Appels aux dons: l’art délicat de la communication
C’était dans le métro lausannois, en 2020. Le journaliste Arnaud Robert avait été intrigué par le regard d’un homme, sur une affiche de la Croix-Rouge. Il avait voulu le retrouver. Et avait découvert que Rosius Fleuranvil était décédé quatre ans auparavant. Comment expliquer que la Croix-Rouge avait utilisé le visage d’une personne décédée pour sa communication?
C’est poussé par cette découverte qu’Arnaud Robert a réalisé une enquête tout en nuances pour Le Temps. On y découvre tous les travers de la communication humanitaire, mais aussi toute sa complexité. Des problématiques auxquelles les ONG protestantes sont également confrontées, tiraillées entre un besoin de faire connaître la palette et la réalité de leurs actions, et celui de toucher efficacement des personnes susceptibles de faire des dons.
Demande de success-stories
Il y a, tout d’abord, la question du choix: une campagne de communication demande des moyens, qu’il s’agit d’utiliser au mieux. «Quelle situation mettre en avant? L’urgence, souvent médiatisée, peut susciter des dons coups de cœur. Des projets de long terme peinent parfois à être soutenus car ils sont beaucoup plus complexes» et ne peuvent donc pas se résumer en un slogan sur une affiche, explique Sylviane Pittet, responsable communication chez DM-échange et mission. Et ensuite, quel message faire passer?
A l’EPER, Joëlle Herren réalise souvent des reportages sur le terrain, à la recherche de la «bonne histoire» pour une campagne de communication. Un vrai défi. «Les gens aiment les success-stories, voir que leur don a transformé une existence du tout au tout. Ce sont ces attentes qu’il faudrait retravailler. Car, dans la réalité, on ne fait pas de miracles. On répond à l’urgence ou alors on fait du travail de long terme qui améliore une partie des revenus, par exemple, mais pas tout le contexte d’un jour à l’autre, même si c’est le but visé finalement.» Autrement dit, le récit de chaque bénéficiaire demande beaucoup de détails, d’explications. «Il est possible de les donner dans un article. Pour un slogan, comment ne pas être réducteur?», se demande Joëlle Herren.
Photos de mannequins
Finalement, les messages placardés sur les affiches sont souvent des réécritures de différents témoignages, représentatifs de la situation. Quant aux photos, elles sont toujours réalisées avec l’accord du bénéficiaire. Mais d’autres organisations s’interdisent de mettre en avant des personnes réelles. C’est le cas du Centre social protestant. «Jusqu’à aujourd’hui, pour toutes nos campagnes d’affichage, nous avons fait appel à des mannequins, non pas à des usagers réels», explique Evelyne Vaucher Guignard, chargée de communication au CSP Vaud.
Ceci pour trois raisons: vivant en Suisse, les usagers pourraient être reconnus. Certains pourraient se sentir obligés d’accepter de participer «en raison d’une mécanique de contre-don, parce qu’ils bénéficient gratuitement de nos services, et il serait indigne de les placer dans cette position pour des raisons éthiques». Des témoignages réels sont toutefois utilisés à l’écrit, notamment dans le journal du CSP Vaud, «en modifiant les caractéristiques pour que les personnes ne puissent pas être reconnues, sauf si certain·e·s souhaitent témoigner à visage découvert». Si les donateurs ont droit à l’anonymat, les bénéficiaires peuvent légitimement y prétendre aussi.