Multinationales responsables: «les Églises semblent loin des réalités»
Dans une interview parue dans Le Temps, vous qualifiez l’initiative entreprises responsables de dangereuse. En quoi est-elle dangereuse?
Cette initiative vise des buts louables —on veut tous défendre l’humain et l’environnement— mais elle est trompeuse. D’abord son implémentation sera pratiquement impossible pour les PME: on nous fait croire qu’elle ne touchera que les multinationales, mais ce n’est pas le cas! Si ce texte passe, les multinationales seront obligées de reporter les exigences auxquelles elles seront soumises sur les dizaines de PME auprès desquelles elles se fournissent et comment voulez-vous qu’une PME puisse garantir que toute sa chaîne de fournisseurs respecte les multiples standards. Elle ne le peut pas! Faudrait-il que je renonce aux fournisseurs locaux pour me tourner vers de plus grandes entreprises capables elles d’assumer une chaîne de responsabilités? En plus, l’initiative prévoit une action juridique «extra territoriale»; ce n’est pas réaliste, c’est en fait demander à des juges suisses d’aller investiguer partout dans le monde! Et en plus elle veut enlever la présomption d’innocence ce qui est inacceptable et contraire aux lois suisses en vigueur.
Enfin, les investisseurs qui cherchent un rendement à moyen ou long terme sur sept ou dix ans ne vont pas vouloir exposer leur argent à des risques supplémentaires. Ils pourraient perdre confiance dans les entreprises qui innovent en Suisse car elles seront incapables d’assurer les nouvelles contraintes.
Vous exagérez un peu, non? Les défenseurs de l’initiative déclarent que leur texte n’impose qu’un devoir de diligence aux entreprises suisses…
C’est effectivement un problème lorsque nous devons voter sur des sujets de «principe» car nous ne connaissons pas les textes d’application, ni même s’ils seront applicables! Malheureusement, on nous pose une question ici et maintenant. Et les interprétations que je peux faire aujourd’hui de ce texte me poussent à le refuser, car je crois qu’ils imposeront trop de contraintes. Vous devez savoir que nous avons déjà des codes de conduite pour tous nos fournisseurs qui exigent le respect de nos valeurs, de nos critères et de l’éthique vécue dans le Groupe. Donc nous faisons déjà notre «devoir de diligence» d’une part avec ce code, d’autre part avec des audits internes indépendants chaque année sur un «échantillon» de fournisseurs.
Mais pour vous qui êtes croyant, ne pensez-vous pas que le respect des normes doit être garanti?
Il faut arrêter d’imaginer que ceux qui sont à la tête de multinationales sont des personnes méchantes qui ne demandent qu’à faire du profit! Les entreprises n’ont pas attendu qu’il y ait des lois pour défendre nos valeurs. Personnellement, j’y accorde beaucoup d’importance comme chrétien et il m’arrive d’aller à la rencontre d’un fournisseur pour exiger des changements dans la manière dont il traite son personnel ou sur ses normes environnementales. J’impose régulièrement à mon entreprise des contrôles externes. Vous savez quand on est à la tête d’une multinationale notre rayonnement est grand, mais notre responsabilité en est d’autant plus engagée. J’accorde donc beaucoup d’importance à appliquer mes valeurs dans ce que je fais. Il n’est pas seulement question de moi mais des milliers de familles qui dépendent du travail fourni par mon entreprise et ses sous-traitants.
Au vu du succès populaire que semble avoir cette initiative, n’y voyez-vous pas les signes d’une crise de confiance des Suisses envers les multinationales?
Pourquoi voulez-vous punir tout le monde alors que seulement une poignée de sociétés en Suisse ne respectent pas les droits et devoirs internationaux? C’est sûr qu’il y a de mauvais élèves, mais cette initiative imposerait vraiment une punition à l’ensemble d’un secteur dans lequel je crois vraiment que beaucoup sont bons déjà. Les entreprises se dotent de code de conduite et se conforment aux standards internationaux. Aucune n’a intérêt à violer ces règles.
En tant que chrétien engagé, vous sentez-vous trahi par l’engagement fort des Églises et de leurs œuvres en faveur de ce texte ?
Je ne dirais pas trahi, mais cela donne l’impression que les Églises sont loin des réalités. C’est important que les Églises se profilent, qu’elles jouent un rôle dans notre société, qu’elles affirment des valeurs, mais peut-être qu’elles doivent un peu plus se renseigner. Elles devraient agir un peu moins par dogmatisme, mais en suivant des valeurs chrétiennes.
Ce que j’appelle les chrétiens à faire, plutôt que d’imposer des règlements, c’est de faire en sorte que leurs actes soient des témoignages des valeurs qu’ils défendent. Privilégier une économie de proximité, faire vivre des gens proches de soi. Chacun peut créer de la valeur ajoutée.
Les Églises devraient nous permettre d’avoir de vrais débats et discuter sur ce qu’est la création de valeur. Les entrepreneurs doivent surtout chercher à avoir des clients satisfaits, un environnement qui permette l’innovation, la formation des personnes, etc. Pour moi, le résultat financier n’est qu’une conséquence de tout cela.
Les Églises et les chrétiens devraient être reconnaissants pour ce que nous vivons, pour les opportunités que nous avons de témoigner de l’amour du Père et de sa Grâce pour ses enfants; faire confiance à Dieu en cas de grands défis ou de tempête, travailler ensemble et unis. Ils refléteraient ainsi leur relation à Jésus-Christ.