Plus d’un tiers des musulmans se sentent discriminés en Suisse

Image d'illustration. © iStock/nadia_bormotova / En Suisse, les musulmans sont les plus touchés par la discrimination religieuse.
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Image d'illustration. © iStock/nadia_bormotova
En Suisse, les musulmans sont les plus touchés par la discrimination religieuse.

Plus d’un tiers des musulmans se sentent discriminés en Suisse

28 janvier 2021
Pour la première fois, la question de la discrimination religieuse a été posée dans une étude de l’Office fédéral de la statistique. Un musulman sur trois avoue en souffrir.

En Suisse, près de 35% de personnes issues des communautés musulmanes se sentent victimes de discriminations en raison de leur appartenance religieuse. Le chiffre est tiré de l’Enquête sur la langue, la religion et la culture 2019 de l’Office fédéral de la statistique (OFS), parue à la fin de l’année. C’est la première fois que la question est posée frontalement aux sondés, les résultats sont donc sans comparaison. L’enquête Vivre ensemble en Suisse 2018 de l’OFS révélait déjà que l’hostilité à l’égard des musulmans s’élevait en Suisse à 11% et la désapprobation de cette religion à 29%.

«Malheureusement, ces chiffres ne m’étonnent pas», confie Montassar BenMrad, président de la Fédération des organisations islamiques en Suisse (FOIS). Les chiffres de l’OFS font état de perceptions personnelles et non de cas avérés. En 2019, 55 incidents relevant de l’hostilité à l’égard des musulmans ont d’ailleurs été recensés par les centres de conseil pour les victimes du racisme. Comment expliquer une telle différence? «Nous nous sommes rendu compte que beaucoup de personnes se sentent démunies face à la discrimination. Lorsqu’elles partagent un cas à la police, on leur demande d’avoir des éléments probants pour porter plainte. Et les victimes sont souvent peu informées des démarches à entreprendre. Certaines craignent d’avoir des ennuis ou pensent que cela ne sert pas à grand-chose», explique le président de la FOIS.

Le poids de l’amalgame

L’Enquête de l’OFS montre que les principales discriminations perçues par les musulmans sont vécues dans le cadre de «la recherche de logement et les conversations d’abord, suivies de l’école et de la formation, les transports et les lieux publics et le monde du travail», liste Maik Roth, responsable de l’enquête de l’OFS.

Alors que le sentiment de discrimination religieuse concerne 4,6% des protestants, 6,2% des catholiques ou encore 6,8% des sans religion, quels facteurs expliquent que les musulmans occupent la première place du classement? Ils sont multiples, à commencer par une tendance à l’amalgame. «Il est difficile de dire ce qui est réellement attribué à la religion ou à l’origine. Il s’agit plutôt d’une discrimination ethno-religieuse», analyse Anaïd Lindemann, sociologue des religions, qui précise que si, selon les chiffres de l’OFS de 2014, 94% des musulmans en Suisse sont issus de l’immigration (première ou deuxième génération), plus d’un tiers (37%) est de nationalité suisse. Lors des entretiens qu’elle a menés auprès des personnes actives dans les milieux associatifs et de lutte contre la discrimination, la chercheuse a relevé que les difficultés d’accès à l’emploi, et les agressions verbales et physiques dans l’espace public touchent particulièrement les femmes voilées, qui restent plus visibles.

«L’objectif est bien de trouver des solutions face à de telles situations. Et cela passe par un travail de sensibilisation, d’éducation à faire tant par les organisations musulmanes que par les autorités politiques», explique Montassar BenMrad. Il cite l’exemple d’une femme à qui le personnel d’un aéroport suisse a demandé de retirer son voile publiquement pour procéder à un contrôle. «Nous avons aidé à mettre en place une médiation avec les autorités de l’aéroport. Il y a eu une enquête, des mesures de sensibilisation, une lettre d’excuse. C’est tout ce que souhaitait cette femme, pour que cela ne se reproduise pas et que personne n’ait aussi à en souffrir», détaille le président de la FOIS.

