John Behr: «À Pâques, la mort assumée pour une vie humanisée»
«C’est quand je serai mort que je serai vraiment humain!» En faisant siens les mots de l’évêque Ignace d'Antioche (IIe siècle), John Behr n’a pas peur du paradoxe. Ni d’aller à contrecourant des modes de pensée ordinaires. Pâques, la vie, la mort? Il s’agit pour lui de débusquer nos manières trop immédiates de les comprendre. Car la résurrection n’est pas le happy end de l’Évangile! Ni la revanche de Dieu sur une histoire qui s’est mal finie. «Cela n’aurait aucune incidence sur nous», dit-il. Il s’agit bien plutôt d’une invitation à inscrire la logique vivifiante du don de soi au coeur de l’existence humaine.
Pour parvenir à cette conviction qui irrigue toute sa réflexion, ce prêtre orthodoxe de 54 ans, père de trois enfants, enjambe les barrières et fait communiquer les mondes: s’il lit les Évangiles, il les fait résonner avec le témoignage de leurs lecteurs du IIe siècle ou avec la philosophie contemporaine. Et il les confronte à leur contexte vétérotestamentaire. Ce ne sont pas tant les idées abstraites qui l’animent, mais les textes, et le dialogue de sens qu’amorce leur interprétation inlassablement reprise.
Esprit allemand et âme russe
D’ailleurs, la biographie même de cet Anglais aux racines cosmopolites passe les frontières. L’un de ses arrière-grands-pères était prêtre russe au Royaume-Uni, son grand-père maternel était pasteur luthérien en Allemagne. «J’ai un esprit allemand et une âme russe», sourit-il. Depuis l’an dernier, il est professeur de théologie à Aberdeen, en Écosse. Auparavant, il a passé à New York plus de deux décennies – «la majeure partie de ma vie d’adulte» – comme enseignant à l’Institut orthodoxe de théologie de Saint-Vladimir.
Plus qu’un retour aux sources, il comprend ce nouveau départ au Royaume- Uni comme «une sacrée aventure! Traverser l’Atlantique en pleine pandémie, avec armes et bagages, toute la famille et trois chats, ce n’était pas de tout repos…» Une aventure qu’il vit aussi dans sa réflexion théologique. Elle se doit de déplacer existentiellement celui qui la mène. Pour lui, en effet, elle ne saurait se réduire à «parler de Dieu, comme la géologie serait un discours concernant la terre. Car Dieu n’est pas un objet à propos duquel nous avons à parler. Quelque chose d’autre s’y passe!».
Prisme de couleurs
Ce qui s’y passe? On le découvre en l’interrogeant sur Pâques, dont la date approche. Avant de commencer, il prévient: «Vous êtes prêt? Je pourrais en parler des heures!» Et le voilà parti pour une palpitante leçon de théologie. L’esprit allemand est à l’oeuvre… Les références fusent. Il recourt avant tout au quatrième Évangile, objet de son dernier livre. «Jean dépeint sur la croix un Christ glorifié. Chez lui, la crucifixion, l’élévation en gloire, la résurrection, l’ascension, le don de l’Esprit sont réunis en un seul événement, que nos fêtes liturgiques ont étalé sur une cinquantaine de jours du calendrier. Nous connaissons un prisme de couleurs, dont nous célébrons chacune indépendamment. Mais pour en saisir la cohérence, il faut revenir à cette première lumière blanche et pure.»
Dans l’événement de la croix, la révélation en effet se condense. «Le Christ nous montre ce que c’est que d’être Dieu par la façon dont il meurt en tant que personne humaine et, de cette manière, il nous montre aussi ce que c’est que d’être humain…» Oui, ce que révèle le Christ en croix, c’est que devenir humain, c’est en réalité devenir divin.
Briser la mort par la mort
Or si notre humaine condition ne peut échapper à la mort (et l’âme russe de John Behr lui fait évoquer ici Dostoïevski), le Christ est venu briser cette dramatique prison. C’est la bonne nouvelle de l’Évangile! Mais, souligne le professeur, «non pas en oblitérant la mort. Ou en nous la faisant éviter! Mais en brisant la mort par la mort même, comme le dit la liturgie byzantine». C’est-à-dire en l’assumant librement et en en renversant le sens.
Ainsi «la mort est maintenant retournée et devient l’entrée dans la vie». Cela implique «une invitation ahurissante» pour nous aussi: «Plutôt que d’affronter la mort en en étant victimes, nous pouvons volontairement, comme le Christ, accepter de ne pas vivre pour nous-mêmes, mais dépenser notre vie pour autrui, pour le Royaume. Et ainsi changer le fondement de notre existence en liberté et en amour désintéressé. Ce qui n’est rien d’autre que la vie même de Dieu.»
Cacher la mort, c’est cacher Dieu
«Si le Christ nous montre ce que c’est que d’être Dieu par la manière dont il meurt en tant qu’être humain, alors l’‹éradication› de la mort de la culture occidentale au cours du dernier siècle environ a une signification profonde. Si nous ne ‹voyons› pas la mort, nous n’aurons aucun sens (ou un sens très différent, névrosé) de la finitude et de la transcendance. Nos horizons seront limités à cette soi-disant ‹vie› et à une notion restreinte de liberté. Car, alors, nous ne verrons pas Dieu, et nous ne verrons pas la transcendance de l’amour volontaire et oblatif auquel nous sommes appelés.»
Bio express
John Behr est né en 1966. Marié, père de trois enfants.
2000 Publie sa thèse de doctorat, à Oxford, sur Irénée de Lyon (IIe siècle).
2001 Ordonné prêtre orthodoxe.
2007–2017 Doyen de l’Institut de théologie de Saint-Vladimir (New York) où il enseigne depuis 1995.
2019 John the Theologian and His Paschal Gospel dernière publication en date.
Depuis 2020 Professeur de théologie à Aberdeen (Ecosse).