Ni anges ni démons
Si les anges et les démons sont très présents dans les trois monothéismes, les autres religions recèlent aussi de figures agissant comme intermédiaires entre les mondes divin et terrestre. Mais si le christianisme distribue distinctement le bien et le mal, la frontière peut être plus trouble en Asie, notamment dans la religion chinoise. En effet, dans ce mélange populaire du bouddhisme, du confucianisme et du taoïsme, on trouve moins de figures angéliques que de démons, ces derniers pouvant même «être enrôlés au service du bien», comme l’explique Vincent Durand-Dastès, chargé de cours à l’unité d’études chinoises de l’Université de Genève. «Certains textes taoïstes rapportent des histoires de prêtres capturant des démons afin d’en faire des soldats du bien. Cela s’appelle une canonisation.» Ces créatures maléfiques sont souvent des «fantômes dangereux», c’est-à-dire des humains ayant connu une mort violente ou cruelle.
Bénéfiques ou maléfiques
Dans le taoïsme, des rituels de guérison pratiqués par des prêtres, à la même époque, étaient censés chasser un démon un peu particulier. «Pour le faire parler, le prêtre était secondé d’un enfant. Le démon logé dans le corps du malade parlait alors par la bouche du bambin», indique Vincent Durand-Dastès. «Le démon pouvait par exemple expliquer être en réalité un dieu protecteur de la famille dont on avait négligé les offrandes, et qui promettait de cesser de tourmenter le possédé s’il était honoré à nouveau.» Même phénomène dans le bouddhisme tibétain: «Des divinités protectrices peuvent être bénéfiques ou maléfiques», relève Frédéric Richard, doctorant en Sciences des religions à l’Université de Lausanne. Ces dernières, censées protéger un monastère, un enseignement ou une lignée, «sont liées aux vœux tantriques, soit l’engagement religieux que prend le pratiquant auprès de son maître. Si ces vœux sont respectés, ces divinités peuvent aider à atteindre l’éveil bouddhique. Dans le cas contraire, elles peuvent se retourner contre le pratiquant et provoquer toutes sortes de malheurs.»
Au Japon, les kami, qu’on trouve notamment dans le shintô, ont eux aussi une nature ambivalente. «Ces divinités autochtones sont en principe invisibles, mais peuvent se manifester sous forme d'éléments naturels ou d'objets, et au travers d'animaux ou d'êtres humains» soulève, Carina Roth, chargée de cours spécialisée dans l’histoire des religions japonaises à l’Université de Genève. «Ces sont des esprits qui ont un potentiel de dangerosité latent, qu'il importe d'apaiser par des offrandes afin qu’ils restent bienveillants envers leur environnement.»
Le vaudou et les anges de l’âme
Dans le vaudou haïtien, syncrétisme mélangeant vaudou africain et christianisme, deux anges entrent en scène: le «gwo bon ange» et le «ti bon ange», les deux composants de l’âme. «Le premier est responsable des fonctions biologiques de base, tandis que le second est lié à la personnalité, la raison, la volonté et la mémoire», explique l’ethnologue Magali Jenny. Le phénomène bien connu des zombies, en Haïti, où des personnes sont retrouvées dans un état de léthargie proche du somnambulisme, trouve alors une explication religieuse: «On dit que les sorciers s’emparent du ti bon ange, l’enferment dans une bouteille et peuvent ainsi disposer des corps des personnes privées de conscience, qui deviennent leurs esclaves.» Autre phénomène, celui des transes vaudouesques où, cette fois-ci, le ti bon ange s’en va également, mais pour laisser place à un loa, une des 401 divinités du panthéon vaudou. «Celui-ci correspond le plus souvent à un des saints catholiques connus que la religion vaudoue a calqués sur d’autres divinités d’origine africaine», renseigne encore Magali Jenny. «Mais la séance de transe peut également mal tourner quand un loa plus agressif et belliqueux s’invite à la fête et pousse le vodouisant possédé à adopter des comportements sociaux inacceptables.»
De vrais gentils
Il existe tout de même des figures fiables, et dont les pouvoirs ne s’exercent que pour le bien des hommes. Dans le bouddhisme chinois, certaines d’entre elles ont même fait vœu de secourir les hommes en cas de malheur ou de tourment: les bodhisattva. «Ces divinités indiennes se sont arrêtées à une marche de l’éveil et secourent les êtres vivants en prenant différents aspects», explique Vincent Durand-Dastès. «L’une d’entre elles, Guanyin, brise le sabre du bourreau lors d’exécutions, éteint des incendies ou sauve de la noyade.»
En Inde, le docteur ès Lettres et auteur de Les enfers indiens, Marc Tiefenauer, trouve lui aussi des figures clairement bonnes. «Selon son sens grec, ange signifie "message". Partant de là, il existe dans les religions indiennes un exact équivalent: les dūta».
Attention: démon méchant
Des démons venus d’Inde, Marc Tiefenauer en identifie dans toutes les religions du pays: «De très nombreuses créatures démoniaques sont à recenser dans l’hindouisme, le jaïnisme, le sikhisme ou le bouddhisme.» Parmi les plus connues, les asura, dans la mythologie hindouiste, peuvent parfois acquérir tellement de puissance que l’intervention d’une divinité majeure, telle que Vishnu ou Shiva, devient nécessaire.
«Dans la religion chinoise, il n’existe pas d’agent du mal absolu comparable à Satan, mais toutes sortes de démons», précise encore Vincent Durand-Dastès. Toutefois, dans l’Empire du Milieu, le roi des enfers, le dieu et juge des morts Yama, lui aussi emprunté aux religions indiennes, dirige un grand nombre de démons qui travaillent pour lui. «De véritables tortionnaires. Ils forment ensemble toute une bureaucratie et tendent aux morts un miroir qui reflète tous les péchés commis dans leur vie.»