Un contexte pesant

Un effort à tenir malgré un contexte qui ne fait pas de cadeau. «Le lendemain d’un attentat terroriste, certains musulmans préfèrent rester chez eux, craignant des incidents, m’a-t-on rapporté pendant les entretiens», évoque Anaïd Lindemann.

«Un rapport de la Commission fédérale contre le racisme de 2018 indiquait que 54% des articles ayant trait aux musulmans en Suisse se concentraient sur la radicalisation et le terrorisme. Ces associations influencent la perception que l’on a des musulmans. Les médias doivent être encore plus sensibles aux effets de stigmatisation que ça entraîne», argumente Montassar BenMrad. La sociologue relève que dans le discours médiatique actuel «les musulmans sont une figure de l’étranger qui a supplanté celle du travailleur sud-européens du siècle passé, quand bien même presque la moitié d’entre eux sont nés ou ont été scolarisés en Suisse».

Le discours politique ne mâche pas non plus ses mots. Le 7 mars prochain, le peuple suisse se prononcera dans les urnes sur l’initiative «Oui, à l’interdiction de se dissimuler le visage», qui cristallise le débat sur le port de la burqa (voile intégral). «C’est un problème "fantôme", qui ne concerne que 0,003% de la population», affirme Montassar BenMrad, qui craint qu’elle soit un pas de plus vers d’autres interdictions ciblées concernant les musulmans. Face à la dynamique de ces cinq dernières années, «il n’y a plus seulement de la peur à l’égard des musulmans. Certains fantasment sur le risque d’islamisation de la société! Dans ce sens, on ne peut plus parler seulement d’hostilité à l’égard des musulmans. Il s’agit véritablement d’islamophobie», explique Montassar BenMrad.

L’antisémitisme sévit en ligne

Si l’étude de l’OFS se montre statistiquement représentative pour les musulmans, ce n’est pas le cas au niveau du judaïsme – d’ailleurs, les juifs sont inclus dans la catégorie «Autres religions», qui comprend notamment les hindouistes et les bouddhistes. Cette catégorie est concernée à 26,4% par le sentiment de discrimination. Un ressenti qui n’est pas sans lien avec des incidents réels, qui ne se limitent pas à la discrimination.

«Il ne s’agit pas de discriminations actives, mais plutôt d’un antisémitisme au quotidien qui s’exprime majoritairement aujourd’hui sur les réseaux sociaux», confie Jonathan Kreutner, secrétaire général de la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI). Dans son rapport 2019 sur l’antisémitisme en Suisse alémanique, la FSCI a enregistré 523 actes antisémites dont 485 sur internet (notamment sur les réseaux sociaux et les colonnes de commentaires des journaux).

Côté romand, 114 actes antisémites ont été recensés par la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD) dans son rapport 2019, dont une majorité sur le web. Si la plupart des incidents antisémites recensés en Suisse proviennent d’internet et en particulier des réseaux sociaux, «la FSCI et la CICAD ont enregistré un nombre légèrement inférieur d’incidents en ligne en 2019. Ceci est dû notamment à l’absence "d’éléments déclencheurs" significatifs tels que le conflit au Proche-Orient et parce que certains groupuscules d’extrême droite et d’extrême gauche sont moins actifs sut Facebook et Twitter que les années passées», lit-on dans le rapport de la CICAD.

Le 17 janvier dernier, pourtant, la FSCI et la Plateforme des juifs libéraux de Suisse  ont condamné une nouvelle agression. Selon leur communiqué, une manifestation en ligne d’une communauté juive de Zurich «a été piratée par des individus cagoulés qui ont perturbé le programme par un déversement d’images obscènes et blessantes, dont des croix gammées et des photos d’Hitler. Une plainte pénale a été déposée par la communauté concernée».