse de lancer une class action (action en justice collective) comme c’est le cas aux États-Unis. Il nous fallait donc constituer une association de personnes particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique pour que notre requête soit recevable. Divers rapports scientifiques ont démontré que le réchauffement climatique provoque des canicules plus fréquentes et plus intenses dont les personnes âgées sont le groupe de population le plus fortement touché. En ciblant notre requête sur le fait qu’il est avéré que les femmes âgées sont plus particulièrement touchées, nous augmentons les chances de réussite de notre action judiciaire.»
La Suisse est un mauvais élève en termes d’émissions de CO2. Quelles mesures concrètes le gouvernement devrait-il mettre en place pour diminuer ces émissions?
«La rénovation énergétique des bâtiments et les transports sont deux énormes potentiels de réduction de CO2. Taxer le kérosène de l’aviation civile serait une piste, mais ce n’est pas évident à mettre en œuvre, car cette décision dépend de politiques internationales en la matière. Malheureusement, les décisions politiques sont souvent paradoxales et en décalage avec les préoccupations environnementales.»
Quelle est la place de la solidarité intergénérationnelle dans votre association?
«Très importante! Au début, nous avons eu des réactions assez vives, car les gens que nous rencontrions percevaient notre action en justice comme égoïste. Une manière de préserver “notre petite santé” alors que n’importe quel individu peut être touché par les effets du changement climatique. Il est évident que nous ne menons pas cette action uniquement pour notre propre compte, mais aussi pour les générations futures. D’ailleurs, les jeunes qui manifestent actuellement sont même plus exigeants que nous en matière de réduction des émissions de CO2, car ils se rendent compte de l’urgence.