Le peuple doit-il choisir ses communautés religieuses?
«Si une montée d’antisémitisme survenait au moment d’un vote populaire, tous nos efforts pourraient être réduits à néant.» Bertrand Leitenberg, président de la Communauté israélite du canton de Neuchâtel (CICN), qui s’était réjoui, début septembre, de voir passer la loi d’application sur la reconnaissance des communautés religieuses au Grand Conseil neuchâtelois, est aujourd’hui inquiet. Il n’est pas le seul. Sous les couleurs de l’UDC et du PLR, deux référendums veulent contrer ce qui, pour d’autres, était une «une avancée logique dans un canton prônant la laïcité inclusive», comme le souligne le socialiste Jonathan Gretillat. Le but de ces actions référendaires, donc: que le peuple reste souverain, et qu’il puisse être consulté à chaque fois qu’une communauté religieuse demanderait aux autorités d’être reconnue d’intérêt public.
«Tout cela est dommageable. Pour nous, la laïcité à la neuchâteloise, c’est la collaboration avec les communautés désireuses de devenir des acteurs reconnus de la société civile», déclare Christian Miaz, président du Conseil synodal de l’Église réformée évangélique du canton de Neuchâtel (EREN). Le communiqué publié vendredi dernier par cette dernière est tout aussi clair: «Faut-il marginaliser toutes les communautés religieuses qui veulent travailler ensemble et en toute transparence pour le bien public, qu’elles soient réformée, catholique romaine, catholique chrétienne, évangélique, musulmane ou israélite, dans un esprit de paix et de reconnaissance mutuelle?»
Votations et émotion
«Décidément, on ne tend pas la main à la communauté musulmane», se désole Jamel Cherif, vice-président et porte-parole de l’Union neuchâteloise des organisations musulmanes. «Si la voix politique était choisie plutôt que la voix administrative, nous subirions une décision politique relevant d’un débat public, avec toute la stigmatisation que cela implique.»
Le problème semble donc épineux. Comme le fait remarquer Bertrand Leitenberg, «une communauté, en voulant remplir les conditions contraignantes demandées pour une reconnaissance, affirme clairement sa volonté d’intégration». Toutefois, le peuple, consulté à chaque demande, pourrait se laisser influencer par d’autres facteurs. Pour Mallory Schneuwly-Purdie, chercheuse au Centre suisse Islam et Société de l’Université de Fribourg (CSIS), «toute votation peut comporter un caractère émotionnel et ainsi dépendre de situations conjoncturelles. Par ailleurs, le débat pourrait ne pas prendre la mesure du travail déjà effectué au sein des communautés pour se conformer aux exigences du Grand Conseil et ce avant même la votation.» Selon Christian Miaz, «il suffirait qu’un attentat de l’État islamique survienne quelques jours avant ces votes populaires voulus par le PLR et l’UDC, et une candidature musulmane pourrait ainsi être compromise».
«Le débat intracommunautaire qu’impliquent les demandes de l’État peut être très sain pour une communauté. Confrontée à des attentes très concrètes, elle doit alors discuter en interne de ce qui est pour elle fondamental et ce qui peut être négociable, notamment pour certaines normes ou rituels», explique encore Mallory Schneuwly-Purdie, qui se rappelle d’intenses débats menés dans le canton de Vaud dès l’arrivée d’une loi similaire en 2007. «L’islam est souvent pointé du doigt, mais le respect des droits des minorités sexuelles peut aussi poser des problèmes à des courants évangéliques. D’ailleurs, si l’Église catholique devait en faire la demande aujourd’hui, elle pourrait rencontrer difficultés à obtenir un statut de droit public, en raison de sa position sur le mariage pour tous ou l’égalité hommes-femmes dans l’exercice de fonctions ecclésiastiques.»
Désintérêt musulman?
Avec la nouvelle loi, les trois Églises historiques du canton de Neuchâtel (réformée, catholique romaine et catholique chrétienne) ne changeront pour autant pas de statut. Pourtant, selon le président du comité référendaire PLR Jean-Daniel Jeanneret, le concordat régissant les rapports entre l’État et les Églises traditionnelles, soumis au référendum facultatif, les rendrait désormais moins fortes que «toute autre communauté religieuse entrée par la petite porte: là est la raison principale de notre démarche. Car les modalités des rapports des trois religions historiques avec l’État peuvent encore faire l’objet d’attaques populaires, tandis que des communautés plus récentes, une fois reconnues par cette loi, deviendraient définitivement intouchables.»
Pour Niels Rosselet-Christ, «ce qu’il y a à lire en sous-texte, c’est que les autorités ont peur des verdicts populaires, des dérives populistes dans les débats et du conflit religieux». Le chef du groupe UDC au Grand Conseil, plutôt virulent, ne souhaite pas parler d’intégration «tant que les prêches ne devront pas être obligatoirement prononcés dans une langue nationale». Selon le politicien, «ceci pourrait faciliter le contrôle du respect du cahier des charges attendu des communautés, les prêches ne devant pas comprendre de messages ou de préceptes contraires à l’ordre public ou à la Constitution». Côté PLR, où l’on n’a pas désiré faire référendum commun avec l’UDC – même si les signatures s’additionneront au final – Jean-Daniel Jeanneret rappelle que dans son parti, «on discute avant tout démocratie» et qu’il est exclu, au contraire de leurs voisins à droite, «d’évoquer la question communautariste». Côté musulman, enfin, Jamel Chérif avoue que si le débat s’envenime, sa communauté ne manquerait pas «de montrer, pour le processus, un désintérêt total».