L’importance des convictions quant au rôle de la religion
«L’École doit rendre accessible aux élèves la connaissance des différentes religions pour favoriser la compréhension et promouvoir la tolérance confessionnelle», écrit la conseillère d’État vaudoise Cesla Amarelle, à la tête du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture dans une brochure de présentation de l’éthique et culture religieuse à l’école obligatoire. «Cet enseignement s’adresse à tous les élèves, sans possibilité de dispense. Il est délivré par l’École, tenue au respect des convictions religieuses, morales et politiques des élèves et de leurs parents», précise l’élue. Et qu’en est-il du respect des convictions des enseignantes et des enseignants? Les cadres juridiques des différents cantons visent à éviter qu’une conviction personnelle ait un impact pédagogique. Ainsi, à Genève, la loi sur l’instruction publique place sur le même plan religion et prosélytisme politique. «Nous ne sommes pas là pour répandre nos opinions», commente une enseignante. «Quand j’enseignais alors que j’étais élue au Grand Conseil, tout le monde savait que j’étais socialiste, mais je ne me serais jamais permis de venir en classe avec un T-shirt portant le logo du parti. Et cela ne m’a jamais empêchée de parler du libéralisme économique», résumait quant à elle la conseillère d’État genevoise Anne Emery-Torracinta, lors d’une journée de réflexion romande sur la laïcité à l’école (dont le compte-rendu est à lire sous reformes.ch/hic).
La place donnée à la foi
Ces quelques règles posent-elles un cadre suffisamment clair ? « La question n’est pas tant de savoir si l’enseignant est engagé ou non, mais plutôt de savoir quel est le rôle qu’il accorde à la religion dans la société », rétorque Samuel Heinzen, professeur à la HEP Fribourg. Il met en avant, notamment dans un article intitulé « Pour une éthique de l’enseignement de l’Ethique et cultures religieuses (ECR) », une tension entre une approche libérale et une approche plus communautaire.
«Chacun donne à sa propre vie la valeur qu’il veut bien lui accorder et il n’appartient en aucun cas à l’État d’interférer avec toute décision relative à cette appréciation du sujet de lui-même […]. L’État en tant que gardien des droits individuels et universaux n’a aucune autorité pour organiser la quête d’une perfection éthique collective définie, sa seule responsabilité en la matière étant d’organiser des débats publics, afin que les individus aient l’opportunité de faire leur choix en toute connaissance de cause», écrit-il pour résumer la position dite libérale. «Les communautaires soulignent qu’au contraire, l’humain est un être viscéralement social, car toujours situé dans un contexte qui le définit. Ils soutiennent que la participation au bien commun est constitutive de toute vie bonne, car la communauté concrète d’ici et de maintenant est un bien intrinsèque à chacun. Il en ressort que le droit, qui définit la vie juste, ne peut être que l’expression des valeurs collectives. Dès lors, le rôle éthique de l’État doit forcément s’articuler autour de l’obligation de mener les individus […] vers la perfection morale désignée par la collectivité», complète-t-il dans le même article.
Un juste milieu
«Cette opposition est développée dans un contexte anglo-saxon, elle a donc ses limites par rapport à notre situation», prévient-il, «mais je crois qu’en Suisse, l’on est un peu tiraillé entre ces deux idéaux. Peut-être peut-on même dire que la Suisse romande est plus libérale dans sa conviction de l’enseignement de l’éthique et de la culture religieuse, alors que la position communautaire serait plus alémanique, peut-être plus protestante», avance le chercheur. «Mon rôle est d’inciter les enseignants à trouver un juste milieu entre les deux: ne pas cacher ses convictions, sans les imposer.»