Israël: juifs et arabes, le dialogue au temps des émeutes

Quelle cohabitation possible après les violents lynchages survenus au sein de la population israélienne lors de la reprise du conflit courant mai, et alors que le pays vient de se choisir une nouvelle coalition gouvernementale?
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Quelle cohabitation possible après les violents lynchages survenus au sein de la population israélienne lors de la reprise du conflit courant mai, et alors que le pays vient de se choisir une nouvelle coalition gouvernementale?

Israël: juifs et arabes, le dialogue au temps des émeutes

Pierre-Simon Assouline
15 juin 2021
Quelle cohabitation possible après les violents lynchages survenus au sein de la population israélienne lors de la reprise du conflit courant mai, et alors que le pays vient de se choisir une nouvelle coalition gouvernementale?

Trois semaines après la fin des émeutes entre juifs et arabes ayant secoué Israël, et pour la première fois dans l’histoire du pays, un parti islamiste, le Ra’am, est entré le 13 juin dernier dans la nouvelle coalition gouvernementale, menée par le nationaliste-religieux Naftali Bennett.

Ce gouvernement dit «de changement» a mis fin à douze années successives de règne de Benyamin Netanyahou en parvenant à unir des partis antagonistes au sein d'une même coalition: un nationaliste religieux et des laïcs, un communiste et des libéraux, des partisans et des détracteurs de la colonisation et des droits LGBT. Et enfin, des sionistes et un islamiste conservateur proche des Frères musulmans. Mais ce symbole fort suffira-t-il à recoller les morceaux d’une coexistence fragile entre les deux communautés?

Durant ce mois de mai, les exactions de gangs arabes ultra-violents opposés à des émeutiers juifs tout aussi brutaux, ont écrasé les images d'union nationale entre juifs et arabes qui fleurissaient un peu partout pendant la crise du coronavirus. Car, durant celle-ci, le pays «a semblé découvrir qu’une part très importante de son personnel médical est arabe israélien et qu’il a participé à l'effort national pour sortir de la crise», se souvient le professeur Denis Cherbit, de l’Open University de Jérusalem. Et de poursuivre: «Mais il est certain que ces violences ont abîmé la perception mutuelle des juifs et des arabes et fait monter les craintes.» Optimiste, il relativise: «Israël a cependant déjà connu pire.»

Lynchages choquants mais néanmoins marginaux

Derrière le choc de ces images qui ont fait craindre le pire, le Shin Beth, le service de renseignement intérieur israélien, décrit une réalité plus nuancée, moins catastrophique. Et une population arabe israélienne sans doute moins poreuse que l’on pensait aux appels du Hamas qui tente d’enflammer la rue arabe israélienne depuis Gaza. D’ailleurs, depuis plusieurs semaines un calme relatif est retombé sur Jérusalem et dans les villes mixtes israéliennes. 

Dans son rapport mensuel de mai, le Shin Beth note qu’autour de 7000 arabes, sur une population totale en Israël d'environ deux millions, ont participé aux émeutes et manifestations du mois de mai, et ont commis 70 actes terroristes: jets de cocktails Molotov, agressions violentes, ou vandalisme. Du côté juif, le service de renseignement recense que 500 personnes ont participé à des émeutes au cours desquels 5 actes terroristes, lynchage, incendie et vandalisme, ont été enregistrés. 

Ces chiffres qui permettent de recontextualiser ces violences, ne doivent pas non plus cacher l'émergence d'un phénomène nouveau qui a sidéré l'opinion publique israélienne. La violence des gangs juifs et arabes, capables de lyncher une personne uniquement à cause de son appartenance supposée à une communauté différente.

Territoires abandonnés et idéologie suprémaciste

Le public israélien a ainsi découvert la puissance de nuisance des groupuscules Leava et La Familia: «Leava, c'est un mouvement de jeunesse et une milice», décrit Perle Nicole-Hasid, sociologue spécialiste des mouvements radicaux en Israël. «D’inspiration kahaniste (du nom du suprémaciste juif Meir Kahane, ndlr.), ils sont contre la coexistence judéo-arabe. Globalement, ils offrent une identité combattante à des jeunes en perdition, spécialement dans certaines villes mixtes pauvres, en les armant d’une idéologie suprémaciste. Pour eux, les arabes ne peuvent pas être des citoyens à part entière et égale à la leur, ils sont forcément des traîtres et des terroristes potentiels.»

«De son côté, la Familia sont des supporters du club de football du Beitar Jérusalem. Mais ils ont essaimé dans différentes villes comme Bat Yam ou Akko, des villes populaires», continue la sociologue. «Il y a une corrélation assez claire entre pauvreté réelle et éducative, et implantation de Leava et de La Familia dans les quartiers les plus pauvres» synthétise Perle Nicole-Hasid. Côté arabe, les données récoltées par le Shin Beth tendent à démontrer que la plupart des participants aux émeutes ont des antécédents criminels et n’ont pas une identité nationaliste ou religieuse très développée. 

«Des sondages approfondis menés par le Shin-Beth parmi la population arabe en Israël indiquent qu'environ 80% d'entre eux aspirent à l'évolution économique et personnelle», rapporte Alon Ben David, spécialiste des questions de sécurité, dans le quotidien Maariv. «Environ 20% aspirent à la révolution nationale-religieuse. Parmi eux, la majorité est passive et seulement une fraction d'un pour cent serait prête à se lever et à agir.» 

Plus délinquants que partisans

Les participants aux émeutes auraient, selon le Shin Beth, davantage un profil délinquant que partisan. C'est autour de cette constatation, la chute des revendications identitaires chez les arabes israéliens, que Mansour Abbas, le chef de file du parti arabe Raam, a bâti sa campagne électorale. Abandonnant les questions identitaires et la question palestinienne, il a concentré son discours sur les problèmes de violence internes à la société arabe israélienne, et au retard d'investissements structurel à l’origine de nombreuses manifestations dans les villes arabes. Sa stratégie a payé: le nouveau gouvernement a promis de nouvelles universités et hôpitaux dans ces villes et un renforcement de la police réclamée de longue date pour endiguer les crimes d’honneur et le racket très fréquents dans ces zones.

Mais cela suffira-t-il à diminuer l’amertume de la population arabe israélienne? «Les arabes israéliens et les Palestiniens veulent surtout plus de respect et d'égalité», résume Ziad Abou Salah depuis son bureau d’infirmier en chef à l'hôpital Carmel de Haïfa, ville de coexistence qui n'a pourtant pas échappé aux violences. Il analyse: «Quand l’ambulance qui transporte un membre de votre famille attend des heures à un checkpoint israélien, que vous êtes victimes de racisme, ou que des symboles comme la mosquée Al Aqsa semblent profanés par l'armée israélienne, comment voulez-vous ne pas être en colère?» Pourtant cet homme de 56 ans, qui vit dans un immeuble mixte où vivent juifs et arabes, a organisé plusieurs manifestations unitaires avec succès à l'hôpital et dans son quartier durant les émeutes. 

«Je crois en ce nouveau gouvernement», sourit Ziad Abou Salah. «Contrairement à Benyamin Netanyahou, il devrait privilégier ce qui nous rassemble et non ce qui nous divise » Mais, dans un pays qui a connu quatre élections en moins de deux ans, reste à savoir quelle sera la durée de vie de ce nouveau gouvernement.