Pastorat féminin, un ferment de diversité
L’égalité n’est pas atteinte, mais la mixité, acquise progressivement, a contribué à faire évoluer la profession.
Progressistes, les protestant·e·s, par rapport aux catholiques? Oui, le ministère pastoral est ouvert aux femmes, mais il a fallu pour cela plus d’un demi-siècle, et une longue succession d’étapes (droit de vote, droit d’éligibilité…), explique Lauriane Savoy, doctorante à l’Université de Genève et auteure d’une thèse en cours sur le sujet. Le mouvement démarre au début du XXe siècle, lorsque l’université s’ouvre aux femmes. Ces dernières prouvent haut la main leurs compétences intellectuelles et physiques (leur voix va-t-elle porter dans les églises?). Mais aussi, et surtout, leur charisme car un·e pasteur·e doit faire preuve de leadership.
Ouverture et professionnalisation
L’Église évolue, finalement, au même rythme que la société. «Lorsqu’un mouvement féministe se développe en Suisse romande à la fin du XIXe siècle, avec des femmes et des hommes qui s’engagent pour les droits politiques, juridiques, économiques des femmes, les laïcs au pouvoir dans l’Église sont influencés», détaille Lauriane Savoy. «Les femmes ont eu le droit de vote dans les Églises Les femmes représentent entre 30 et 40% des pasteur·e·s en Suisse. L’égalité n’est pas atteinte, mais la mixité, acquise progressivement, a contribué à faire évoluer la profession. Pastorat féminin, un ferment de diversité plusieurs décennies avant le suffrage politique!» Parmi les craintes à surmonter… la perte des épouses de pasteurs, actives bénévolement dans la paroisse. «Beaucoup de lieux se sont dit que si une femme pasteure était acceptée, son mari travaillerait ailleurs et la paroisse perdrait ainsi de la main-d’oeuvre».
En même temps qu’il se féminise, le métier de pasteur se professionnalise. Aujourd’hui, «la séparation vie privée et vie professionnelle est normalisée», assure la chercheuse. Avec la professionnalisation récente des ressources humaines dans les Églises, Lauriane Savoy constate aussi que les temps partiels subis sont moins fréquents, et que l’attention à la santé du personnel s’est améliorée. «Les pasteur. e·s ont une marge de manœuvre» pour organiser leur vie professionnelle.
Représenter la diversité
«Le pasteur était dans un rôle défini. Les femmes se sont senties plus libres d’investir la fonction autrement», note Lauriane Savoy. Elles ont ouvert un nouveau champ des possibles, initiant certains ministères spécialisés (pastorale SIDA à Genève). Surtout, les femmes ont amené leur expérience de vie, «qui permet au corps pastoral dans son ensemble de mieux comprendre la population et d’être plus en lien avec le reste de la société». Mais les difficultés subsistent: cette mixité ne concerne pas encore tous les échelons de l’Église. Des mécanismes conduisant à des inégalités inconscientes subsistent. Mais parfois aussi des phénomènes très conscients, comme la crainte des jeunes pasteures de ne pas être embauchées parce que leur maternité potentielle est vue comme un problème. Les Églises ont donc encore une marge de manœuvre. «Elles pourraient, par exemple, proposer un congé paternité égal au congé maternité…», glisse Lauriane Savoy. Aujourd’hui aussi, l’Église pourrait devancer la société.
Repères
1918: la première femme pasteure de Suisse est ordonnée à Zurich.
1929: la première ministre protestante genevoise est consacrée.
1972: les femmes pasteures sont acceptées dans l’Église réformée vaudoise (elles l’étaient déjà en 1935 dans l’Église libre, qui fusionne en 1966 avec l’Église nationale pour fonder l’actuelle EERV).
A lire
• Des groupes de théologiennes protestantes à Genève (1978-1998), par Lauriane Savoy dans Nouvelles Questions Féministes, éd. Antipodes, vol. 38, www.pin.fo/nqf38
• Ordination des femmes: une perspective historique par Lauriane Savoy dans Égalité femme-homme et genre, Peeters-Leuven, 2020.