Les Eglises bichonnent leurs chers orgues

Le nouvel orgue du temple de Cossonay. / © Pierre Porret
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Le nouvel orgue du temple de Cossonay.
© Pierre Porret

Les Eglises bichonnent leurs chers orgues

MUSIQUE
Plusieurs orgues sont en cours de création ou de rénovation en Suisse romande. A l’heure des difficultés budgétaires, est-ce que cela vaut la peine d’investir de tels montants dans cet instrument?

687 000 francs, 8 000 heures, vingt ans: voilà ce qu’il a fallu pour donner naissance à l’orgue fraîchement construit du temple de Cossonay (VD). 

Des travaux de rénovation et d’extension d’orgues d’une envergure similaire sont fréquents dans les temples de Suisse romande. A Morges, changer l’orgue de 1960, à bout de souffle, a coûté un million de francs. «Au vu du prix des réparations (420 000 francs), on a décidé de plutôt le remplacer!», explique Denis Pittet, paroissien engagé dans ce projet. La facture a été réglée par la Ville et par la Loterie romande. 

Le relevage (révision d’un orgue) et l’extension de l’orgue de la collégiale de Moutier, terminés en mars dernier, ont avoisiné le demi-million. Le montant est le même pour celui de Gland-Vich-Coinsins, qui, grâce à un savant dispositif, permettra au public de voir l’organiste depuis en bas. Quant à l’église Saint-François à Lausanne, elle a inauguré en octobre 2020 un projet de quatre orgues intitulé Organopole*. 

Soutiens privés

A l'heure où les finances de nombreuses Églises sont en berne, comment parviennent-elles à couvrir de telles sommes? Le plus souvent, elles sont soutenues par des dons privés, par des fondations – dont la Loterie romande, très généreuse –, ou par les contribuables. 

«Il faut se rendre compte qu’il s’agit de 15% de matériaux. Tout le reste est de l’artisanat», explique Pierre Porret, organiste titulaire du temple de Cossonay, à l’initiative du projet de nouvel orgue. Antonio Garcia, organiste de l’Église française de Berne, fait remarquer qu’un violon ou un violoncelle peuvent coûter entre un demi-million et un million, «mais ils ne sont destinés qu’à une seule personne». L’orgue, par ailleurs, n’a pas de durée de vie limitée. «Un orgue, c’est une bonne assurance-vie!» 

Patrimoine et culture

Ces orgues permettront-ils de redonner du souffle aux paroisses? Pour Marc Jeannerat, ancien pasteur dans le Jura bernois, qui a porté le projet du nouvel orgue de la collégiale de Moutier, rien n’est moins sûr: «Au mieux, nous sommes une cinquantaine au culte, donc ce n’était pas nécessaire. Mais c’était primordial au niveau culturel et patrimonial.» Tommaso Mazzoletti, organiste titulaire à Gland, précise: «Grâce à ces nouveaux orgues, plus de gens entreront dans les temples. Ils ne resteront pas insensibles à ce qui s’y vit.» 

Investir dans des orgues semble paradoxal alors que les Églises peinent à attirer la jeune génération. «L’erreur consiste à opposer la musique d’orgue et le non-renouvellement de la jeunesse dans nos temples. L’orgue peut dialoguer avec des formes plus contemporaines de musique», explique Pierre Porret. Une affirmation confirmée par Antonio Garcia, 35 ans seulement: «L’orgue est le plus souvent associé uniquement à la vie d’Église. Mais c’est un instrument qui peut jouer tous les styles.» Un exemple: le spectacle «Alice au pays de l’orgue», qu’il a imaginé, mêlant orgue, musique électronique, jazz, chant lyrique et projection vidéo. 

L’absence d’activité pouvant se révéler néfaste pour l’instrument, la relève s’avère indispensable. «En Suisse romande, la formation professionnelle regroupe une trentaine d’étudiants, auxquels il faut ajouter les non-professionnels et ceux en cours ou écoles privées, explique Vincent Thévenaz, organiste titulaire de la cathédrale Saint-Pierre de Genève. Un nombre qui reste relativement stable.» L’Association des organistes romands a créé un Groupe junior (7-20 ans) qui regroupe entre 20 et 30 étudiants. Cela permettra-t-il d’augmenter le nombre de professionnels? Il est encore trop tôt pour le dire.