Quand l’Église allemande fait son lobbying à Bruxelles
L'EKD fait-elle du lobbying auprès des parlementaires européens de manière classique?
Sven Giegold: Non. Je suis confronté au lobbying tous les jours, et je n’en ai jamais subi de la part de l'EKD. Les associations d'entreprises ou les organisations non gouvernementales analysent généralement qui est important au Parlement et qui est ouvert à leurs préoccupations -, et cela au-delà des projets législatifs concrets. Elles prennent ensuite contact avec les députés qui les intéressent. En tant que Verts, je suis sensible, par exemple, à la protection de l'environnement, mais en tant que membre du conseil de direction du Kirchentag, je suis aussi proche de l'Église. Néanmoins, en presque dix ans, je n'ai jamais eu le sentiment d'être la cible d'une campagne de lobbying de la part de l’Église.
Comment l’expliquez-vous?
Cela ne dépend pas du bureau bruxellois de l'EKD qui fait du très bon travail. Ce n'est pas non plus que l'EKD ne sait pas comment cela fonctionne, mais à cause de la compréhension qu’ont de nombreux responsables des Églises régionales protestantes d'Allemagne du lobbying. Par exemple, lors de conférences ou d'événements, des messages sont communiqués aux politiciens, mais pas de manière aussi proactive et systématique que les autres. Souvent, on retrouve encore l'idée dépassée que la parole de l'Église soit entendue seulement parce qu'elle est parole de l’Église. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui, pas même avec les démocrates-chrétiens.
L’EKD devrait-elle changer sa démarche?
Il faut faire la distinction entre les intérêts socioéthiques de l'Église, par exemple en matière de politique d'asile, et les intérêts personnels de l'Église, par exemple en matière de droit du travail ecclésiastique. Un travail de lobbying très fortement axé sur l'intérêt personnel peut égratigner la crédibilité du discours tenu. Je ne sais pas comment le résoudre. Peut-être en engageant des personnes différentes. - Philipp Saure, epd/Protestinter
Le lobbying ecclésial décrypté
L'agence de presse protestante allemande explique ce qu'est le lobbying ecclésial.
L'Église protestante en Allemagne (EKD) est-elle une organisation lobbyiste?
Oui, on peut parler du bureau de l’EKD à Bruxelles comme d’un groupe d’intérêt, dans la mesure où il influence la politique européenne. Il est donc inscrit dans le registre de transparence de la Commission européenne et du Parlement européen, qui rassemble les «groupes et organisations représentant des intérêts particuliers». Selon l'Union européenne (UE), leur travail est «un élément légitime et nécessaire du processus décisionnel».
Quels intérêts l'EKD représente-t-elle auprès de l'UE?
D'une part, l'Église veille à ses propres intérêts. Le bureau de l'EKD a par exemple préconisé d’établir des exceptions pour les Églises, dans le règlement de base de l'UE, s’agissant de la protection des données. Le bureau de Bruxelles suit la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes au Luxembourg, en ce qui concerne le droit ecclésiastique du travail par exemple. L'autre domaine du lobbying est le «plaidoyer social» qui cible les faibles et les défavorisés. Il concerne principalement la politique d'asile de l'UE. Le bureau s’occupe des questions sociales, en collaboration avec le département de la diaconie en Allemagne.
Comment fonctionne réellement la représentation des intérêts à Bruxelles?
Le bureau s'efforce de se renseigner le plus tôt possible sur les projets législatifs et autres projets de l'UE et fait un rapport à l'EKD en Allemagne. Inversement, elle cherche à exercer une influence, par le biais de soumissions écrites, lorsque la Commission européenne consulte la société civile dans la préparation d'une proposition, ou par des discussions avec les parlementaires, lorsque la loi a été adoptée. Lors d'événements, l'EKD réunit des voix externes telles que celles de théologiens et de chercheurs en sciences sociales et des décideurs de l'UE. L'EKD fait souvent pression auprès de ses partenaires tels que la Conférence œcuménique des Églises européennes, l'Église catholique, les syndicalistes et les défenseurs des droits de l'homme.
Qui représente l'EKD à Bruxelles?
Le bureau bruxellois de l’EKD compte actuellement dix employés, dont cinq sont des lobbyistes disposant d'une carte d'accès au Parlement européen. Depuis 2008, Katrin Hatzinger, avocate et membre de la direction de l’EKD, est à la tête du bureau. Fondé en 1990, le bureau est un département diplomatique de l’EKD auprès de l’État allemand et de l'Union européenne, dont le siège est à Berlin. Le représentant, également considéré comme un «diplomate d'église», est le haut responsable religieux Martin Dutzmann depuis 2013. Selon le registre européen de transparence, les coûts du lobbying de l’EKD à Bruxelles pour l’année 2018 ont été estimés entre 500’000 et 600’000 francs. – Philipp Saure, epd/Protestinter