Carême, entre jeûne et mise en disponibilité

Cette année, le carême a lieu du 6 mars au 18 avril 2019 / © Shutterstock
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Cette année, le carême a lieu du 6 mars au 18 avril 2019
© Shutterstock

Carême, entre jeûne et mise en disponibilité

Lâcher-prise
Longtemps considéré comme le moment le plus important de l’année liturgique, le carême revient en force chez les protestants, même si sa pratique a changé. Il est une période propice pour se recentrer sur l’essentiel.

Le nom «carême» provient de la contraction du mot latin «quadragesima», qui signifie quarantième. On appelle aussi «sainte quarantaine» cette période des quarante jours tournés vers l’événement de Pâques: le relèvement de Jésus d’entre les morts; la résurrection du Christ, signe de la victoire du Dieu vivant. «Ce chiffre symbolique de quarante porte un sens simple et très profond: le temps qu’il faut pour redevenir pleinement disponible. Il est omniprésent dans la vie spirituelle», rappelle le diacre genevois Philippe Rohr. Ce nombre fait, en effet, écho à de nombreux épisodes de la Bible (voir encadré page 13). «J’y vois surtout deux fondements: le récit de Moïse qui jeûne pendant quarante jours avant de recevoir les ‘dix paroles’ de la Loi, les livres de l’Exode, Nombres et Deutéronome qui évoquent les quarante ans de traversée du désert des Hébreux sous la conduite de Moïse, puis le récit des tentations de Jésus, incontournable lors du carême», précise Christophe Chalamet, professeur associé en théologie systématique à la faculté de théologie de l'Université de Genève.

Quarante jours: le temps qu'il faut pour se rendre disponible

De nos jours, au-delà du calendrier religieux, le séjour de Jésus au désert constitue toujours un fondement spirituel, dans la traversée de temps de «creux» et d’épreuves. Et il accompagne aussi des démarches volontaires de délestage, de désencombrement et de lâcher-prise. «Jésus nous précède dans notre propre expérience de mise en disponibilité. Car la rencontre de Dieu demande de ‘cesser’ ! Et de se mettre à l’écoute en profondeur, pour répondre à l’appel intérieur. L’Esprit saint a besoin de vide; il est impossible de recevoir si l’on est déjà plein», explique Philippe Rohr.

Un temps pour se préparer

En plus d’être un temps de pénitence – dans le sens de revenir à Dieu –, le carême a également longtemps été une période de purge pour se préparer pour l’événement spirituel et religieux le plus important du christianisme, Pâques. «Le jeûne en est l’un des éléments importants. On peut citer Matthieu 4: ‘L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.’ C’est une manière de nous rappeler ce qui nous fait vivre au-delà des biens matériels et de laisser l’Evangile nous illuminer. Dans Esaïe 55, c’est la parole de Dieu qui est nourrissante», raconte Christophe Chalamet. Cette quarantaine nécessaire à la rencontre est une expérience en profondeur, d’autant plus aujourd’hui où nos vies sont plus remplies que jamais. «Nous ne connaissons plus de moments de latence ou de jachère intérieure qui permettent de se recentrer sur ce qui est important et de laisser Dieu être au centre de nos vies. Mais il faut remarquer aussi que l’existence nous crée des ‘temps de carême’! Il n’est pas rare que les moments où la vie nous jette au désert – arrêt maladie, chômage, divorce ou toute forme de rupture imprévue – deviennent des plages de fécondité spirituelle retrouvée ou renouvelée», exprime Philippe Rohr.

Ce n’est pas un hasard si la pratique du jeûne, longtemps en recul, revient en force aujourd’hui. Dans la tradition de l’Eglise, elle est indissociable de la prière. Jésus lui-même associe les deux (Matthieu 17, 21). 

«On trouve désormais une nouvelle forme d’ascèse. Les gens jeûnent souvent dans une démarche spirituelle, pas forcément chrétienne. Si l’on doit retrouver une ascèse, il faut qu’elle soit joyeuse et non plus un fardeau imposé, qui doit faire mal, comme cela a longtemps été le cas dans le christianisme», soutient Christophe Chalamet. Pour d’autres, le carême prend plutôt les formes de la prière et du partage, ou de la solidarité ravivée.

Les rejets protestants

Institué au IVe siècle par le catholicisme, le carême a peu évolué au fil des siècles. Le protestantisme est l’une des rares traditions chrétiennes qui s’en est clairement distancée ces derniers siècles. Le jeûne, obligatoire dans les autres familles du christianisme, disparaîtra presque totalement, alors qu’il restera strict jusqu’au début du XXe siècle chez les catholiques. Les protestants ont également renoncé aux monastères, au XVIe siècle, car la corruption y était telle qu’ils étaient perçus comme allant à l’encontre du message de l’Evangile. «Cela a été une erreur. Ce faisant, le protestantisme a perdu pendant longtemps certains de ses centres spirituels pouvant vivifier le christianisme. Leur rôle dans la transmission de la foi était très important. De nos jours, beaucoup de protestants vont en retraite dans des monastères. Ils y redécouvrent la dimension quotidienne de la foi. C’est une ressource spirituelle magnifique», conclut Christophe Chalamet.

Des lieux de retraite

En Suisse :

• La Communauté des soeurs de Grandchamp (NE)

• La communauté Don Camillo (NE)

• La Maison de l’Eglise et du pays de Crêt-Bérard (VD)

• La Communauté des soeurs de Saint-Loup (VD)

• La Fraternité de prière oecuménique à Romainmôtier (VD)

Le centre de Sornetan (BE) propose une retraite En quête du silence intérieur du 30 mai au 2 juin (weekend de l’Ascension). Laurent Jouvet guidera les participants à la fois dans des pratiques de pleine conscience et de méditation simples.

En France :

• La Communauté des soeurs de Pomeyrol (Bouches-du-Rhône)

• La Communauté des Diaconesses de Reuilly (Yvelines)

• La Communauté de Taizé (Saôneet- Loire)

• Le Carmel de la Paix à Mazille (Saône-et-Loire) En ligne :

• Les sites https://careme.retraitedanslaville.org et www.ndweb.org.

Le chiffre quarante omniprésent dans la Bible

Il signifie un temps long, de marche ou d’attente, d’épreuves également.

• La référence principale est celle de la tentation de Jésus au désert (Mt 4 et Lc 4). Après avoir jeûné et prié pendant quarante jours, Jésus lutte contre Satan qu’il finit par vaincre.

• C’est le nombre d’années que le peuple hébreu, libéré de l’esclavage d’Egypte par Dieu, passe dans le désert avant d’entrer en Terre promise (Nb 32,13).

• C’est le temps que Moïse reste au mont Sinaï pour recevoir la Parole de Dieu avant de redescendre avec les tables de la Loi (Ex 34,28).

• C’est le nombre de jours que le prophète Elie, fuyant les menaces de Jézabel, marche dans le désert jusqu’à la montagne de Dieu, l’Horeb (1 Rois 19,8).

• Il fait référence au déluge: il pleut pendant quarante jours sur la terre. Dieu dit alors à Noé d’entrer dans l’arche avec sa famille et un couple de chaque espèce animale (Gn7).

• Le nombre de jours qui séparent l’Ascension de Jésus de sa Résurrection (Act 1,3).