«L'engagement politique des Églises devrait être plus transparent»
L’engagement politique des Églises est-il juridiquement valable? Oui, avec certaines restrictions. C’est la conclusion de l'avocat Lorenz Engi, chargé de cours à l'Université de Saint-Gall et collaborateur libre à l'Institut de droit des religions de l'Université de Fribourg.
Vous êtes l’auteur d’une étude sur l'implication des Églises dans le champ politique. L'intense campagne autour de l'initiative sur les multinationales responsables a-t-elle été l’élément déclencheur.
C’est en prenant connaissance de certaines constitutions d’Églises stipulant que celles-ci devaient prendre position sur des questions politiques et sociales que ce travail m’a paru pertinent et nécessaire. Les Églises elles-mêmes se considèrent donc comme politiques. De la même façon, les décisions internes à l’organisation ecclésiale s’inscrivent dans le respect du droit suisse.
Ce n’est pas la première fois que les Églises s'impliquent dans une campagne de référendum. Pourquoi l’initiative sur les multinationales responsables a-t-elle été si controversée?
La campagne a été très intense et très visible. De plus, la question était controversée. Le monde des affaires s'est d’ailleurs fortement opposé à cette initiative. Dans ces cercles, certains se sont offusqués du fait que les Églises y soient si fortement favorables, car après tout, les entreprises contribuent à leur financement par le biais des impôts ecclésiastiques sur les personnes morales.
Des plaintes pour violation de la liberté de vote ont été déposées devant le Tribunal fédéral contre l'implication politique des Églises. Ce point n'a-t-il jamais été jugé auparavant?
D'un point de vue purement juridique, il n'y a en fait pas eu d'enquête approfondie. J'ai été moi-même un peu surpris de cela. Il existe une décision du Tribunal fédéral sur les déclarations en rapport avec les élections. Cette dernière stipule que les Églises doivent rester neutres. Mais dans le cas de votations, l'interprétation est beaucoup moins stricte. Il est probable que l'engagement politique des Églises n'ait tout simplement jamais été considéré comme un problème jusqu'à présent.
Vous en avez maintenant fait une analyse juridique. Quelle conclusion en tirez-vous? Les Églises sont-elles autorisées à s'engager sur le terrain politique?
En examinant les fondements du droit ecclésiastique et les sources du droit étatique, je suis arrivé à la conclusion que le droit des Églises à s’impliquer en politique se rapproche de la situation des communautés politiques. Les règles qui s'appliquent à ces dernières ne peuvent être transposées telles quelles aux Églises. Mais il y a toutefois quelques restrictions.
Quelle est donc la base juridique de votre argument?
L’article 34 de la Constitution fédérale stipule que la volonté de l'électorat doit être librement formée et ne doit pas être influencée par l'État. Cela signifie que les organismes publics, tels que les municipalités ou les cantons, ne peuvent être impliqués que dans une mesure très limitée. La question fondamentale est maintenant de savoir si cela s'applique également aux Églises. Après tout, celles qui sont reconnues par le droit public sont aussi des entreprises publiques.
Pensez-vous que les Églises devraient être traitées un peu différemment?
Exactement, car elles ont un fonctionnement propre. Vous pouvez quitter une Église et donc ne plus avoir d'obligations envers elle. Cela ne fonctionne pas avec une municipalité ou un canton. Ainsi, ce qui s'applique à d'autres corporations de droit public – telles que les communes et les cantons – ne peut être appliqué inconditionnellement aux Églises. Notons encore que les corporations de droit public ne sont également liées aux droits fondamentaux que dans la mesure où elles accomplissent des tâches étatiques. La question serait alors de savoir si les Églises exercent des fonctions étatiques lorsqu'elles expriment leur point de vue sur les votes. À mon avis, cela est très discutable.
Et qu'est-ce que cela signifie?
On ne peut pas transférer sans autre forme de procès tout ce qui s'applique aux institutions étatiques aux Églises. Quoiqu’il en soit, elles ne sont pas non plus autorisées à tout faire. Par exemple, leurs campagnes doivent être proportionnées et transparentes. En outre, elles ne doivent pas utiliser l'argent des impôts des personnes morales ou l'argent de l'État pour des campagnes politiques.
Pourquoi pas?
Si les Églises dispose d'un pouvoir souverain, elle ne peut se défaire de l'article 34 de la Constitution fédérale. Et c'est notamment le cas s’agissant de la fiscalité des personnes morales. Les personnes morales doivent payer des impôts ecclésiastiques dans plusieurs cantons et ne peuvent s’y soustraire. C'est pourquoi l'argent qui entre dans l'Église de cette manière ne doit pas être utilisé pour des campagnes politiques.
La dernière campagne référendaire des Églises en faveur de l’initiative pour des multinationales responsables est-elle finalement acceptable selon vos critères?
Je n'ai pas les détails exacts des fonds qui ont été utilisés et comment. Mais je suis presque certain que la campagne a été financée par les revenus fiscaux des personnes physiques et par des dons. Dans cette mesure, je crois qu'elle était bien légale. Cependant, il y a un petit problème de transparence. Pour autant que je sache, il n'existe aucune information ouverte sur l'argent, son utilisation et sa provenance. Ce serait souhaitable dans de tels cas.
Que recommanderiez-vous aux Églises?
D'un point de vue juridique, il subsiste donc une marge relativement importante. Mais je pense que les Églises doivent continuer à avoir un discours sur leur engagement. De mon point de vue personnel, une certaine retenue est à recommander en ce qui concerne les consignes de vote. Parce que sur des objets controversés, une grande partie des membres de l’Église sera toujours en désaccord. Cela affaiblit le pouvoir d’enracinement des Églises. Mais elles peuvent avoir une influence même sans recommandations de vote. Elles peuvent fournir des tribunes, expliquer les enjeux. La situation est différente lorsque l'Église est directement concernée, par exemple lorsqu'il s'agit de la suppression des impôts ecclésiastiques. Là, elle est bien évidemment autorisée à prendre une position claire.